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Des athlètes et des Victoires : les épreuves sportives sur les monnaies grecques

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Les Grecs ont fait le choix de parfois représenter sur leurs monnaies des scènes sportives. Mais ne nous y trompons pas : ces images ne renvoient pas à proprement parler à la pratique du sport, mais aux concours organisés en l’honneur des dieux et bien entendu à la victoire. 

Tétradrachme de Catane (Sicile), vers 412-405 av. J.-C. BnF, MMA, Luynes 898

Les Grecs ont été particulièrement inventifs dans le choix des images à faire figurer sur leurs monnaies. La multitude des cités, des peuples et des royaumes qui ont produit un monnayage ont avant tout eu pour ambition de s’y représenter eux-mêmes en affichant des éléments constitutifs de leur identité. Les cultes de la communauté (notamment les cultes civiques) constituent ainsi le thème privilégié de l’iconographie monétaire. C’est ainsi que la plupart des monnaies grecques montrent une divinité, un animal ou un objet qui lui est associé, faisant ainsi écho aux sanctuaires et aux cultes locaux. Les mythes, la faune et la flore locales, une particularité géographique locale, peuvent parfois également avoir été retenus.

Plus rarement les autorités ont pu choisir des scènes sportives. Ce choix n’est toutefois pas si différent des thèmes cultuels. La célébration de fêtes religieuses incluait dans certains sanctuaires l’organisation de concours (agônès), des compétitions sportives et/ou artistiques. Un succès garantissait au vainqueur prestige et honneurs, plus encore lorsqu’il s’agissait d’un des concours panhelléniques de la periodos (Olympie, Némée, Delphes et Corinthe). Ces grands concours panhelléniques ne doivent toutefois pas occulter l’existence d’une multitude de jeux à la renommée régionale voire locale. En cela, représenter un athlète ou bien une épreuve sportive revient aussi à commémorer les jeux : une célébration organisée en l’honneur des dieux.
De nombreuses sources iconographiques, littéraires et épigraphiques documentent ces concours, et plus particulièrement les épreuves sportives qui étaient organisées. 

Les courses hippiques

La plus ancienne scène sportive représentée sur une monnaie grecque évoque l’apenè : la course de chars à mules des jeux d’Olympie. Anaxilas, tyran de Rhégion et de Messana remporta l’épreuve en 484 ou en 480 av. J.-C. Le poète Simonides de Kéos fut engagé pour composer une ode où il célébra les mules d’Anaxilas, ces « filles des cavales rapides » (Fragment 515) et ses deux cités sujettes firent frapper des monnaies représentant l’attelage vainqueur.

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Tétradrachme de Messana (Sicile), vers 460 av. J.-C. BnF, MMA, Luynes 1014

Les deux équidés sont représentés au pas, tirant un bige (char) dirigé par un aurige (cocher). L’ensemble est surmonté par un personnage féminin ailé : la Victoire (Nikè) s’apprêtant à couronner  l’équipage.
Cette scène connut un grand succès et fut reproduite sur de nombreux monnayages, quoique la plupart du temps pour évoquer l’épreuve de course de biges de chevaux (synoris). Surtout, l’évolution réaliste du style de la gravure tendit à restituer toute la fougue des animaux et la vitesse des attelages, comme par exemple sur les statères d’or de Philippe II de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand.

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Statère de Philippe II de Macédoine, Pella (Macédoine), vers 345-336 av. J.-C. BnF, MMA, Beistegui 13

Les concours étaient l’occasion d’une grande diversité d’épreuves hippiques. La course de selle simple, l’hippos kélès, est fréquemment attestée et beaucoup représentée sur des vases, mais aussi sur les monnaies comme ici à Tarente.

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Nomos de Tarente (Calabre), vers 380-355 av. J.-C. BnF, MMA, 1965.671

D’autres courses sont régies par des règles plus complexes, par exemple la kalpè, une course de selle dont la dernière partie devait être courue à pied. Les monnaies de Kélenderis montrent au droit le moment précis où le jockey saute de sa monture, cravache encore en main, pour entamer la dernière partie de la course.

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Statère de Kelenderis (Cilicie), vers 440-400 av. J.-C. BnF, MMA, Luynes 2770

Au final les épreuves hippiques sont assez fréquemment représentées ou évoquées sur les monnaies grecques, à toutes les époques et dans toutes les régions de l’Oikouménè (le monde grec). Il en va différemment des épreuves à pied, plus rares dans l’iconographie monétaire.

Les courses à pied

Les épreuves de course sont nombreuses et variées, tant en termes de distance à parcourir qu’en ce qui concerne l’équipement des coureurs.  L’hoplitodromos, la course en armes, renvoie indubitablement au caractère militaire des jeux. Les concurrents sont aussi des hoplites équipés de leur armement défensif : casque, bouclier et parfois cnémides (jambières). Une seule représentation monétaire de cette épreuve est avérée, sur une émission de statères d’électrum de Cyzique. L’athlète y est représenté tout équipé, sur la ligne de départ, sur le point de s’élancer.

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Statère de Cyzique (Mysie), vers 475-430 av. J.-C. BnF, MMA, Luynes 2451

Un autre type de course est la lampedromia, durant laquelle les participants devaient emporter une torche enflammée. Aucun monnayage ne figure cette épreuve alors même que de telles scènes sont avérées sur la céramique. La cité d’Amphipolis a cependant choisi au IVe siècle av. J.-C. de commémorer cette épreuve sur ses monnaies, avec au revers de ces tétradrachmes une torche enflammée.

