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Une mission phonographique en Tchécoslovaquie

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18 novembre 2016

Après une première mission en Roumanie en 1928, Hubert Pernot, directeur du Musée de la parole et du geste, réalise une seconde mission de collecte sonore, cette fois-ci  en Tchécoslovaquie, entre septembre et novembre 1929. Entouré de deux ingénieurs de la firme Pathé, d'un musicologue et d'un photographe, il enregistre plus de 400 titres de chansons et musiques populaires principalement tchèques et slovaques, mais aussi des lectures d'oeuvres artistiques et les voix de personnalités marquantes de la jeune république tchécoslovaque.

Un interprète tchèque enregistré par Hubert Pernot et ses assistants (locaux de l'Institut de Phonétique de Prague,1929)
 

Le Français Hubert Pernot est directeur depuis 1924 de l’Institut de Phonétique et Archives de la Parole, fondées par le linguiste Ferdinand Brunot, qui deviendront en 1927 le Musée de la Parole et du Geste.
Il a effectué une première mission de collecte sonore réalisée en Roumanie en 1928 et entreprend une deuxième mission en Tchécoslovaquie, en 1929. Il répond en cela à l’invitation du directeur de l’Institut de Phonétique de Prague, Josef Chlumský, ce dernier souhaitant qu'Hubert Pernot les aide à établir des archives de la parole sur le modèle de celles de Paris. Deux ingénieurs de la firme Pathé, avec 12 000 kilos de matériel, un musicologue et un photographe accompagnent Hubert Pernot.
S’inscrivant dans le contexte très particulier d’un pays en pleine construction de son identité nationale, cette mission revêt une importance particulière : cette mission intervient un an après la tenue à Prague du très important Premier Congrès International des Arts Populaires (7 au 13 octobre 1928), auquel avait déjà pu participé Hubert Pernot alors qu'il réalisait la mission phonographique en Roumanie. Ce congrès, tenu "sous les auspices de la Société des nations" et sur l'initiative de l'Institut de Coopération Intellectuelle, se proposait de "mettre en évidence, à travers les apports et les particularités qui attestent l'originalité des diverses nations, le fonds qui leur est commun" (Revue d'histoire moderne, tome V, 1930).

La collection rapportée se composait de plus de 400 faces, contenant des mélodies populaires, des chants saisonniers principalement tchèques et slovaques (mais aussi en sorabe, "petit russien" et valaque), des danses populaires, des enregistrements d'instruments de musique traditionnels (flûtes, cornemuses,...). Des traditions instrumentales et vocales interprétées par un groupe tsigane ont été aussi enregistrées.
 

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Quatre chansons slovaques / Maria Ilkaničova, chant
 

Les voix de personnalités célèbres (discours d'hommes politiques, scientifiques, écrivains...), ou encore des enregistrements de chants et d'instruments par les meilleurs artistes du pays ont été également réalisés lors de cette collecte phonographique.
 

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La guerre mondiale et notre révolution : [dit en tchèque par l'auteur] / Edvard Beneš, voix parlée
M. Bénès (CNews) / photographie de presse : Agence Rol

 

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Musique slovaque de Myjava / Orchestre de Myjava [instruments à corde et cymbalum]
 

De nombreux contes, récits et coutumes ont été recueillis. Les récits abordent l'enfance, la vie quotidienne, mais proposent aussi des témoignages de la Première Guerre mondiale. Les coutumes (temps religieux, rites de passage, tel que celui du mariage par exemple) sont aussi bien narrées que chantées.
Ces enregistrements sont accompagnés de fiches d'enregistrements, de transcriptions ainsi que de notes d'analyses.

 

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Cendrillon [Popjelnča] : conte en serbe-lusacien / Pawo Wowčeŕk, voix parlée
Enregistrement et transcription

 

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Cinq chansons : [chant, une cornemuse, un violon, deux clarinettes]
Choeur de Chodsko, chant .-  Analyse du jeu musical

 

Lors de cette collecte, de nombreuses photographies ont été réalisées, permettant de connaître les visages des membres de l'équipe d'Hubert Pernot et bien entendu ceux des interprètes ayant été enregistrés, mais instruisent aussi sur les locaux et installations techniques ayant permis la réalisation de ces enregistrements praguois. Ces clichés permettent la visualisation des instruments traditionnels joués par les participants tchèques mais proposent également de multiples vues des costumes traditionnels de ces derniers.
 

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Enregistrement sonore. Légende en serbe de Lusace / Mina Witkojc, voix parlée (sorabe)
Coiffe et costume traditionnels féminins sorabes

Quelques rares photos en extérieur sont conservées. Certaines, malheureusement non annotées, laissent à penser qu'elles ont été prises lors des festivités liées aux célébrations historiques du millénaire de saint Venceslas, saint patron de la nation tchèque.
 

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Hubert Pernot (au centre) entouré d'interprètes tchèques (1929)

Les deux centaines de disques enregistrés dépassent donc ainsi largement le cadre du " folklore" en faisant également une large place aux discours politiques, aux interprétations d’artistes tchèques reconnus d'oeuvres artistiques ou encore aux témoignages personnels.
Tout comme lors de sa mission en Roumanie, Hubert Pernot apporte une grande attention à la qualité et à la documentation de ses enregistrements mais aussi au choix de ces derniers. Il enregistre certes des traditions musicales et orales, la vie quotidienne, un patrimoine artistique,... mais ses enregistrements sont aussi des instantanés de l'état d'esprit de cette jeune république tchèque et ceux des enjeux d'un rapprochement apaisé des différentes communautés culturelles réunies au sein de cette nation face à la montée des nationalismes. Construction que s'empressera de désagréger le régime hitlérien.
Le 23 novembre 1939, Hubert Pernot écrira ses Souvenirs de Tchécoslovaquie, court article sur sa rencontre avec la culture slave après la Première guerre mondiale, ses contacts avec Edvard Beneš lors de son séjour à Paris et la richesse complexe de la culture de la République tchèque. Contemporain du second grand cataclysme politique, armé et humain de cette première moitié du XXe siècle, Hubert Pernot conclura cet article sur ces mots, constat amer de l'échec des volontés et démarches pour une paix durable qui s'étaient manifestées après la Première Guerre mondiale  :
"Une des dernières nouvelles que j'ai reçues de Tchécoslovaquie date du mois du septembre de l'année dernière. C'était une simple carte postale. Elle ne contenait qu'une phrase, qui était un cri d'angoisse, pour ne pas dire plus. L'ami de la France qui me l'a envoyé est mort depuis, en voyant son pays asservi."

 

Les enregistrements de cette collecte et ses archives écrites et photographiques sont conservés par le département de l'Audiovisuel ainsi que l'ensemble des collections fondatrices et historiques des Archives de la Parole, du Musée de la parole et du geste et, plus largement, de l'histoire de l'enregistrement sonore.

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