Une île trop petite pour sa légende : Sainte-Hélène sur Gallica
"Sainte-Hélène, petite île", avait noté Napoléon dans un de ses carnets de jeunesse. Petite, en effet, cette île de 122 km2 découverte par les Portugais en 1502 et occupée par les Anglais depuis 1651 ne comptait que 5 218 habitants en 1815, au moment où le gouvernement britannique décida d'y envoyer Napoléon Bonaparte, vaincu à Waterloo le 18 juin 1815 et réfugié depuis le 15 juillet à bord d'un navire de la Royal Navy. L'exil et la mort de Napoléon sous la surveillance du terrible "geôlier" Hudson Lowe, racontés, commentés, dessinés et réécrits par des centaines d'admirateurs ou de contempteurs de l'épopée impériale, ont fasciné le XIXe siècle. Il n'est donc guère étonnant de retrouver de nombreuses publications dans les collections de la BnF, dont certaines extrêmement rares.
L'île, vue prise de la mer, dans Cinq vues de Sainte Hélène,
gravure de Robert Havell, 1769-1832.
A tout seigneur, tout honneur. Le plus célèbre témoignage, le Mémorial de Sainte-Hélène, rédigé de juin 1815 à décembre 1816 par le chambellan Emmanuel de Las Cases, un des fidèles de l’Empereur déchu, est constamment réédité depuis sa parution en 1823. La première édition, publiée à compte d’auteur, est présente dans Gallica, ainsi que celle illustrée par Charlet en 1842. D'autres témoignages ont également été numérisés, comme les Récits de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène du général Montholon, publiés en 1847, les Mémoires du docteur Francesco Antommarchi, dernier médecin de Napoléon de 1819 à 1821, les Rapports du baron Stürmer, commissaire envoyé par l'Empereur d’Autriche surveiller le captif, les Rapports du marquis de Montchenu, envoyé par le roi Louis XVIII, la Correspondance du chirurgien William Warden, qui accompagna l'Empereur sur l'île, les Souvenirs de la comtesse de Montholon, connue pour avoir été la dernière maîtresse de Napoléon, les Souvenirs de Santini, un des domestiques de l'Empereur à Sainte-Hélène, ou encore les Souvenirs de Betsy Balcombe, la petite Anglaise malicieuse rencontrée par l'Empereur captif au tout début de son exil. Les sources ne manquent donc pas et permettent de se faire une bonne idée du quotidien de Napoléon et de son entourage entre le 17 octobre 1815, date du débarquement à Sainte-Hélène, et le 5 mai 1821, jour de la mort du souverain déchu dans sa petite maison de Longwood. Il faut aussi mentionner l'édition des Œuvres de Napoléon à Sainte-Hélène, dernier volume de la Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de Napoléon III.
Pour ceux qui souhaitent découvrir plus en détail l'île et ses secrets, la BnF conserve de nombreuses ressources iconographiques et cartographiques, notamment une carte et une vue de l’île de Sainte-Hélène datant de la fin du XVIe siècle, une autre du XVIIIe siècle, mais aussi l’original manuscrit de la carte de l’île diffusée en Angleterre à partir de 1815 par le lieutenant R. P. Read (ainsi qu’une version imprimée de la même carte).
De nombreuses vues de l'île et notamment de la ville de Jamestown furent diffusées dès juillet 1815. Les plus belles furent celles gravées par Robert Havell d'après les dessins de George Hutchins Bellasis, représentant les paysages les plus pittoresques de l'île comme la Colonne de Sandy Bay ou encore Plantation House, la luxueuse résidence de campagne du gouverneur de l'île.
La colonne de Sandy Bay, dans Cinq vues de Sainte Hélène,
gravure de Robert Havell, 1769-1832.
Sur l'exil de Napoléon lui-même, il existe certes de multiples caricatures. Cependant, les images les plus intéressantes sont celles qui furent dessinées sur l'île à l'époque de la captivité de Napoléon et envoyées secrètement en Angleterre pour y être gravées et diffusées. Un officier anglais anonyme fit ainsi paraître un portrait en pied – quelque peu caricatural – du captif, pris sur le vif en mars 1817. Le lieutenant Basil Jackson, qui faisait partie de l'état-major de Hudson Lowe, arrondit sa solde en réalisant plusieurs vues idéalisées de Longwood House, qui parurent en Angleterre puis en France dans un opuscule de propagande louant la vie paradisiaque sur l'île. Le commissaire militaire Denzil Ibbetson fit parvenir en Angleterre un portrait en pied de Napoléon dessiné en mai 1816, à l'époque où le captif, encore en bonne santé, était toujours conforme à l'image de sa légende. Il laissa aussi un profil étrange de l'Empereur sur son lit de mort. Frederick Marryat, commandant du Beaver, stationnant au large de Sainte-Hélène, laissa pour sa part un portrait du captif, déjà malade, au visage bouffi, pris quelques mois avant sa disparition.
Portrait de Napoléon I en pied, Frederick Marryat, estampe.
L'exaltation romantique autour de l'exil et de la mort de l'Empereur inspirèrent de nombreux dessinateurs. Certains éditeurs purent diffuser les témoignages graphiques d'authentiques acteurs de l'épopée, comme la vue de Longwood House et la représentation quasi-photographique de la chambre mortuaire de l'Empereur dessinés par Marchand, le valet de chambre de Napoléon. D'autres gravures, plus fantaisistes, représentèrent Napoléon en jardinier ou en père éploré versant des larmes devant un portrait de son fils.
Pour la période du retour des Cendres, de l'exhumation du corps de l'Empereur, de son retour en France et de ses funérailles en grandes pompes aux Invalides en 1840, il existe plusieurs témoignages, comme celui de l'abbé Coquereau, du fils du général Bertrand ou encore du fils Las Cases. Le retour des Cendres intéressa aussi les artistes. Des images d’Epinal mirent en scène l'exhumation de l'Empereur, mais les cérémonies furent aussi immortalisées par plusieurs vues prises sur place. Une curieuse gravure représenta même Napoléon en momie égyptienne !
Enfin, pour pénétrer les mystères de Sainte-Hélène, les travaux fondamentaux de plusieurs grands historiens ont également été numérisés, à commencer par la thèse de Philippe Gonnard sur les Origines de la légende napoléonienne, les fameux travaux de Frédéric Masson Autour de Sainte-Hélène et Napoléon à Sainte-Hélène, ainsi que la vaste étude d’Octave Aubry sur La Captivité de Napoléon et La Mort de l’Empereur.
Pour en savoir plus, on consultera avec bonheur la bibliographie publiée dans Napoleonica la Revue (1ère et 2e parties), la bibliographie et les ressources proposées par la bibliothèque numérique de la Fondation Napoléon, mais aussi l'ouvrage de Charles-Eloi Vial, Le Dernier voyage de l'Empereur, Paris, Vendémiaire, 2015, ainsi que le catalogue de l’exposition Napoléon à Sainte-Hélène : la conquête de la mémoire, Paris, Gallimard, Musée de l'Armée, 2016, où figuraient de nombreux prêts de la BnF.
Charles-Eloi Vial
Département des manuscrits
Commentaires
Travail
C'est bien
Ajouter un commentaire