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L’Eloge de la boxe par Maurice Maeterlinck

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17 octobre 2024

À l'occasion des Olympiades culturelles découvrons un aspect méconnu de l'oeuvre de Maurice Maeterlinck (1862-1949), un auteur belge francophone à la fois esthète et athlète : L'Éloge de la boxe (1950).

Agence Rol, 11-10-13, Luna-Park, match Carpentier-Jeff Smith.

Contemplez [...] deux boxeurs : pas de mots inutiles, pas de tâtonnements, pas de colère; le calme de deux certitudes qui savent ce qu'il faut faire.

 

Maurice Maeterlinck, esthète et athlète

Un éloge de la boxe peut surprendre, de la part d’un écrivain réputé introverti, figure du symbolisme belge, héritier du romantisme allemand et de la mystique rhéno-flamande, traducteur et exégète de premier plan des œuvres de Novalis et de Jan Van Ruysbroeck, qui a consacré l’essentiel de son œuvre à élaborer une science de la vie intérieure. Que peut dire l’écrivain du Trésor des humbles, tout entier voué aux secrètes victoires du silence et de la douceur, du triomphe spectaculaire de la force sur un ring de boxe ?
 

Extrait de L’art de la boxe (1899) de J. Charlemont, le premier auteur d’un « traité de la boxe française » ;
manuel qu’a sans doute connu et lu par Maeterlinck.
Pelléas et Mélisande, affiche, d'après Georges Rochegrosse, 1902.
 

Maurice Maeterlinck est d’abord célèbre comme dramaturge de l’âme, cette « contrée des Splendeurs et des Terreurs », où des personnages de conte – comme La Princesse Maleine, l’Oiseau bleu ou Pelléas et Mélissande – agissent magiquement sur une scène onirique. Mais Maurice Maeterlinck fut aussi un naturaliste passionné, consacrant deux livres – et beaucoup de pratique - à La Vie des abeilles et à L’Intelligence des fleurs, où il mêle un sens de l’observation remarquable à une intuition intellectuelle profonde de la vie organique. Suivant une tradition romantique qui n’est pas sans rappeler Jules Michelet (par exemple La Mer), Maeterlinck place l’esprit et la chair dans un continuum, où les mouvements de l’âme affleurent dans les tressaillements, les repos, comme dans les coups d’éclat de la vie physique.

Loin de mépriser la vie matérielle, le prix Nobel de littérature 1911 se passionnait pour la science, la technique et le sport. C’est ce que révèlent les reportages de l’époque, à l’affût d’informations biographiques sur le jeune prodige belge : un article de l’Excelsior du 11 novembre 1911 le décrit comme « un mystique équilibré », tandis que son train de vie de sportif apparaît nettement dans un entretien, assez cocasse, réalisé par Jules Huret sur L’Evolution de la vie littéraire. « Oui, j'ai un appétit féroce, me dit-il. C'est que je fais beaucoup d'exercices physiques, canotage, haltères ; l'hiver, je patine, je vais souvent jusqu'à Bruges, et même en Hollande, sur la glace ; le bicycle, tous les jours, quand je ne plaide pas. Mais je plaide si rarement ! ». Jean Cocteau, tout aussi étonné de trouver chez Maeterlinck cette rare alliance de l’esthète et de l’athlète, écrit à son propos : « il était habité par un ange. Mais jamais ange ne sut mieux se travestir pour évoluer parmi les hommes sous une apparence de businessman robuste et sportif. » (« Les deux Maeterlinck » in Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques1er novembre 1962).


M. Maeterlinck, L'Eloge de la boxe in L'Intelligence des Fleurs, Paris, 1950.

 

La boxe au confluent de l’art et de la nature

Originaire de Gand, Maeterlinck se décrit lui-même comme « bon boxeur (dans Bulles Bleues, son livre de souvenirs). Il a notamment pratiqué ce sport avec Georges Carpentier, le premier champion du monde français de boxe anglaise et l’un des meilleurs boxeurs de l’histoire de France. C’est à l’intérieur de l’une de ses œuvres « naturaliste », L’Intelligence des fleurs, que figure son éloge de ce sport. Maeterlinck considère la boxe comme l’art d’utiliser l’arme organique par excellence du corps humain : le poing, « qui est à l'homme ce que la corne est au taureau et au lion la griffe et la dent ».

 

  
Chadel, Jules, Tête de taureau, 1934
Balzac, Charles-Louis, Memphis : poing d'un colosse, s.d.
 

Ce qui intéresse Maeterlinck dans la boxe, c’est la reconstitution par l’art de ce qui manque cruellement à l’homme, « ce pauvre organisme d'où la vie tend à s'échapper de toutes parts », à savoir la capacité de donner un coup « mécaniquement et anatomiquement imperfectible ». L’art de la boxe consiste à forger une arme aussi redoutable que celle des meilleurs prédateurs, en remplaçant l’infaillibilité anatomique et instinctive de l’animal par le calme de la certitude émanant d’une posture défensive anatomiquement réglée. La garde incarne pour Maeterlinck une attitude de force concentrée, autrement dit un maximum d’économie d’énergie cinétique, à l’opposé de la dépense désordonnée dont le combat de rue sans technique offre le spectacle.

 

 
Agence Rol, Georges Carpentier, boxeur, 1911.

« L'attitude athlétique de la garde, l'une des plus belles du corps viril, met logiquement en valeur tous les muscles de l'organisme. Aucune parcelle de force qui de la tête aux pieds puisse encore s'égarer. »

Maeterlinck s’inscrit là en droite ligne de l’héritage aristocratique de ce sport apparu en France au XIXe siècle dans la tradition de l'escrime française, dont elle reprend le vocabulaire et l'esprit. La boxe anglaise est aussi appelée le « noble art » en raison des règles qui furent définies au XIXe siècle par le noble anglais Jack Broughton. Il est intéressant de lire en regard de l’éloge de la boxe de Maeterlinck, celui qu’il fait de l’épée. On comprend ainsi qu’il écrit son éloge de la boxe comme celui d’un art aristocratique de la guerre « naturelle ».

Par la douce et secrète assurance qu’elle donne au corps entraîné et sûr de sa puissance, la boxe selon Maeterlinck est une forme de maîtrise des passions : « le courage, l'orgueil, la vanité, la fierté, l'amour-propre, tous les grands seigneurs magnifiques, mais irresponsables », qui déchirent l’unité du « moi » dans la querelle de l’impuissant, se pacifient dans la calme certitude du boxeur qui porte la victoire en puissance par sa seule maîtrise posturale. Au summum de l’art du boxeur se dégage de son poing une aura qui agit sans agir, par dissuasion de l’adversaire… Ainsi Maeterlinck est une sorte de boxeur taoïste.

Et c’est in fine une éthique qui gouverne cet art du corps, puisqu’il puise sa force à la « source de justice ». La boxe est ultimement un art de la dissuasion : « Il peut sembler paradoxal, mais il est facile de constater que l'art de la boxe, là où il est généralement pratiqué et cultivé, devient un gage de paix et de mansuétude. » La boxe est un trait d’union supplémentaire de la chair et à l’esprit, où l’amour du Juste, du Beau et du Vrai cher à Maeterlinck se conjugue à une technique corporelle.
 


Agence Rol, M. [Maurice] Maeterlinck, 1923.

 

Pour aller plus loin :

Estampes et Photographies 
Manuels de boxe


L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques.
La série "
Histoire du sport en 52 épisodes" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.

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