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Le livre des Fontaines

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A partir du 18 mai et jusqu’au 25 septembre, se tient à la bibliothèque patrimoniale Villon à Rouen, une grande exposition sur l’un des manuscrits les plus précieux de la ville normande : le Livre des fontaines de Rouen. Ce célèbre manuscrit, commandité par Jacques Le Lieur, a été offert aux échevins de la capitale normande en 1526.

La grande vue de Rouen en 1525

Les armes de Jacques Le Lieur : D’or à la croix d’argent dentelée de gueules, et accompagnée de quatre têtes de léopards d’azur. 
Le Livre des Fontaines de Rouen, f°1v

Ce manuscrit extraordinaire, enrichi d’une planche longue de 1,37 mètres et de trois autres bandes de parchemin de plus de 3 mètres, est l’une des plus remarquables descriptions d’une grande ville au XVIe siècle, témoignage d’une Renaissance artistique et de la volonté d’administrer au mieux la ville.

Rouen, une ville renaissante

Occupée par les Anglais jusqu’en 1449, Rouen sort des conflits et des épidémies. Élu archevêque de Rouen en 1495, Georges d’Amboise embellit la ville, reconstruit l’archevêché de Rouen, et sous son impulsion et celle de son neveu l’archevêque Georges II d’Amboise, la ville s’enrichit et une acquiert une forte autonomie financière et politique.

Le tombeau des cardinaux d’Amboise, œuvre de la Renaissance à la cathédrale de Rouen. Réalisé à la mort de Georges 1er d’Amboise, on y ajoute à ses côté son neveu Georges II d’Amboise, quelques années plus tard.

Le Palais de Justice, de style Louis XII, est construit entre 1499 et 1507 ; l’Hôtel de Bourgtheroulde est du même style. L’église Saint-Maclou est achevée en 1517. Cette nouvelle architecture est mise en valeur dans le Livre des fontaines.

Dans sa Description historique des maisons de Rouen […], Eustache de La Quérière, admiratif du travail de Jacques Le Lieur, attire l’attention des Rouennais sur leur patrimoine, en particulier sur l’Hôtel de Bourtheroulde et ses bas-reliefs d’exception.Planche 13 bis, gravure d’Eustache-Hyacinthe Langlois, 1821

La Renaissance passe aussi par les livres, et la bourgeoisie rouennaise est friande de manuscrits enluminés. Le Maître de l’échevinage de Rouen, enlumineur actif à la fin du XVsiècle, est emblématique de ces artistes rouennais réputés. Dans ce Livre d’heures à l’usage de Rouen, il représente les commanditaires du manuscrit, des bourgeois de la paroisse de Saint-Herbland. Cet autre livre d’heures du XVème siècle reflète cette Renaissance artistique rouennaise.

Heures à l’usage de Rouen, f° 60r, scène de la Nativité, attribué au Maître de l’échevinage de Rouen.

Robert Boyvin, enlumineur prolifique, protégé de Georges d’Amboise, fut l’élève du Maître de l’échevinage. Ce manuscrit des Lettres à Lucilius de Sénèque, a appartenu à Georges II d’Amboise.
Ainsi, le manuscrit du Livre des fontaines, richement enluminé, s’inscrit pleinement dans ce contexte artistique extraordinaire.

Jacques Le Lieur, Prince des Palinods

Le Livre des fontaines n’aurait pas d’existence sans Jacques Le Lieur, figure emblématique de Rouen durant la première moitié du XVIe siècle. Notaire-secrétaire du roi, conseiller de la Ville et député aux Etats de Normandie, il est également poète et bibliophile. Jacques Le Lieur se plaît à composer des palinods, des poèmes en l’honneur de l’Immaculée Conception de la Vierge. Il est même élu Prince du Puy de l’Immaculée Conception, la confrérie des poètes, en 1544. De fait, on retrouve ses compositions aux côtés de celles de Clément Marot, dans des recueils de chants royaux couronnés, et Jacques Le Lieur se fait lui-même commanditaire de manuscrits palinodiques.

« Le beau dauphin qui ne fut jamais pris », enluminure pour un chant royal de Jacques Le Lieur, couronné au Puy de Rouen.

De 1519 à 1526, en tant que conseille-échevin, il est chargé de faire un état des lieux de l’approvisionnement en eau de sa ville, en raison de la mise en place des nouvelles captations des sources de Carville (1500) et de Yonville (1518). Reconnu d’utilité publique et d’intérêt stratégique, le manuscrit est « enchaîné » à un pupitre de la salle commune de l’Hôtel de ville afin d’être précieusement conservé, d’où le nom de « Livre enchaîné » par lequel il est aussi connu.

