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De la physiognomonie à la phrénologie

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19 juin 2019

Le mouvement littéraire du Merveilleux-scientifique prend systématiquement comme point de départ une loi physique, chimique ou biologique et l'altère. 

Le cours de phrénologie [estampe] A. Legros, 1855-1865

Nous verrons ici comment il a subi l'influence de théories scientifiques ou pseudo-scientifiques, telles que la physiognomonie et la cranioscopie ou phrénologie dont le dénominateur commun était de prétendre à une meilleure connaissance de l'être humain grâce à ses particularités physiques.

Dès l’Antiquité, on considère que le caractère d’un homme peut être perçu par l’étude des traits de son visage. C’est Johann-Kaspar Lavater, théologien helvétique (1741-1801) qui théorise sa méthode de morphopsychologie sous le nom de physiognomonie. Son œuvre a fait l’objet d’une traduction française : Essai sur la physionomie ou l’art de connaître les hommes Cette théorie connaît une grande popularité au dix-neuvième siècle auprès de romanciers tels que Honoré de Balzac dans sa Comédie humaine.

À partir de la physiognomonie, on va dériver vers une classification des hommes fondée sur leurs traits physiques avec un ouvrage rédigé par le criminologue italien Cesare Lombroso :

L’homme criminel / Cesare Lombroso, 1887

À une époque où le délit de faciès n'était pas sanctionné, la théorie du lombrosianisme fait florès. Toujours dans cette optique de caractériser les individus appréhendés par la justice, Alphonse Bertillon, simple employé au Service photographique de la Préfecture de police, imagine en 1883 de procéder en outre à neuf mesures osseuses – dont la longueur de la tête, du crâne au front, et la largeur de la tête, de la tempe gauche à la tempe droite. Le bertillonnage permet ainsi l’identification anthropométrique des détenus. La méthode de Bertillon fait de nombreux émules, comme par exemple Louis Marchesseau en 1911 avec Le portrait parlé et les recherches judiciaires.

Extr. de : La Photographie judiciaire par Alphonse Bertillon. 1890

Au début du XIXe siècle, les médecins allemands Franz-Joseph Gall (1758-1828) et Johann Gaspar Spurzheim (1776-1832) ont l'idée de déterminer le profil psychologique des individus non plus par l'étude de leur physionomie mais par l'observation de leurs bosses crâniennes, méthode désignée sous le terme de cranioscopie dans un premier temps. De 1810 à 1819, ils rédigent un ouvrage en 4 tomes : Anatomie et physiologie du système nerveux en général et du cerveau en particulier, avec des observations sur la possibilité de reconnaître plusieurs dispositions intellectuelles et morales de l'homme et des animaux par la configuration de leurs têtes. Par la suite, un disciple anglais de Gall, Thomas Forster (1789-1860), rebaptisera ce courant de pensée du terme plus connu de phrénologie. Gall se fonde sur quatre hypothèses : la forme du crâne reflète celle du cerveau ; l’esprit peut être analysé en 27 facultés distinctes ; ces fonctions sont elles-mêmes localisées dans des régions spécifiques du cerveau ; les caractéristiques de la conduite humaine peuvent être prédites par rapport au développement des protubérances de la tête. Au XIXe siècle, les traités de phrénologie se multiplient. En 1837, Théodore Poupin prétend conjuguer les deux méthodes dans son traité : Caractères phrénologiques et physiognomoniques des contemporains les plus célèbres, selon les systèmes de Gall, Spurzheim, Lavater, etc.
 

Extr. de Traité de phrénologie

Bien que les collègues de l’anatomiste allemand s’emploient à démontrer l’inexactitude et la pseudo-scientificité de la phrénologie, ce procédé connaît une popularité certaine dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle : on va jusqu’à évaluer la compatibilité des futurs époux en se fiant à leur configuration crânienne. Raoul Bigot, écrivain appartenant au courant littéraire du Merveilleux-scientifique, met en scène dans un feuilleton paru dans Lectures pour tous un personnage fictif nommé Nounlegos qu'il présente comme un savant phrénologiste ayant élaboré une coiffe capable de lire le cerveau humain.

De façon générale, la crânioscopie ou phrénologie va exercer une grande influence sur les écrivains du Merveilleux-scientifique en déclenchant chez eux une véritable fascination pour le cerveau et son contenu auxquels ils font subir toutes sortes de traitements souvent très étranges. En 1900, le feuilletoniste Henry Desnar décrit avec force détails le modelage d'un crâne par un certain Docteur Cornelius. Dans L'Homme qui peut tout, Guy de Téramond imagine de libérer les circonvolutions cérébrales d'un criminel afin d'en faire un être supérieur. Dans Trois ombres à Paris  de HJ Magog, on retrouve ce désir fou de créer des êtres supra-intelligents chez le savant Fringue qui aurait réussi à isoler le fluide producteur de la pensée. Dans On vole des enfants à Paris de Louis Forest, cette fois c'est en implantant un grain de radium dans la tête d'enfants ordinaires que l'auteur en fait des surhommes.

Ainsi, dans l'imaginaire du Merveilleux-scientifique, l'enveloppe corporelle humaine et en particulier le cerveau deviennent une matière malléable entre les mains de savants fous : il devient possible de les cartographier, les explorer dans leurs moindres recoins, en pétrir la matière et les modeler à volonté. Mais comme le résumera parfaitement la figure de proue de ce courant littéraire, Maurice Renard :

Lorsqu'il retouche la vie, l'homme fabrique des monstres. 

Pour aller plus loin

Lire les articles consacrés au "Cycle-Merveilleux scientifique" dans le Blog Gallica.
 
Pour lire des récits merveilleux-scientifiques dans les fonds Gallica, une carte aux trésors, sous la forme d'une bibliographie en ligne.
 

Commentaires

Soumis par F68.10 le 20/06/2019

La question que je me pose est: est-ce que la phrénologie a vraiment disparu? Comment s'assurer que les pratiques qui ont le même but que la phrénologie ne soient pas elles aussi soumis aux mêmes biais qui feraient d'elles des pseudosciences...

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