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Myriam Harry, femme de lettres et reporter

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19 mai 2021

Myriam Harry (1869-1958) est une femme de lettres française née à Jérusalem, grande voyageuse. Son œuvre journalistique et littéraire, nourrie de nombreux reportages à l’étranger, est marquée par une rencontre enrichissante entre l’Orient et l’Occident.

Interview  dans le Femina du 1er août 1914 (p. 443-444)

Myriam Harry est née en 1869 à Jérusalem d’une mère allemande et d’un père russe. Elle s’installe en 1887 à Paris et écrit en français une œuvre foisonnante, composée de romans, nouvelles, contes, reportages, articles de journaux, nourris par ses nombreux voyages.

Les débuts

Vue panoramique de Jaffa (porte de Jérusalem)

Arrachée brutalement à la magie de l’Orient par le suicide de son père, Guillaume Shapira, antiquaire passionné, accusé d’être un faussaire, (« Le prétendu manuscrit original de la Bible », Le Temps, 22 août 1883), elle gardera toute sa vie la nostalgie de son enfance à Jérusalem, dans la ville sainte et lumineuse où se côtoient toutes les religions. Elle l’évoque dans La Jérusalem retrouvée (Les dimanches de la femme, 14 décembre 1930). Elle se retrouve  à quinze ans « chez les Barbares » à Berlin, ville qu’elle déteste. Elle raconte son expérience avec beaucoup d’humour dans son livre Siona à Berlin. C’est en 1887 qu’elle s’installe enfin à Paris et devient  romancière et journaliste.

En 1897, son amant, le poète Georges Vanor lui présente Marguerite Durand qui cherche un conte de Noël pour son journal  La Fronde. Elle écrit « Noël à Bethléem » puis publie ensuite régulièrement des contes, tous inspirés par l’Orient : « Passage de Bédouins » (5 mars 1898) ; « Le Carême de l’islam »  (24 mars 1898) ; « Fleur des sables » (4 mai 1898) ; « Sous les baumiers de Galaad »  (4 juin 1898) ; « La loi du sang » (11 juillet 1898) ; « In extremis »  (1er octobre 1898) ; « A la mer »   (24 novembre 1898) ; « Colombo la verte »  (13 décembre 1898). Le dernier parait en 1900 alors qu’elle revient d’Indochine, « Panneaux saïgonnais »  (26 mars 1900).
De retour d’un voyage en Extrême-Orient, elle fait paraître en feuilleton à partir du 10 mai 1900 La pagode de l’île flottante dans Le Journal, roman qu’elle a commencé à rédiger à Saïgon.
En 1905, elle devient célèbre en obtenant le premier prix Femina (crée par le magazine La Vie Heureuse) pour son livre  La Conquête de Jérusalem . Le Temps (31 janvier 1905) salue « le meilleur livre de femme paru dans l’année ». Le prix Femina a été créé en réaction au refus du jury du Goncourt de récompenser l’œuvre de Myriam Harry au motif que l’auteur était une femme (La Fronde , 1er février 1905).
 

La Fronde , 1er février 1905

La Revue universelle (janvier 1905) souligne qu’elle

écrit le français avec une grande force et une correction parfaite, en y glissant je ne sais quelle teinte d’exotisme qui en avive l’originalité ».

La Revue universelle (janvier 1905)

 

Succès littéraires et reportages

Le Sourire : journal humoristique hebdomadaire 4 mai 1911

En 1906 elle obtient une bourse de voyage pour la Tunisie pour son mari et un engagement comme rédactrice au journal Le Temps où elle va publier ses Impressions tunisiennes en 1906 et 1907. Dans son premier article le 23 août 1906, elle s’étonne de cette ville Tunis, qu’on lui a décrite comme française mais qu’elle trouve « exquisement arabe, avec l’enceinte de son marché blanche et dentelée, ses petits porte-paniers bronzés, ses ânes surchargés d’oignons mauves et de piments écarlates, ». Elle y raconte une visite de Carthage (3 septembre 1906), la petite ville de Sidi bou Said (22 septembre 1906) qui abrite la mosquée de Saint Louis,  sa conversation avec un jeune interne musulman (22  juillet 1907) défenseur de la polygamie, y raconte un mariage musulman (17 août 1907). De nombreuses années plus tard, elle reviendra sur le sujet de la polygamie, « L’opinion de Myriam Harry sur la polygamie » (16 octobre 1946), sur laquelle elle porte un regard très indulgent, montrant que le harem « a inspiré à l’occident bien des sottises et indécences. »
 

