Portrait en buste d'A. Perret par Bourdelle in Jamot, Paul, A. G. Perret et l'architecture du béton armé, 1929.
Toujours à Paris, il fait la connaissance du peintre Amédée Ozenfant avec qui il théorise le purisme, un mouvement artistique pensé en réaction aux abstractions excessives du cubisme et aux délires dadaïstes. En 1918, ils publient le court essai Après le cubisme qui trace les grandes lignes de cette nouvelle doctrine esthétique prônant un retour à l’ordre, à la rigueur des formes et à la simplicité du dessin. Bref, à un art « pur » et « rationnel » qui fait écho au nouvel ordre social et économique de la société post-Première Guerre mondiale.
Ils approfondissent ces théories dans le magazine L'Esprit Nouveau qu’ils créent ensemble en 1920 avec la volonté de « faire comprendre l’esprit qui anime l’époque contemporaine ; faire saisir la beauté de cette époque, l’originalité de son esprit […]. Présenter, commenter clairement les œuvres, les recherches, les idées de ceux qui aujourd’hui conduisent notre civilisation », comme on peut le lire en ouverture du premier numéro.
Premier article sur le purisme par Amédée Ozenfant et Charles-Edouard Jeanneret (Le Corbusier), in L'Esprit nouveau (n°4, 1922)
Pendant plusieurs années, Le Corbusier multiplie les textes pour la revue, dépassant le cadre de l’art pour exposer sa conception de l’architecture. Des textes qui constituent le socle du livre Vers une architecture qui parait quelques années plus tard et fait rapidement grand bruit chez les professionnels. Il s’impose comme un véritable manifeste du Mouvement moderne, un courant de l’architecture qui rejette le conservatisme en prônant le minimalisme, la pureté des lignes géométriques et l’appel aux techniques industrielles nouvelles, notamment des matériaux bruts comme l’acier et le béton.
Annonce dans Le Mercure du France du 15 novembre 1923.
Malgré le sujet, l’ensemble est empreint d’un certain style, d’une certaine poésie. Pour Reyner Banham, le fameux critique architectural, l’ouvrage est « le seul écrit sur l'architecture qui sera classé parmi les grandes œuvres littéraires du XXe siècle.» Dès les premières pages, le ton est donné : « L'architecture, c'est, avec des matériaux bruts, établir des rapports émouvants. L'architecture est au delà des choses utilitaires. L'architecture est chose de plastique. Esprit d'ordre, unité d'intention. Le sens des rapports ; l'architecture gère des quantités. La passion fait, des pierres inertes, un drame. »
Objet curieux, le livre désarçonne par sa forme qui mêle slogans chocs édictés en début de chapitre et réflexions sur les choses du métier (le volume, la surface, le plan…) mais aussi plus largement sur les paquebots, les autos, les avions, l’ingénierie, la production de masse ou la politique du logement, énoncées de façon volontairement provocatrice et anti conformiste pour l’époque – la dernière partie est d’ailleurs baptisée Architecture ou révolution. « Une grande époque vient de commencer », écrit Le Corbusier. « Il existe un esprit nouveau […]. L'architecture a pour premier devoir, dans une époque de renouvellement, d'opérer la révision des valeurs, la révision des éléments constitutifs de la maison. La série est basée sur l'analyse et l'expérimentation. La grande industrie doit s'occuper du bâtiment et établir en série les éléments de la maison. Il faut créer l'état d'esprit de la série. L'état d'esprit de construire des maisons en série, L'état d'esprit d'habiter des maisons en série. L'état d'esprit de concevoir des maisons en série. Si l'on arrache de son cœur et de son esprit les concepts immobiles de la maison et qu'on envisage la question d'un point de vue critique et objectif, on arrivera à la maison-outil, maison en série, saine (et moralement aussi) et belle de l'esthétique des outils de travail qui accompagnent notre existence. »
Le succès que remporte l’ouvrage va avoir d’importantes répercussions sur la carrière de l’auteur, faisant en quelque sorte office de carte de visite idéale. Associé à son cousin Pierre Jeanneret avec qui il créé son agence d’architecte, il n’aura de cesse d’appliquer dans la réalité ses préceptes audacieux qu’il complète avec la publication des ouvrages L'Art décoratif d'aujourd'hui et Urbanisme. Des préceptes qui prennent la forme de « cités radieuses », « machines à habiter », « maisons-sculptures » ou « villas puristes » dont l’exemple le plus célèbre reste la villa Savoye, un édifice qu’il façonne pour un couple fortuné en 1928 avec Pierre Jeanneret.
