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Dominique Larrey, chirurgien militaire

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19 mai 2023

Napoléon Bonaparte a toujours su reconnaître le talent et la valeur humaine chez certains individus souvent d'origine modeste. C'est ainsi qu'il a distingué le jeune chirurgien militaire Dominique Larrey, le faisant sortir du rang et de sa condition de roturier.

Visite du champ de bataille de Pruss-Eylan [sic Eylau], le 17 mars 1807 : estampe

Dominique Larrey naquit en 1766 dans un milieu très modeste. Son oncle, chirurgien à Toulouse, prit sous sa protection cet élève brillant en lui donnant accès à des études médicales pendant huit ans.

Officier de santé de la Marine

Puis le jeune homme devint chirurgien de la Marine royale et en 1787, il embarqua sur un vaisseau qui faisait route vers l’Amérique pour protéger les Terre-Neuvas. A moins de 21 ans, le voici le plus jeune officier de santé de la Marine. A partir du dix-huitième siècle, les élèves des écoles de médecine navale recevaient un enseignement spécialisé dans les pathologies susceptibles de se déclarer en pleine mer, mais étaient également initiés à la science considérée à l'époque comme un savoir encyclopédique. Le tout jeune officier ne dérogea pas à cette règle. Une fois arrivé à Terre-Neuve, il se montra curieux de toutes sortes de sujets : la faune, la flore, le climat, les mœurs locaux et il prit l'habitude de consigner ses nombreuses observations scientifiques et médicales regroupées ultérieurement dans ses Mémoires de chirurgie militaire et campagnes du baron D.J. Larrey. Pendant la traversée, il se pencha sur des problématiques incontournables en médecine navale : l’hygiène ainsi qu'un fléau qui décimait bien souvent les équipages : le scorbut de mer - que plus tard il compara avec celui de terre. Par ailleurs étant lui-même sujet au mal de mer, il était particulièrement bien placé pour étudier le phénomène. Cependant ce handicap - rédhibitoire pour un marin - l’obligea à démissionner et retrouver définitivement la terre ferme.

Chirurgien dans les armées révolutionnaires

A son retour à Paris, il passa le concours pour un poste d’aide-major à l’Hôpital des Invalides. Reçu premier, il fut injustement écarté au profit d’un autre candidat. Prenant conscience que ses origines modestes étaient un frein à sa réussite professionnelle, le voici donc enclin à adhérer aux idées révolutionnaires. Le 14 juillet 1789 lors de l’assaut de la Bastille, il improvisa une ambulance où il soignait les blessés. Puis il répondit à l’appel de la patrie en danger en rejoignant le quartier-général de l’Armée du Rhin en 1792.

 

Chirurgie : vue de paniers servant au transport des blessés. Dessin /  Larrey del.

A cette époque on faisait peu de cas des blessés, la piétaille ayant toujours été considérée comme quantité négligeable. Le règlement stipulait que le Service de santé des armées devait se situer au moins à 4 km du cœur des combats. De plus, il était interdit aux médecins militaires d’intervenir avant la fin de la bataille. Après la fin des combats, il s’écoulait parfois 24 voire 36 heures avant la prise en charge des blessés qui avaient le temps de mourir ou de voir la gangrène les envahir. Pire : si l’ennemi avait pris possession des lieux, ils couraient le risque d’être achevés. Larrey remarqua aussi que sur un  terrain inégal, le transport des soldats sur des brancards était dangereux car propice à leur chute. Il proposa de créer un système d’ambulances volantes : ainsi on pouvait convoyer les chirurgiens vers les blessés. En outre, il sut adapter son système aux conditions locales : plus tard en Egypte, observant que les chevaux évoluaient difficilement dans le sable, il eut l’idée de les remplacer par des dromadaires avec de chaque côté de leur bosse des coffres dans lesquels les hommes étaient allongés.

Larrey soignant les blessés. Source : Aux pays de Napoléon, l'Egypte.

Les Campagnes d'Egypte et de Palestine

Il retourna ensuite à Paris et en 1796, il devint professeur d’anatomie à l’Ecole de médecine du Val de Grâce pendant une période assez brève, car il va ensuite suivre le Premier consul et général Bonaparte dans ses campagnes militaires. Sa carrière peut se résumer en :

  • 28 ans de service
  • 25 campagnes militaires
  • 55 batailles
  • 400 combats
  • plusieurs sièges de places fortes

Pendant la campagne d’Egypte, il organisa au Caire une nouvelle école de médecine et de chirurgie à l’intention des officiers de santé de l’armée d’Egypte. Dans ce pays, il existait une étrange maladie contagieuse : l’ophtalmie, déjà connue au temps des croisades et sans doute due à la réverbération du soleil sur des surfaces blanches. Larrey étudia cette infection qui, si elle n’était pas prise en charge, pouvait conduire à la cécité :

 L’ophtalmie granuleuse ou trachomeramenée par les soldats à leur retour d’Egypte se répandit ensuite en Europe.   

