Coloriages pour la jeunesse (3) : l'enfant créateur

Ce n’est guère qu’à l’âge de douze ans que Marc a commencé à faire des portraits. Oh, il n’y est pas arrivé du premier coup ! Il a longtemps fait d’informes barbouillages. Ses premières têtes ressemblaient à des pommes de terre. Sa spécialité, avant de s’adonner au portrait, était de dessiner des trains. C’était son plaisir favori, à cause de la fumée qu’il réussissait particulièrement. Luc Mégret, Trois petits artistes : histoire à imager : cahier de dessin et de coloriage, 1917.

À l'origine, ces livres de coloriage étaient plutôt réservés à une élite. Le papier utilisé ainsi que les modes d'impression, souvent en recto seul pour les plus belles éditions, gardent la mémoire de ce que « colorier » signifiait avant l'arrivée des feutres. Le coloriage était un exercice délicat, à l'aquarelle ou à la gouache, où le repentir n'était pas possible, la patience de mise, et où l'eau du pinceau devait être bien dosée pour ne pas détremper plusieurs pages. C'est ainsi que sur bon nombre de couvertures du XIX^e et du début du XX^e siècles, on voit des enfants appliqués, soigneux, installés à leur table ou en plein air, le carton à dessin sous le bras, ou sous le regard des frères et sœurs plus expérimentés, plus ou moins bienveillants. Les titres de collections ne varient guère : « petit artiste », « futur artiste », « petit coloriste », l'enfant destinataire est bien au cœur des préoccupations, ainsi que la notion d'apprentissage, avec une gradation de la difficulté. C'est au départ surtout un exercice pour demoiselles et pour enfants d'au moins 6 ans (que l'on appelle alors encore « bébé », comme dans Bébé grand artiste ou les Nouveaux pinceaux de bébé), et non pour de tout jeunes enfants.

Jylbert, Les toutous : album à colorier, 1950.

Par contraste avec cet exercice d’application et de patience, les couvertures montrent également des artistes en herbe malicieux, cousins des enfants terribles de la littérature pour la jeunesse, qui n’hésitent pas à barbouiller leurs jouets… quand ce n’est pas le modèle lui-même qui fait des bêtises. Les taches et le matériel de peinture viennent également apporter une précieuse touche d’humour : le tube de peinture sur lequel on appuie peut déborder sur la quatrième de couverture ou former les lettres du titre. Les animaux familiers de l’enfant peuvent également avoir envie de le remplacer, pour le meilleur et pour le pire.

Album à colorier : jeux et jouets

Pour finir, partons à la rencontre des petits collaborateurs anonymes, qui ont, parfois il y a longtemps, dessiné, orné, colorié tout ou partie des exemplaires. Ces traces d’appropriation n’existent pas sur les exemplaires conservés à la BnF, et c’est tout l’intérêt de la numérisation concertée que de nous permettre d’entrevoir ces moments de créativité spontanée : planches coloriées à la peinture ou au crayon, essais de couleurs, mais aussi ajouts personnels qui ont débordé des modèles.
 
Pour aller plus loin :
Livret et vidéos de l’exposition « Haut en couleurs, laboratoire du coloriage », 21 novembre 2017 au 14 janvier 2018, à partir des collections du fonds patrimonial Heure Joyeuse, à la Médiathèque Françoise-Sagan (Paris Xe).
Hélène Valotteau. "Laboratoire du coloriage : exploration en images d'un genre bien particulier", La Revue des livres pour enfants, n°300, avril 2018, p. 157-163.
Choix de coloriages numérisés sur Flickr, proposé par la médiathèque Françoise-Sagan
Bibliographie de livres de coloriage et d’activités contemporains proposée par le Centre national de la littérature pour la jeunesse