Jacques Le Lieu remet Le livre des Fontaines de Rouen aux échevins de la ville, le 30 janvier 1526.
Miniature centrale de La grande vue de Rouen.

Un monument de cartographie

Après une introduction sur la gestion de l’eau dans l’Antiquité romaine, Jacques Le Lieur fait l’éloge du cardinal Georges d’Amboise, qui a mené d’importants travaux hydrauliques. Il décrit ensuite les parcours des trois circuits d’eau, depuis les trois principales sources, jusqu’aux fontaines de la ville. Chaque description d’un circuit d’eau se termine par une longue bande de parchemin permettant de visualiser ce tracé. Le long de ces tracés, les rues et les monuments de Rouen sont représentés avec beaucoup de précisions, ce qui est une source fondamentale pour connaître les monuments aujourd’hui disparus.
La source Gaalor, la plus ancienne, est située au Nord de la ville. L’aqueduc antique souterrain passe au pied de la tour maîtresse du château de Bouvreuil, ou château de Rouen, où a été enfermée Jeanne d’Arc avant son exécution.

Le château de Bouvreuil sous lequel passe la source Gaalor. Construit par Philippe Auguste lors du rattachement de la Normandie au royaume de France en 1204, est démantelé à partir de 1591. Il en reste aujourd’hui le donjon, aussi appelé tour Jeanne d’Arc.

Quant au cours de la fontaine de Carville, il suit le Robec et l’Aubette, deux cours d’eau qui se jettent dans la Seine et sont à l’origine du riche passé industriel de Darnétal et de l’Est de Rouen, comme le montrent les moulins parsemant le parcours et subsistant, pour certains, encore aujourd’hui.

Le cours de la fontaine de Carville, le Robec et un de ses moulins

La source de Yonville est la dernière à être captée, à l’Ouest de la ville. Parmi les principaux quartiers sillonnés, la place du vieux marché est un des plus emblématiques.

Le cours de la fontaine de Yonville traverse la place du vieux marché, où se trouvent les halles de la boucherie, la fontaine et l’église Saint-Sauveur.

La restauration de la Grande Vue de Rouen

L’un des éléments les plus remarquables du Livre des fontaines est la Grande Vue de Rouen, et l’exposition « Retour aux sources » permet de valoriser ce précieux document restauré entre 2015 et 2016.

La Grande Vue de Rouen en 1525, restaurée du XIXe siècle puis en 2015-2016.

Or, cette œuvre longue de 1,37 mètres n’en est pas à sa première restauration. Vers 1840, Henry Barbet, maire de Rouen, décide de l’extraire du manuscrit. Elle semble en mauvais état, comme l’atteste le conservateur des Archives de l’époque : « cette peinture était dans un état déplorable, effacée par le temps dans un grand nombre d’endroits, coupée et noircie par les plis nombreux qu’avait nécessité son introduction dans le manuscrit dont elle faisait partie. Tachée par de larges maculatures, cette belle page était menacée d’une prochaine destruction. »
La restauration est alors confiée à Théodore de Jolimont, artiste normand déjà connu pour son intérêt pour les monuments seinomarins.

L’abbaye bénédictine rouennaise de Saint-Amand, par Théodore de Jolimont, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques pans de murs.

Au milieu du XIXe siècle, la restauration se fait interventionniste. L’aspect originel de l’œuvre ressemblait aux planches décrivant les cours des fontaines : des tons ocres, verts et bruns, des couleurs ténues. Théodore de Jolimont en a fait un tableau, l’aquarelle est repeinte à la gouache, aux couleurs soutenues. L’examen de 2015 nous a toutefois permis de constater que le tracé d’origine a été respecté par la restauration.
Mise à plat et encadrée, la Grande Vue intègre la bibliothèque de Rouen à son ouverture en 1888 et est exposée dans la « Galerie d’histoire locale ». Le Livre des fontaines et les sources intègrent la bibliothèque en 1905.
La restauration de 2015-2016 permet, grâce au nettoyage et à la stabilisation de la couche picturale, d’interrompre le processus de dégradation. La restauration de l’œuvre a été réalisée par l’atelier Coralie Barbe. Le cadre et le châssis bénéficient également d’une restauration, par Sylvain Lucchetta.
L’exposition permet ainsi au grand public de redécouvrir ces œuvres emblématiques de la ville de Rouen et s'accompagne d'une autre exposition aux Archives départementales, "Rouen retrouvée: une ville du Moyen-Âge à la Révolution".

Vue générale de la ville de Rouen en 1525, d’après le Livre des Fontaines, lithographie de Théodore de Jolimont. Les couleurs semblent plus proches de l’œuvre originale avant restauration.

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