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Lorsque l'armée d’Egypte se trouvait en Syrie, éclata un épisode de peste à Jaffa, mais aussi à Gaza et Saint-Jean d’Acre. Cette maladie endémique était attribuée aux mauvaises conditions hygiéniquesLes malades mouraient à partir du cinquième jour et des officiers de santé travaillant à l’hôpital furent ainsi emportésDesgenettes, le médecin en chef de l’Armée d’Orient  n’hésita pas à s’inoculer la maladie. Larrey quant à lui pratiqua des autopsies mais sembla miraculeusement épargné. Le Baron Gros a immortalisé cet épisode avec son célèbre tableau représenté ci-dessus. Plus tard, le neurologue et artiste Paul Richer fit une intéressante analyse de cette oeuvre.

Un débat vital

Depuis le XVIIIe siècle, l’Académie de chirurgie était divisée sur la nécessité d’amputer immédiatement ou bien de différer l’opération. Larrey était partisan de la première solution dans la mesure où cela permettait de sauver des vies. Ce fut d’ailleurs le sujet de la thèse qu’il soutint en 1803 : Dissertation sur les amputations des membres à la suite des coups de feu  Cette alternative entre amputations consécutives ou primitives (i.e. immédiates) resta longtemps une problématique pour les chirurgiens souvents accusés d’opérer inutilement et trop précipitamment : 

Cependant le nombre des victimes de la guerre se multiplia bientôt tellement, que tous ne pouvaient trouver sur-le-champ un lit, ni même le couvert. La ville entière offrait le triste aspect d'un vaste hôpital. On voyait dans les rues, encombrées d'ordures, de longues files de blessés couchés par terre et poussant des cris lamentables; on faisait des amputations dans les places publiques.Tous les jours, de malheureux soldats se traînaient en foule des maisons particulières dans les hôpitaux, où la précipitation des chirurgiens en mutilait des centaines sans nécessité. Devant quelques hôpitaux, on voyait des tas de doigts ou d'autres membres qui servaient à l'insouciante jeunesse d'instrumens pour ses jeux.

 Pour trancher ce débat, il fallut attendre l’opinion du chirurgien civil Guillaume Dupuytren qui se rangea du côté des praticiens militaires partisans de l'amputation primitive.

Larrey pansant les blessés sous le feu des ennemis / Charles-Louis Muller. Source : Bibliothèques d'université Paris-Cité. 

Un chirurgien hors pair

Grâce à sa parfaite connaissance de l’anatomie, Larrey était réputé pour opérer vite et bien : il pouvait réaliser une amputation en une minute avec des moyens très sommaires pour lutter contre la douleur. En bon chirurgien militaire, il savait improviser face aux urgences et souvent sous le feu de l'ennemi. Il ne put cependant rien faire pour son ami le maréchal Lannes dont les deux jambes avaient été emportées par un boulet. A la bataille d’Eylau - de sinistre mémoire tant la quantité de sang répandue sur la neige horrifia les contemporains -  il aurait effectué deux cents amputations en l’espace de trois jours. C'était une avancée appréciable puisque, désormais, les blessés avaient une chance de survivre, la rapidité de l’acte limitant les risques d’infection, même si elle ne les éradiquait pas totalement, notamment pour la chirurgie du thorax. En effet, à cette époque on ne connaissait pas encore l'anesthésie, l'aseptie et l'antiseptie. Il a aussi travaillé à perfectionner son art avec :

  • le traitement des fractures des os
  • la fermeture instantanée des plaies de la poitrine
  • l'extraction des projectiles
  • la simplification des moyens de pansement 

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Lors de la pitoyable retraite de Russie, Larrey réussit à survivre au froid mortel en voyageant à pied et en évitant de se réchauffer aux feux de bivouac, véritable piège selon lui. En récompense de son dévouement et son courage, Napoléon lui offrit le titre de baron d'Empire. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, l'empereur déchu déclara :

C'est le plus honnête homme que j'aie connu; si jamais l'armée élève une colonne à la reconnaissance, elle doit l'ériger à Larrey.

Nostalgie d'une époque révolue

Par la suite, le chirurgien concrétisa son lien indéfectible avec Napoléon en constituant une collection de près de 900 ouvrages consacrés à la vie de ce dernier, de ses descendants ainsi qu'à l'histoire de la Révolution française et de l'Empire. Après 1815, considérant qu'il était de son devoir de poursuivre sa tâche de praticien, Larrey se mit au service des régimes suivants. Cependant, bien des années après la disparition de l'Empereur, nommé à la tête du Service de santé de l'Hôtel des invalides, il gardait une extraordinaire popularité auprès des nostalgiques de l'épopée napoléonienne. Envoyé en Algérie française pour y organiser un service de santé, sur le chemin du retour, il contracta une pneumonie et mourut à l’âge de 76 ans en 1842.

Dominique Larrey est aujourd’hui reconnu comme le précurseur de la médecine d’urgence. En véritable humanitaire, il soignait sans distinction officiers et soldats, Français et ennemis, donnant la priorité aux blessés les plus graves avant toute autre considération d’ordre social ou hiérarchique.

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