Claudine 16 octobre 1946

Prises de position par rapport aux femmes

Pendant la Première Guerre mondiale, entre 1916 et 1917, elle rédige une série d’articles pour lExcelsior.  Elle y rend hommage au courage des femmes, « quel miracle ne saurait accomplir le dévouement de la femme française ? » (30 janvier 1917), prône la liberté du mariage, « Mais j’espère que la guerre qui anoblit tant de chose anoblira la plus noble de toutes : le mariage, et que ce seront les cœurs qui se chercheront et non les fortunes » (18 juillet 1916). Elle prend la défense d’une jeune institutrice qui a exercé pendant la guerre alors qu’elle n’avait pas achevé sa formation (23 mai 1916) et incite les femmes célibataires à épouser des soldats devenus aveugles (4 juillet 1916). Car en effet elle défend la féminité contre le féminisme (16 mai 1916), « que le féminisme est mort, vaincu par la douleur, la pitié ou la tendresse individuelle et qu’une nouvelle ère commencera après la guerre pour la femme : l’ère de la féminité. »                          
En 1932 elle est chargée par Le Journal d’une enquête  sur les femmes au Moyen Orient, qu’elle publie dans une série « Les Derniers harems ».
 

Le Journal, 8 octobre 1932

Défendant une vision assez traditionnelle de la femme qui contredit la grande indépendance dont elle a fait preuve, elle considère les mœurs orientales moins dissolues que celles des Français. Et elle reconnait certains droits aux femmes musulmanes que n’ont pas les Européennes.

« J’étonnerai probablement mes lectrices en leur apprenant que la pauvre recluse du harem jouit, derrière ses murs et ses voiles, d’une liberté juridique inconnue des femmes d’Europe et même d’Amérique. » (Le Journal, 8 octobre 1932).

Elle rencontre au Caire la pacha Charaoui, célèbre féministe et première femme dévoilée d’Égypte (13 octobre 1932). Hada Charaoui est la fondatrice de la revue féministe L’Egyptienne, publiée en France et de la maison de la femme. Malgré le charme qu’exerce sur elle l’Orient, Myriam prend conscience des difficultés de l’émancipation féminine dans le monde oriental. 
"Nous voulons", dit Zeinab rencontrée à Alexandrie, « voir le monde autrement qu’à travers un voile noir. » (Déjeuner avec les Bacchantes, 11 octobre 1932) mais « ne rien perdre de la tendre protection de l’islam » (Mme Charaoui pacha).

Avec l’arrivée de Kemal Atatürk au pouvoir et la proclamation de la république, la Turquie devient laïque et bientôt le port du voile est interdit aux femmes (La Française, 25 décembre 1926), la polygamie supprimée et l’égalité hommes-femmes proclamée, ce qui aura un fort retentissement dans le monde musulman. Myriam Harry rend hommage à « Ataturk, l’idole des femmes » dans un article du Temps (Le 26 novembre 1938) et dans le Nouvelliste d’Indochine, « Ataturk et les femmes » (11 décembre 1938).
 

Une femme jalouse de sa liberté

En 1934 elle est nommée chevalier de la légion d’honneur en qualité de femmes de lettres (Candide, 1er février 1934). Toujours grande voyageuse elle écrit un reportage sur la Palestine, Tel Aviv (Oran-spectacles, 20 juin 1936) dans lequel elle défend l’apprentissage de l’hébreu pour parfaire « notre âme juive et créer notre unité nationale ». De retour d’un voyage à Madagascar, elle publie quelques articles dans l’Intransigeant entre le 15 et le 28 mai 1937 sous le titre Les Iles de volupté.
 

L’intransigeant 27 mai 1937

Grâce à son œuvre, une quarantaine d’ouvrages et une centaine d’articles écrits entre 1905 et 1950, Myriam Harry a réussi à vivre de sa plume. Elle a vécu deux guerres mondiales, parlé l’allemand, l’anglais, l’arabe, l’hébreu, le français, parcouru une grande partie du monde, rencontré des personnalités célèbres et s’est éteinte le 10 mars 1958 à 89 ans (Cahiers Pierre Loti, juin 1958).

 « C’est vous [les hommes], qui créez la femme féministe, et quand vous avez fait ce monstre vous vous retournez, dégoutés. »

Si elle s’est toujours opposée au féminisme sa vie est le témoignage d’une femme libre, indépendante et d’une grande ouverture d’esprit.

Pour aller plus loin :

  • L’Orient dévoilé : sur les traces de Myriam Harry, de Cécile Chombard Gaudin (Éditions Turquoise, collection Le Temps des femmes, 2019)
  • La Conquête de Jérusalem, de Myriam Harry (Éditions Turquoise, collection Le Temps des femmes, 2019)

Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité
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