Ces dames baroques : Elisabeth Jacquet de la Guerre et Antonia Bembo
Gallica accompagne les concerts de la saison musicale européenne de la BnF en vous faisant découvrir des pièces de ses collections ayant un rapport avec les œuvres au programme. À l'occasion du concert de ce mardi 21 novembre, nous vous présentons des manuscrits d'Elisabeth Jacquet de la Guerre et d'Antonia Bembo, deux compositrices de l'époque baroque.
La BnF et Radio France poursuivent la série des Saisons musicales européennes commencée en 2022. La troisième saison, organisée en partenariat avec l'association Elles Women Composers, met à l'honneur des femmes compositrices. Au programme du concert du mardi 21 novembre à l'Arsenal figurent des œuvres d'Elisabeth Jacquet de la Guerre (extraits de la tragédie lyrique Céphale et Procris et une Sonate en trio) et d'Antonia Bembo (pièces issues du recueil des Produzioni armoniche). Ces deux compositrices de la période baroque, l'une française et l'autre italienne, ont en commun d'avoir été des protégées de Louis XIV.
Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729)
Elisabeth avait composé quelques pièces de musique vocale durant ses années versaillaises. En 1687, elle fait paraître un Premier livre de pièces pour clavessin qui est sa première œuvre publiée. En 1691 ou 1692, elle écrit les Jeux à l’honneur de la victoire, un divertissement relevant du genre de l’opéra-ballet, pour célébrer de récents triomphes militaires de Louis XIV ; la musique en est aujourd’hui perdue, mais le texte de cette œuvre a été conservé dans un livret manuscrit. La compositrice laisse dans ce livret une dédicace au Roi où elle exprime une certaine fierté d’avoir été la première femme à composer un opéra entier, du moins en France : « Ce n’est pas d’aujourd’huy que des femmes […] ont donné d’excellentes Pièces de poësie, qui ont eü un très grand succès. Mais jusqu’icy Nulle n’a essaïé de mettre tout un Opéra en Musique ».
Il faut signaler qu’à cette date, Elisabeth Jacquet de la Guerre est déjà considérée comme une compositrice de première importance. En décembre 1691, le Mercure galant fait paraître une épître attribuée fictivement à Jean-Baptiste Lully (en fait mort en 1687), qui la déclare « première musicienne du monde » et rend un vibrant hommage à ses talents :
Céphale & Procris
En 1694, Jacquet de la Guerre fait représenter un nouvel opéra, Céphale et Procris, sur un sujet tiré des Métamorphoses d’Ovide. Compte tenu de la réputation de la compositrice, et de l’estime où la tient personnellement Louis XIV, les attentes sont grandes ; hélas, l’échec rencontré par la pièce n’en sera que plus retentissant : celle-ci essuie des critiques particulièrement acerbes et ne connaît que cinq ou six représentations. Peut-être le livret du jeune Duché de Vancy, assez peu inspiré, n’a-t-il pas aidé la compositrice à donner le meilleur d’elle-même. Par ailleurs, il faut se rappeler qu’à l’époque l’opéra français sort encore péniblement de l’ombre de Lully, qui avait exercé un véritable règne dans ce domaine.
Le département de la Musique de la BnF conserve aujourd’hui deux manuscrits de la musique de Céphale et Procris. Tous deux proviennent de la collection du chanoine Sébastien de Brossard (1655-1730), un compositeur, copiste et collectionneur de musique dont les fonds sont devenus depuis un des piliers des collections musicales de la Bibliothèque nationale. L’un des deux manuscrits de Céphale et Procris est un ensemble de huit parties instrumentales séparées, probablement établies et utilisées pour les représentations de l’opéra de 1694 :
Le second manuscrit est une partition du Prologue de l’œuvre, de la main de Sébastien de Brossard lui-même ; Brossard, en effet, réalisait couramment des copies d’œuvres créées à l’époque afin d’alimenter le répertoire de l’Académie de musique de Strasbourg qu’il avait fondée en 1687 et qu’il dirigeait. C’est dans ce cadre qu’a été rejoué le Prologue de Céphale et Procris en 1696.
Antonia Bembo, née Padoani vers 1640, est la fille du docteur Giacomo Padoani, un médecin vénitien d’origine modeste, mais devenu assez fortuné pour lui offrir une éducation musicale auprès de maîtres réputés. Elle manifeste rapidement des talents d’enfant prodige, en particulier pour le chant lyrique.
Par son mariage avec Lorenzo Bembo en 1659, la jeune Antonia devient membre par alliance d’une des plus anciennes familles de l’aristocratie vénitienne (les « Case vecchie »). Un des illustres membres de cette famille fut le cardinal Pietro Bembo (1470-1547), poète connu pour avoir contribué à codifier la langue italienne moderne, et grandement influencé le développement du genre du madrigal, forme majeure de la musique vocale italienne du XVIe siècle.
Produzioni armoniche
Le manuscrit, accepté comme présent par le Roi, a été relié pour intégrer sa bibliothèque : le plat de la reliure en maroquin rouge porte en effet les armes de Louis XIV, ainsi que son monogramme royal « L ».
Les 41 pièces que comprend le recueil des Produzioni armoniche sont d’inspiration variée : à une majorité d’arias en langue italienne, écrits sur des sujets galants, se mêlent quelques cantates spirituelles et des motets latins. Parmi les arias, certains ont paru refléter les circonstances biographiques ayant entouré leur composition. Ainsi le n°15 du recueil, « Cliza amante del Sol », nous montre la nymphe Clytie, « loin de sa terre natale » et « abandonnée par la Fortune », implorer la bienveillance du dieu Hélios, le Soleil – dans un étonnant parallèle avec la situation d’Antonia Bembo, tout juste arrivée de Venise à Paris, qui quémandait la générosité de Louis XIV, le Roi-Soleil…
Références bibliographiques
- CESSAC Catherine, Elisabeth Jacquet de la Guerre : une femme compositeur sous le règne de Louis XIV. Arles, Actes Sud, 1995
- FONTIJN Claire Anne, Desperate mesaures : the life and music of Antonia Padoani Bembo. Oxford University Press, 2006
- ROKSETH Yvonne, « Antonia Bembo, composer to Louis XIV », The Musical quarterly, 1937
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