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Erckmann-Chatrian (E. Erckmann et A. Chatrian)1/2

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19 janvier 2024

Erckmann-Chatrian, signature d’un duo d’écrivains d’origine vosgienne, fut extrêmement populaire dans la seconde moitié du XIXe siècle, s’intéressant à l’histoire récente, le fantastique et les récits régionaux de leur contrée. Leur association s’est cependant terminée dans un ressentiment réciproque. Première partie : la carrière.

L'Ami Fritz, Erckmann-Chatrian, L. Hachette, Paris, 1864

Cet éloge de la convivialité, de la bonne chère et de la chaleur du foyer, caractéristique de leur prose, illustre L’Ami Fritz, un des grands succès de Erckmann-Chatrian, duo d’auteurs parmi les plus lus de cette deuxième moitié du XIXe siècle. Loués par certains : "la simplicité émouvante et souvent tragique des récits, le relief, du style, la grandeur des sentiments développés, l'idée d'humanité et d'amour qui palpite à chaque page dans ces œuvres vibrantes" (Le Figaro en 1922), ils ont été vilipendés par d’autres, comme Flaubert, dans son acrimonie inimitable, à George Sand le 4 décembre 1872 :

J'ai lu, cette semaine, L’Illustre Docteur Matheus, d'Erckmann-Chatrian. Est-ce assez pignouf ! Voilà deux cocos qui ont l'âme bien plébéienne."

Leur popularité fut néanmoins très importante à l’époque.

Contes et Romans populaires, Erckmann-Chatrian, Hetzel, Paris, 1867

Emile Erckmann nait le 20 mai 1822 à Phalsbourg en Lorraine. Cinquième enfant d’un libraire, il perd sa mère à 10 ans, ce qui le rend taciturne et quelque peu farouche. Après des études de droit à Paris, il rentre à Phalsbourg en 1847, où il fait la connaissance d’Alexandre Chatrian. Ce dernier, né Charles Louis Gratien Alexandre Chatrian à Soldatenthal (près d’Abreschviller, en Moselle) le 18 décembre 1826, est un des enfants d’un verrier qui va faire faillite quelques années plus tard. Après avoir un temps été comptable, il décroche un poste de maitre d’études. Les deux hommes deviennent vite amis et parcourent ensemble les Vosges durant cet été 1847.

De retour à Paris, Erckmann assiste à la Révolution de 1848, puis retourne à Phalsbourg, où il fonde avec Chatrian un foyer de propagande républicain. Après quelques essais assez malheureux dans le théâtre et le journalisme, Chatrian trouve un travail comme employé de bureau aux Chemins de fer de l’Est en 1852, qu’il gardera jusqu’à sa retraite en 1884. Quant à Erckmann, il retourne à sa thèse de droit. Ils commencent à publier des textes fantastiques, notamment en 1856 L’Illustre Docteur Matheus.

Les Hommes d'aujourd'hui, André Gill, 1er janvier 1878, Paris

Commence alors leur décennie magique : la plus prolifique et la plus triomphale, avec des textes attachants et originaux. Eux, les républicains intraitables, connaissent leur heure de gloire sous le Second Empire qu’ils abhorrent ! Ils élargissent leur palette : des romans, et plus seulement des nouvelles, des récits historiques, et des histoires régionales. Ce sont des récits finis avant impression, et non des narrations en cours que l’on change en fonction du succès. On a ainsi, successivement, Les Contes fantastiques (1860), Contes de la Montagne (1860), Maître Daniel Rock (leur premier roman en 1861), Contes des bords du Rhin (1862), Les Confidences d'un joueur de clarinette (1865), et d’autres recueils divers et variés. C’est en même temps qu’Erckmann-Chatrian (les deux hommes avaient définitivement adopté cette signature) conçoit le plan d’une série de récits embrassant la période des campagnes militaires sous la Première République et l'Empire. Ces livres, hostiles au militarisme et surtout à la légende napoléonienne, connurent un succès phénoménal, car ils furent répandus à profusion par l’éditeur Hetzel, sous forme de brochures illustrées et bon marché, sous un titre générique : "Romans Nationaux".

L'Invasion ou le Fou Yégof, Erckmann-Chatrian, 1934

Parallèlement, ils écrivent aussi des narrations régionales, dont L’Ami Fritz (1866) est le plus bel exemple.

Au début, ils habitent Paris, recréant presque sans le vouloir l’ambiance de leur région natale. Ils y vivent une existence assez traditionaliste. C’est du moins ainsi que les voit Pierre Larousse dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, en 1870 :

Si Chatrian s’achète une villa au Raincy, Erckmann va très souvent à Phalsbourg, où il finit par habiter. C’est là qu’il est surpris par la guerre de 1870. Par la suite, refusant de vivre dans une ville devenue allemande, il va loger à Saint-Dié, où il se lie avec l’intendante d’amis. Si Chatrian reste dans sa villa, avec la femme avec qui il a eu trois enfants et à laquelle il a fini par s’unir, Erckmann fait des voyages, notamment en 1873 en Méditerranée orientale (Égypte, Liban, Syrie, Grèce). En 1876, une violente campagne de presse contre les deux hommes éclate dans Le Figaro et Le Gaulois, les accusant d’être pacifistes et donc de mauvais Français. Les sujets de leurs romans et nouvelles sont alors plus en rapport avec l’actualité : Histoire du plébiscite (1872) ou Le Brigadier Frédéric, (la vie d’un Français chassé par les Allemands, 1874). Mais restent néanmoins les récits de mœurs alsaciens et lorrains, dont notamment Maître Gaspard Fix (1876) ou Contes vosgiens (1877). Ils tâtent également du théâtre, avec bonheur là-aussi, qui se trouve être d’ailleurs des adaptations de leurs récits.

La fin de leur association est assez triste. En 1886, Erckmann refuse de parapher une nouvelle convention signée par Chatrian et l’éditeur Hetzel. Il est vrai que son associé est atteint d’une maladie nerveuse. C’est la rupture entre les deux anciens amis. Chatrian ira même accuser Erckmann d’avoir dilapidé en Allemagne la fortune gagnée en France. Mais Chatrian meurt le 3 septembre 1890 à Villemomble, plus ou moins fou. Il était d’ailleurs inconscient depuis près d’un an, "paralysé d’une affection des centres nerveux". Erckmann, quant à lui, lui survivra dix années, écrivant encore quelques titres (Alsaciens et Vosgiens d’autrefois, 1895), avant de s’éteindre à son tour à Lunéville le 14 mars 1899, à près de 77 ans.

Contes et Romans populaires, Erckmann-Chatrian, Hetzel, Paris, 1867

Le second billet s’attachera plutôt à leur œuvre.

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