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Le voyage rêvé

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18 mai 2020

Nous vous proposons de vous faire voyager dans l’espace et le temps, confortablement installés chez vous, en remontant aux origines du tourisme.
Prenons exemple sur Des Esseintes, dandy névrosé fin de siècle créé par Huysmans dans A rebours. Le voyage à Londres de Des Esseintes se situe entre le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre et le Tour du monde en quatre-vingt jours de Jules Verne. Le héros n’aura  en fin de compte parcouru que le trajet de la gare de Sceaux à la gare Saint-Lazare, alors qu’il avait prévu de prendre le train pour Dieppe puis le ferry pour Newhaven.

 

Et pourtant, il aura éprouvé toutes les expériences sensorielles d’un long voyage. Il rentre d’ailleurs chez lui, « ressentant l’éreintement physique et la fatigue morale d’un homme qui rejoint son chez soi, après un long et périlleux voyage. »  En quoi Des Esseintes a-t-il fait l’expérience d’un voyage à Londres ?
Des Esseintes, descendant d’une vieille famille en pleine décadence, décide de se retirer dans sa maison de Fontenay qu’il va décorer avec le plus grand raffinement. Il s’organise pour réduire ses contacts avec l’extérieur autant que possible. Confiné volontaire, il finit par tomber malade : 

Une fois de plus, cette solitude si ardemment enviée et enfin acquise, avait abouti à une détresse affreuse ; ce silence qui lui était autrefois apparu comme une compensation des sottises écoutées pendant des ans, lui pesait maintenant d’un poids insoutenable. Un matin, il s’était réveillé, agité ainsi qu’un prisonnier mis en cellule ; ses lèvres énervées remuaient pour articuler des sons, des larmes lui montaient aux yeux, il étouffait de même qu’un homme qui aurait sangloté pendant des heures.

  Il décide de partir en voyage à Londres, en raison de réminiscences de Dickens. Il va ensuite nourrir son imaginaire londonien par la lecture de guides de voyage.
La plupart des voyages commencent en effet par la lecture d’un guide. Ces guides conservés à la BnF constituent des sources précieuses pour comprendre les motivations des touristes et les représentations qu’ils se font des pays décrits. Chaque pays a développé une collection de guide de voyages au cours du XIXe siècle : les guides allemands Baedeker, les guides anglais Murray et les guides français Joanne, rachetés par Hachette en 1855 et qui deviendront les guides bleus. Des Esseintes se rend avant la gare à Galignani’ messsenger rue de Rivoli où il veut acheter un guide Baedeker ou Murray. Cette librairie spécialisée dans les ouvrages de langue anglaise et italienne publiait également une revue référençant les livres anglais :

Le guide lui permet de préparer son voyage à but culturel : Des Esseintes souhaite avant tout visiter les musées de Londres.
C’est dans cette librairie-salon de thé que Des Esseintes va rencontrer des Anglais, Anglais que nous retrouverons partout dans nos billets consacrés au tourisme. Créateurs du tourisme à travers le grand tour effectué par l’aristocratie anglaise, dotés d’un capital important grâce à la révolution industrielle, ils sont au XIXe siècle les touristes les plus nombreux. Les touristes anglais font l’objet d’une satire féroce, malgré l’admiration du dandy pour la culture et la mode anglaise.

 

 

On retrouve de telles descriptions des Anglais dans la plupart des livres de l’époque : aussi bien comme nous le verrons chez Daudet dans les Alpes avec Tartarin que chez Christophe, l’auteur de la Famille Fenouillard.
Le voyage est l’occasion d’observer des peuples étrangers, ce que la présence nombreuse de touristes anglais permet de faire, mais aussi de découvrir de nouvelles spécialités culinaires. Des Esseintes se rend ensuite dans une taverne près de la gare Saint-Lazare, où il déguste un dîner anglais : potage oxstail, haddock, rosbif aux pommes, stilton et tarte à la rhubarbe, le tout accompagné de deux pintes d’ale. Le dépaysement redonne de l’appétit au dandy névrosé qui ne parvenait plus à manger convenablement.
Autre sensation importante lors d’un voyage : l’atmosphère. Le temps pluvieux à Paris évoque pour Des Esseintes l’atmosphère du smog de Londres. Associé à la lecture de Dickens, la pluie et le brouillard font apparaître un paysage londonien : « Des Esseintes rêvait à son voyage »
 

Après ce dîner, exténué par toutes ces sensations, Des Esseintes n’a ni le courage, ni l’envie de se rendre à la gare et de partir réellement. Les prémisses lui ont suffi, d’autant qu’il se souvient de sa déception lors de son voyage aux Pays-Bas. Passionné comme son auteur de peinture hollandaise, il avait pensé retrouver les paysages et les ambiances qu’il aimait mais la réalité n’était pas à la hauteur de ses attentes. Le voyage parfait demeure le voyage rêvé, le voyage auquel nous invite Baudelaire, mais certainement pas les désagréments des transports et la déception inévitable face à la réalité du pays. Quelques années plus tard, Huysmans publiera dans un recueil, intitulé sobrement De tout, un texte sur les buffets des gares. Riche de l’expérience de Des Esseintes, le narrateur conclut :

N’être point marié et ne point partir, quelle allégresse, Seigneur ! Et j’avalais avec plus de résignation mon dangereux fricot, pensant que le mortel le plus heureux de la terre devait être le patron de ce buffet qui, dans ce tourbillon de gens affolés, ne bouge pas ; il ne voit, ce commerçant qui est chez lui, que des malheureux qui regrettent leur chez eux ; il devrait savourer davantage, par comparaison, son calme ; mais la vie est si mal ordonnée qu’il déplore sans doute de ne pouvoir s’absenter et errer au loin. Il doit avoir des goûts de nomade, ce casanier, rêver à de longues excursions alors qu’il se promène, une serviette sous le bras, le long du quai.

Casaniers qui rêvont à de longues excursions, nous vous invitons à voyager dans les collections de Gallica : les guides et les revues éditées par les stations thermales, balnéaires ou de sport d’hiver nous entraînent dans la nostalgie du tourisme du XIXe siècle. Mais le rêve est surtout alimenté par la publicité naissante pour les chemins de fer qui donne à voir des paysages enchanteurs. Nous vous proposons donc de découvrir ces affiches vantant le séjour sur la côte normande ou à Aix-les-Bains ainsi que différents documents accessibles sur Gallica dans notre série de billets sur le tourisme. Cette série sur le tourisme cherche à répondre à notre besoin d’évasion, de rêves d’ailleurs tout en vous proposant des destinations bientôt accessibles. Chacun de ces lieux correspond également à une forme de tourisme qui a connu son développement au cours du XIXe siècle et continue à être appréciée de nos jours : le tourisme culturel, les bains de mer, les loisirs sportifs, l’alpinisme, les stations thermales et leur vie mondaine.  

  • La côte normande _ auteur : Bertrand Tassou
  • Aix-les-Bains, « la reine des séjours et le séjour des reines »_ auteur : Laurence Jung
  • Mont-Oriol et l’Auvergne _ auteur : Bertrand Tassou
  • Les voyages de la famille Fenouillard _ auteur : Laurence Jung
  • Les Alpes avec Tartarin _ auteur : Bertrand Tassou
     

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