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L’autoportrait au XXe siècle, tradition de la modernité ?

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18 mars 2023

Le XXsiècle s’est voulu celui de la modernité. Mais modernité et tradition ne sont-elles pas inséparables ? C’est ce que laissent entendre les autoportraits peints au cours de ce XXe siècle, qui n’aura pas été celui de toutes les remises en cause. Ces autoportraits seraient-ils la tradition de la modernité ?

Rembrandt, Portrait de Rembrandt faisant la moue, estampe, 1630

 
Si l’on revient sur la série d’autoportraits exécutée par Rembrandt, dont on compte une quarantaine de versions réalisées à l’huile et une trentaine de gravures et dessins, on découvre une véritable confrontation au miroir sans concession, affirmant la présence de l’artiste au travail, que vont reprendre à leur compte les artistes de la période moderne.

En effet, les nombreux autoportraits réalisés par Antonin Artaud sembleraient confirmer cette hypothèse. Chez cet artiste également écrivain, le corps témoigne de l’univers déchiré du poète, qui est confronté à l’appréhension du temps. En juillet 1946, l’écrivain notait : « Un jour viendra où je pourrai écrire entièrement ce que je pense dans la langue que depuis toujours je ne cesse de perfectionner comme venant de moi par ma douleur. »

Dans les pages de ses cahiers, Artaud trace un flux incessant des mots mêlés aux dessins. Dans ses nombreux autoportraits, l’écrivain transcrit une musique intérieure où résonne la guerre. Il élabore ainsi le jeu de sa propre représentation et de son dédoublement, à travers un jeu de masques comme dans l’autoportrait en Marat. Les yeux grands ouverts, les traits soulignés, émergeant d’ombres et d’encres, le poète apparaît en chaman.
 


Antonin Artaud : autoportrait en Marat, 1930

   
Au début du XXe siècle, de nombreux artistes semblent interroger le visage en rejouant des questionnements mis en place dès la Renaissance. Les jeux de miroirs, de travestissement, de dédoublements et l’affirmation d’une identité artistique sont repris pour mieux rappeler le lien de ces artistes avec les artistes anciens, même lorsqu’ils s’affranchissent de la tradition picturale. À toute époque, l’autoportrait fascine les peintres et leur permet de susciter de multiples interprétations pour le « regardeur », qui tente de saisir la psyché du peintre. Ainsi, lorsque des artistes se mettent en scène au travail dans leur autoportrait, ils s’inscrivent dans l’affirmation d’une présence en tant qu’artiste au sein de la société, comme le peintre espagnol Diego Vélasquez, lorsque celui-ci se peint aux côtés de la famille royale dans les Ménines.
   


Auguste Bréal, Velazquez, 1919, p. 210.

     

    
Les regards de Diego Vélasquez, de Nicolas Poussin ou d’Antoine Watteau partagent ce questionnement du regard sur soi, comme le rappelle Pascal Bonafoux en citant Paul Eluard dans Les Peintres et l’Autoportrait (1984) :

« Quand ils faisaient leur portrait, c’était en se regardant dans un miroir, sans songer qu’ils étaient eux-mêmes un miroir »

   


Nicolas Poussin, Autoportrait, gravé par Jean Pesne, 16..

   


Buste d'homme riant, dit, par tradition, Autoportrait de Watteau, Paris : J. Audran et F. Chéreau, 1728

     
En effet, « l’observation de soi » dans le miroir par l’artiste s’offre comme une véritable introspection au spectateur. Si la réussite des artistes est souvent mise en scène, afin d’affirmer un statut et une autonomie qui se sont développés au fil des siècles, les autoportraits ouvrent souvent sur des territoires inconnus et mettent en scène des angoisses. C’est le cas du peintre suédois Anders Zorn, qui a vécu en France et fréquenté le journaliste Antonin Proust, qui réalise des autoportraits à l’huile mais aussi gravés, au début du XXe siècle. Dès lors, « l’observation de soi » par l’artiste ouvre sur des territoires inconnus, sur l’inconscient et la confrontation aux pulsions. Il ne s’agit plus de revendiquer un statut social, celui d’être artiste, mais de montrer la prise de conscience de la condition humaine, dans toute la brutalité qu’elle peut comporter.
   


Anders Zorn, autoportrait, 1904

    
À la fin du XIXe siècle, des artistes s’essayent à de nouveaux mediums. Entre les années 1895 et 1896, Edgar Degas, qui a déjà expérimenté la gravure, comme Anders Zorn ou Rembrandt, manipule la chambre noire et effectue des prises de vue photographiques, enthousiasmé par les nouveaux champs de possibles qui se trouvaient brusquement ouverts par cet art qui commençait à peine à se démocratiser. En résultent quelques autoportraits révélant un peintre dans son quotidien, généralement réalisés en intérieur.
   

  

« Sa façon de dessiner et de peindre était si originale et si moderne que ses œuvres soutiennent sans difficulté la comparaison avec n’importe quels dessins et tableaux actuels » (Giorgio Vasari, à propos de Masaccio dans ses Vite, 1568).  

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