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Tétradrachme d’Amphipolis (Macédoine), verts 366-354 av. J.-C. BnF, MMA, Luynes 1561

Les épreuves de lancer

Plus rares encore sont les scènes d’épreuves de lancer. Popularisé par le discobole de de Myron (connu uniquement par des copies romaines, notamment le Lancellotti), le lancer de disque (dískos) n’apparaît que sur une émission thrace d’Abdère, et surtout à Cos, cité située au large de la Carie. Ces monnaies d’argent sont généralement usées. Elles montrent au droit un athlète, en train d’accomplir son mouvement de tension, sur le point de projeter son disque.

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Triple sicle de Cos (Carie), vers 480-440 av. J.-C. BnF, MMA, Chandon de Briailles 543

Une unique émission de monnaies de bronze à Agrigente, en Sicile, figure un homme, sans doute un athlète (il est nu), sur le point de propulser son javelot (ákôn).

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Bronze d’Agrigente (Sicile), vers 210-200 av. J.-C. BnF, MMA, Fonds général 148

Les sports de combat

Malgré la popularité de ces épreuves, les monnayages commémorant les sports de combat – la lutte, le pancrace ou le pugilat – sont particulièrement rares sur les monnaies grecques. Deux cités cependant, Aspendos et Selgé, ont fait de ce sujet le thème principal de leur iconographie monétaire pour l’argent entre le IVe et le IIIe siècle av. J.-C.  Si le type demeure globalement le même d’émission en émission – deux lutteurs combattant – les graveurs ont pris soin de reproduire différentes prises, comme des instantanés pris sur le vif, lors d’un combat.

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En haut, BnF, MMA, R 2947 ; au milieu R 2949  et Fonds général 31

Enfin le pugilat est évoqué seulement sur de petites monnaies de bronze produites à Smyrne aux IIe et Ier siècles av. J.-C. A la tête d’Apollon au droit est associée au revers la main d’un pugiliste. On y reconnaît les éléments de protection semblables à ceux reproduits sur la statue du pugiliste des thermes, notamment les bandes de cuir de bœuf enroulées autour du poignet et le stophion, un épais anneau de cuir prévu pour enserrer les doigts.

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Bronze de Smyrne (Ionie), vers 74-50 av. J.-C. BnF, MMA, Fonds général 2435

Célébrer la victoire

La personnification de la Victoire est fréquemment convoquée en lien avec les concours pour couronner les vainqueurs. La divinité, une femme pourvue d’ailes, est facilement reconnaissable sur ce décadrachme de Syracuse. Elle tient un diadème (tainia) qu’elle noue sur la tête de l’aurige qui franchit la ligne d’arrivée.

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Décadrachme de Syracuse (Sicile), vers 405-400 av. J.-C. BnF, MMA, Luynes 1250

À Olympie, l’athlète victorieux recevait immédiatement après l’épreuve un diadème, une palme, et était autorisé à parader. Philippe II de Macédoine fit ainsi représenter sur ses tétradrachmes le tour d’honneur de son cheval victorieux en 356 av. J.-C. Le jockey tient une grande palme et a la tête ceinte du diadème, dont les pans du nœud flottent sur sa nuque.

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Tétradrachme de Philippe II, Pella (Macédoine), vers 336/5-329/8 av. J.-C. BnF, MMA, Luynes 1596

Un statère d’Elis, la cité qui contrôlait le sanctuaire d’Olympie, et donc organisait les concours,  évoque le moment de la remise des prix. Assise, la Victoire tient dans sa main une couronne de feuillage. Le dernier jour des jeux d’Olympie, des rameaux étaient prélevés sur « l’olivier aux belles couronnes » (kallistéphanos) pour être tressés en couronnes. Les vainqueurs étaient ensuite couronnés des mains du plus âgé des juges (hellanodices) dans le pronaos du temple de Zeus.

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Statère d’Elis - Olympie (Elide), vers 452-432 av. J.-C., BnF, MMA, Luynes 2242

Des prix monétaires ?

Les concours grecs étaient de deux types. Les plus prestigieux et souvent les plus anciens étaient dits stéphanites ou sacrés ; c’est-à-dire que les vainqueurs n’étaient récompensés que par la couronne de feuillage associé au culte de la divinité honorée (stéphanos). Les concours les plus nombreux étaient quant à eux dit chrématites, signifiant que la récompense était cette fois-ci sonnante et trébuchante, voire simplement une somme d’argent. Certaines monnaies pourraient ainsi bien avoir été produites spécifiquement pour constituer le prix remis aux vainqueurs. Ainsi la présence de l’inscription ΑΘΛΑ à l’exergue du droit des décadrachmes de Syracuse (ci-dessus) laisse entendre que ces lourdes pièces d’argent étaient précisément des « prix ».
L’inscription au revers d’un nomos de Métaponte renvoie sans doute à une pratique semblable. ΑΧΕΛΟΙΟ ΑΕΘΛΟΝ («  le prix d’Achéloos ») constitue d’abord l’unique indice de jeux organisés en l’honneur de ce dieu-fleuve, celui qui traversait le territoire de la cité. Surtout, il semble indiqué que ces monnaies furent précisément produites pour être offertes aux vainqueurs des épreuves organisées en son honneur.

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Nomos de Métaponte (Lucanie), vers 440-430 av. J.-C. BnF, MMA, Luynes 466

Pour aller plus loin

L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques.
La série "Histoire du sport en 52 épisodes" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.

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