Cécile Sorel, la comtesse de Ségur au Casino de Paris
Bref retour sur une existence vécue tambour battant et sur les deux disques laissés par la comédienne.
Enregistrements de Cécile Sorel
Née le 7 septembre 1873, Cécile Sorel s’appelait en réalité Cécile-Emilie Seurre ; elle était la fille de Charles-Lazare Seurre et de son épouse Marie-Léontine Bernardel. Elevée dans une pension religieuse, la jeune Cécile acquit néanmoins très tôt le goût des planches, à la grande contrariété de ses parents. Elle avait notamment pour amie son aînée de huit ans, une jeune Yvette Guilbert, et il semble que c’est en accompagnant cette dernière à une audition au Théâtre des Variétés, boulevard Montmartre, qu’elle aurait été également engagée, ce qui lui permit de démarrer sa carrière. Pendant une dizaine d’années, Cécile Sorel se produisit sur plusieurs scènes (elle fut notamment la partenaire de Réjane au Vaudeville dans La Douloureuse de Maurice Donnay) avant d’être engagée à l’Odéon en 1899 puis à la Comédie-Française en 1901. Elle en devint la 339e sociétaire en 1904 et y exerça son art jusqu’en 1933
Cécile Sorel à l'age d'environ vingt-cinq ans par l'atelier Nadar
A la Comédie-Française, Cécile Sorel s’illustra dans des pièces du répertoire, telles que Les Caprices de Marianne ou Le Mariage de Figaro. Elle marqua le rôle de Célimène, dans Le Misanthrope, qu’elle joua 65 fois de 1903 à 1933 (de ses trente à ses soixante ans). Elle participa également à des créations de pièces d’auteurs contemporains célèbres alors et tombés dans un relatif oubli aujourd’hui, comme Henry Bataille ou Francis de Croisset.
En dehors de la scène, Cécile Sorel était connue pour ses amitiés dans les cercles artistiques et politiques (elle écrivit deux livres, une biographie d’Adrienne Lecouvreur en 1925 et Les belles heures de ma vie en 1946) et pour son fort caractère : elle aurait lacéré, dans une exposition de dessins, une caricature la représentant, « au nom de la beauté ».
Cécile Sorel dans "Le demi-monde", d' Alexandre Dumas fils / dessin de Yves Marevéry
Le 17 mai 1926, elle épousa le comte Guillaume de Ségur-Lamoignon (1889-1945), membre d’une importante famille connue depuis le 12e siècle au moins, descendant du Régent et arrière-petit-fils de la célèbre auteure de livres pour enfants. Également comédien, le mari de Cécile Sorel, sous le pseudonyme de Guillaume de Sax, joua entre 1937 et 1945 dans un certain nombre de films importants réalisés par de grands noms de l’époque tels que Jacques Feyder (Les gens du voyage, 1937), Raymond Bernard (J'étais une aventurière, 1938), Maurice Tourneur (La main du diable, 1942), Jean Delannoy (Pontcarral, colonel d'empire, 1942) ou Marcel L’Herbier (La vie de bohème, 1942). Ce ne fut pas le cas de son épouse qui ne joua que dans une poignée de films sans relief et préféra, une fois sa carrière à la Comédie-Française achevée, se tourner vers le Music-Hall, ce qui était alors inédit pour une ancienne sociétaire de la Maison de Molière et frisait l’encanaillement total. Elle accepta, en effet, d’être la vedette de la revue Vive Paris, au Casino de Paris et d’y jouer Célimène. A 60 ans, elle n’avait plus depuis longtemps l’âge du rôle et était la cible de multiples plaisanteries pour cette raison. Elle sut, cependant, mettre le public de son côté lors de la première le 14 mars 1933 lorsqu’après avoir descendu le fameux grand escalier de la scène du Casino, elle lança le mythique « L’ai-je bien descendu » qui devait entrer dans la légende et être prononcé, après elle, par toutes les vedettes faisant leurs débuts sur cette scène
Cécile Sorel dans son appartement du quai Voltaire
Mais les temps changeaient et les vedettes capricieuses issues de la Belle Epoque devaient finir par être reléguées dans le passé. En 1950, Mme de Ségur-Lamoignon, 77 ans et retirée de la scène, prononça ses vœux dans le tiers-ordre franciscain. Elle mourut à Trouville le 3 septembre 1966.
Le mercredi 22 novembre 1911, Cécile Sorel enregistre pour les Archives de la Parole deux disques, deux extraits du Misanthrope. La feuille d’enregistrement nous apprend qu’il fait ce jour-là 20° dans la pièce où est enregistré le disque et que le temps est couvert et brumeux. A 38 ans, Cécile Sorel est très loin d’être la vieille gloire sur le retour qu’elle deviendra par la suite et son enregistrement donne une idée précise du type de voix et d’interprétation prisées alors dans le premier théâtre de France. En apportant son concours à la mission de collecte que se sont fixées les Archives de la Parole, Cécile Sorel rejoint une poignée de personnalités diverses (Guillaume Apollinaire, Paul Fort, Alfred Dreyfus). Les Archives de la Parole sont alors une toute jeune organisation inaugurée le 3 juin 1911 et fondée, avec le mécénat d'Émile Pathé (1860-1937), par le grammairien et historien de la langue française Ferdinand Brunot (1860-1938). Grâce au phonographe, ces Archives se veulent un lieu d'enregistrement et de conservation de la langue parlée, Brunot voulant enregistrer "la parole au timbre juste, au rythme impeccable, à l'accent pur" comme "la parole nuancée d'accents faubourien ou provincial". Entre 1911 et 1914, Brunot va mener plusieurs enquêtes phonographiques d’importance, dans les Ardennes en juin-juillet 1912, dans le Berry en juin 1913 et dans le Limousin en août 1913. Tous les disques ont l’aspect de celui qu’a enregistré Cécile Sorel : il s’agit de lourds disques monoface de 35 cm de diamètre tournant à 90 tours par minute. L’enregistrement et son écoute se font encore sans amplification électrique qui n’apparaitra qu’au mi-temps des années 20 et amènera la vitesse de rotation à une standardisation de 78 tours par minute. Enfin, l’étiquette centrale en papier n’existe pas encore et les informations sont écrites à même le disque, au centre du disque.
Sur le premier des deux disques, on entend surtout la voix de René du Minil (1868-1941). Dans le rôle d'Arsinoé, la comédienne, entrée à la Comédie-Française à dix-huit ans en 1886, dit la première tirade de la scène IV de l'acte III, après un bref échange avec Célimène. Le second disque est tout entier dévolu à Cécile Sorel qui y grave la réponse de Célimène à Arsinoé dans la même scène.
Le Misanthrope, Acte III, Scène 4 (vers 913-960), par Cécile Sorel
Fermons les yeux, transportons-nous en 1911 et écoutons maintenant Cécile Sorel.
Pour aller plus loin :
Commentaires
cécile Sorel
Vous êtes sûr qu'elle joue dans La Main du diable?
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