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Camouflage et invisibilité : l’art du faux-semblant

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Qui n’a jamais rêvé d’être invisible ? Au début du 20ème siècle, des écrivains racontent des histoires d’êtres et d’objets invisibles. Puis une poignée d’artistes, durant la Première guerre mondiale, tentent de rendre invisibles des armées entières grâce à une nouvelle discipline : le camouflage.

La Baïonnette, 23 août 1917

L’invisibilité fait bien entendu penser à un roman d’Herbert George Wells, L’homme invisible. Son contemporain Jules Verne illustre aussi ce thème avec Le secret de Wilhelm Storitz. Les écrivains rendent invisibles les hommes mais aussi d’autres espèces et même des objets. Les titres en sont évocateurs comme Monsieur… Rien : aventures extraordinaires d’un homme invisible, par Louis Boussenard.

Maurice Renard, dans Le Péril bleu, met en scène des êtres invisibles vivant dans la haute atmosphère. Ils viennent explorer la surface de la Terre, prélevant des spécimens pour les étudier. Ceci explique les mystérieuses disparitions survenues alors dans la campagne du Bugey.
Pour échapper aux regards, il suffit de monter à bord d’un véhicule aux couleurs changeantes comme dans L’Automobile de verre de Paul d’Ivoi. Autre technique : le mimétisme, utilisée par l’homme-caméléon, aviateur naufragé qui s’est confectionné un costume en peau de caméléon.

Plantes et animaux pratiquent en effet le camouflage, se fondant dans le décor naturel par leur couleur ou leur forme. Phasme et phyllie prennent la forme d’une branche ou d’une feuille tandis que seiche ou caméléon peuvent changer de couleur. Ce principe va inspirer les militaires.
A la fin du 19ème siècle, la portée et la puissance des canons et des fusils augmentent. Le feu décime les armées avant même qu’elles ne soient en contact direct. Les soldats deviennent des cibles faciles quand ils portent des couleurs voyantes comme les pantalons garance de l’armée française. Les armées européennes adoptent des couleurs plus discrètes dans la première décennie du 20ème siècle : kaki en Grande-Bretagne, vert-de-gris en Allemagne, gris brochet en Autriche-Hongrie, gris-vert en Italie. Un uniforme réséda est proposé à l’armée française en 1910 mais abandonné car sifflé par le public lors d’un défilé. Il ressemble trop à l’uniforme allemand.

Après quelques mois de guerre de mouvement très meurtrière, les armées s’enterrent dans les tranchées. L’art de la dissimulation devient une nécessité pour des armées statiques. En 1915, l’armée française passe à l’uniforme bleu horizon, moins voyant. En septembre 1914, le peintre lorrain Louis Guingot propose sa tenue léopard à l’état-major qui la refuse. Une section de camouflage est créée en août 1915, regroupant des artistes : des décorateurs de théâtre (Émile Bertin), des sculpteurs (Paul Landowski), des illustrateurs (Joseph Pinchon, le créateur de Bécassine), des peintres (Jean-Louis Forain, André Dunoyer de Segonzac, André Mare)… Elle est dirigée par le peintre Guirand de Scévola. En Allemagne, des peintres du Cavalier bleu comme Franz Marc rejoignent aussi les services de camouflage.

Dans leurs ateliers, des milliers d’artistes et d’ouvriers se mettent à produire des tenues camouflées puis à dissimuler des canons, des véhicules, des bateaux et même des sites entiers. Le combattant fait preuve lui aussi d’imagination comme ce Turc déguisé en buisson. Le principe du camouflage est l’imitation du milieu naturel, déjà pratiqué par les chasseurs. Mais les peintres cubistes qui décomposent les formes dans leurs œuvres apportent des solutions originales comme ces motifs hexagonaux utilisés sur les avions allemands. Dans le cas des navires qui se détachent sur le fond uni de la mer, il faut agir sur les formes, rompre la silhouette, faire prendre la proue pour la poupe, d’où ces motifs zébrés.

L’inventivité des camoufleurs n’a pas de bornes : les chevaux blancs sont peints en brun avec du permanganate de potassium pour être moins visibles la nuit. Tous les véhicules se voient recouvrir de peinture ou de filets : char, automitrailleuse, train… Les sites reçoivent les mêmes protections : tranchée, abri pour le personnel, nid de mitrailleuse, batterie d’artillerie, aérodrome… Les voies de communications sont aussi concernées : rue, route, voie ferrée.

Dans la guerre de tranchées, la connaissance des positions ennemies est décisive, mais tout observatoire devient une cible pour l’ennemi. Il faut donc ruser en dissimulant des périscopes dans des arbres, ou bien des postes d’observation dans un tronc creusé, et même dans un cadavre de cheval aménagé. Des décorateurs de théâtre mettent au point la substitution d’arbres par leur parfaite copie recelant un observatoire blindé sur le modèle des guérites blindées installées dans les tranchées.
Un autre aspect du camouflage est le leurre pour attirer sur lui les troupes et les tirs ennemis. Du canon formé d’un tronc d’arbre au mannequin de tranchée s’ajoutent le faux char ou le faux navire. L’ennemi est attiré sur de fausses pistes, suit de fausses voies de chemin de fer, contourne de faux trous d’obus ou un faux pont détruit. Mais le dispositif le plus fascinant est la création d’un faux Paris pour détourner sur lui les tirs et bombardements des Zeppelins, bombardiers et autres canons géants. Dans la région d’Herblay, les boulevards parisiens sont mimés par des lampes à acétylène tandis que des constructions sommaires figurent les grandes gares parisiennes.
 La leçon de la Première guerre mondiale ne sera pas oubliée par les armées. Souvenons-nous des chars gonflables de l’Opération Fortitude qui leurra les Allemands en 1944 lors du débarquement en Normandie. Il suffit parfois de quelques fumigènes pour entretenir le brouillard de la guerre.

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