La musique médiévale à travers les manuscrits Polonsky
Au Moyen Âge, la musique traverse tous les groupes sociaux et unifie toutes les communautés. S’il est difficile de raconter la pratique instrumentale portée par les jongleurs dont on ne sait que très peu de choses, il est plus aisé en revanche de suivre les différentes étapes de son écriture.
D’abord orale, la musique occidentale fait, à partir de l’époque carolingienne, l’objet d’une écriture spécifique que l’on appelle la notation neumatique. Mise au point pour répondre à un besoin d’unification liturgique, la notation neumatique qui apparaît au IXe siècle se présente comme un ensemble de signes graphiques, accents, points, points virgules…, placés au-dessus des mots. Apparentés à un système de ponctuation, ces signes désignent le mouvement de la mélodie, ascendante ou descendante ; ils ont avant tout une fonction mnémotechnique pour les chanteurs.
Par la suite, cette écriture évolue, pour s’enrichir de nouveaux signes, notamment alphabétiques ; elle évolue aussi en fonction des pratiques régionales, qui privilégient, selon les endroits, tantôt le point tantôt l’accent.
La notation aquitaine, basée sur le point, était très pratiquée à Limoges et dans le Sud-Ouest de la France. Un exemple nous est fourni avec ce manuscrit méridional de la fin du Xe siècle contenant les Homélies de Grégoire le Grand sur Ezéchiel et provenant de Saint-Martial de Limoges : une main a ajouté au verso du dernier feuillet une invocation à saint Martial, notés en neumes aquitains :
Un autre exemple de notation, messine cette fois, mais utilisant le même système, figure dans ce Pontifical de Soissons du XIIe siècle qui contient des neumes lorrains :
Un changement majeur survient au XIe siècle avec l’apparition des lignes de portée sur lesquelles viennent s’inscrire les notations. Dans cette nouvelle notation dite diastématique, le point devient l’élément majeur. Au XIIe siècle, il prend une forme carrée, d’où l’appellation de notation carrée.
Ce lectionnaire du XIe siècle de Saint-Maur-des-Fossés présente deux spécimens de notations sur portée pour l’office de saint Maur :
Extrêmement savante, cette musique repose sur des intervalles mathématiques, essentiellement de quarte et de quinte. Deux traités, le De Musica de saint Augustin (qui propose une théorie de la sensation) et le De Institutione musica de Boèce (qui reprend l’héritage mathématique grec de la musique), en livrent les fondements théoriques. Ceux-ci demeureront durant tout le Moyen Âge deux références incontournables. Ce qui n’empêche pas la production, par la suite, d’autres traités de théorie musicale, comme ces passages théoriques sur la musique figurant dans un recueil de textes scientifiques d’origines diverses copiés aux XIe-XIIe siècles, parmi lesquels on trouve des fragments d’un graduel, d’un tropaire et d’un tonaire aquitain :
Cet autre manuscrit du XIe siècle de la British Library renferme, pour sa part, un bref traité sur le monocorde.
A côté des traités de théorie, le Moyen Âge nous a légué un immense corpus noté de musique religieuse dans les livres liturgiques et de chant destinés à l’office divin. Avant 1200, psautiers, pontificaux, antiphonaires, tropaires, prosaires, graduels… abondent en spécimens de notation musicale, soit dans le corps du texte soit en marge. Nombre d’entre eux ont été numérisés dans le cadre du programme Polonsky.
Ainsi ce somptueux missel de Saint-Denis, du XIe siècle, qui renferme plusieurs pièces de chant notées au temporal.
Ou ce lectionnaire de Saint-Germain-des-Prés, également du XIe siècle, dont les pièces en l’honneur de saint Germain sont notées :
Si elle est plus rare, et même si elle entend toujours se référer au chant chrétien, l’iconographie musicale présente dans ces manuscrits religieux puise ses sources d’inspiration visuelle essentiellement dans le monde profane. Sauf quelques rares exceptions, il faudra attendre le XIIIe siècle pour trouver dans les images des chantres. Les scènes musicales sont autant de moyens d’évoquer, soit par l’entremise d’un instrumentarium soit par l’intermédiaire de postures ou de mouvements corporels, la place centrale de la musique dans la culture et la vie des Chrétiens.
Le recueil de textes scientifiques cité plus haut renferme des représentations d’instruments, à la suite du traité rédigé vers 510 par Boèce, De institutione musica, qui offre une synthèse des conceptions pythagoricienne et platonicienne sur la musique:
Plus rares sont les représentations des musiciens, un remarquable exemple en est fourni par ce Graduel d’origine toulousaine, de la fin du XIe siècle. Dans ce manuscrit conservé à la British Library figurent de nombreuses personnifications des modes grégoriens qui jouent et dansent :
Pour aller plus loin :
- la base Manno, pour la notation neumatique
- la base Musiconis, pour les représentations du son et de la musique
- L'écriture de la musique, article de la British Library
Le programme de la Fondation Polonsky "France-Angleterre 700-1200 : manuscrits médiévaux de la Bibliothèque nationale de France et de la British Library" a permis la numérisation, la restauration, le catalogage ainsi que la valorisation scientifique de manuscrits d’une valeur inestimable, disponible sur le site France-Angleterre Manuscrits Médiévaux. Retrouvez ici tous les autres billets de la série "France-Angleterre 700-1200", et les billets dédiés au programme dans le Carnet de recherche Manuscripta !
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