Photographies tirées de l'article "Le Corbusier et l'architecture contemporaine"
de S. Giedion, in Cahiers d'art : bulletin mensuel d'actualité artistique (1930)
Le bâtiment est une brillante application des « cinq points d’une architecture moderne » établis par l’artiste un an auparavant : les pilotis, le toit-jardin, le plan libre, la fenêtre en bandeau et la façade libre. Avec toujours le béton armé, le verre et l’acier en guise de principaux matériaux, les lignes épurées et l’absence d’ornement sur les façades. Car « Là où naît l'ordre, naît le bien-être », répète-t-il, proposant une vision mêlée d’utopisme et de considérations sur le bonheur. La villa Savoye et plus largement les « cinq points d’une architecture moderne » tout comme les enseignements de Vers une architecture seront une source d’inspiration - parfois d’interrogation - pour les architectes de l’époque - Oscar Niemeyer en tête - mais aussi pour les générations suivantes.
Pour la critique d’art Elisabeth Vedrenne, auteur d’un livre sur le sujet, « Le Corbusier a inventé un style qui a transformé nos vies. Les appartements clairs, en duplex, aérés et baignés de lumière, la circulation fluide et le confort sonore, de beaux volumes mis en valeur par un mobilier sobre et élégant... Tous les architectes contemporains lui doivent quelque chose, en bien comme en mal. »
En mal, car certains lui reprochent son austérité et son approche fonctionnaliste trop radicale, l’accusant d’être indirectement responsable des maux sociétaux de notre époque symbolisés notamment par de grandes barres d’immeubles jugées inhumaines. En effet, après les villas blanches réalisées pour des particuliers, Le Corbusier décida de repenser l’habitat collectif et c’est cette contribution – irradiant fortement sur l’ensemble des logements sociaux du territoire - que la majorité retiendra, en premier lieu l’unité d’habitation de Marseille dite Cité radieuse qu’il conçoit pourtant dans le but d’offrir des logements de qualité à faible coût au plus grand nombre après la Seconde Guerre mondiale.
La Cité radieuse fut inscrite en 2016 sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco en tant que témoignage du « génie créateur humain », tout comme seize autres sites conçus par Le Corbusier à travers le monde - de la maison La Roche en France au Musée national des beaux-arts de l’Occident au Japon en passant par la maison du docteur Curutchet en Argentine ou le complexe du Capitole en Inde. L’architecte, lui, est mort en 1965 à l'âge de 77 ans au cours d’une baignade à Roquebrune-Cap-Martin, laissant derrière lui une œuvre certes aussi admirée que controversée mais toujours respectée, étudiée et visitée. C’est, dit-on, la marque des grands créateurs.
Pour aller plus loin :
Consulter les différentes éditions de Vers une architecture et plus généralement les ouvrages sur Le Corbusier à la BNF
Écouter un enregistrement sonore de l'architecte sur Gallica
Visiter la villa Savoye (Poissy) , la Maison La Roche (Fondation Le Corbusier – Paris) et la Cité radieuse (Marseille)
Commentaires
AVIS SUR LECORBUSIER
Jeune étudiant en architecture dans les années 70 je me suis passionné pour Le Corbusier qui rompait avec l'architecture et l'urbanisme conservateurs de l'époque mais avec le temps j'ai trouvé que ses conceptions comme la destruction projetée du centre de Paris et l'érection de tours immenses aboutissaient à des catastrophes inhumaines. Mais curieusement après avoir visité la maison du "Fada "a Marseille et la Villa Savoye j'ai réalisé que ses constructions valaient mieux que ses écrits. Comme tous les utopistes il voulait tout regeler dans les moindres détails ce qui aboutissait à une absence de liberté pour les occupants. Il n'en reste pas moins que certaines de ses théories comme celle dite des 4 voies pour séparer les flux de circulation mériteraient d’être appliquées.
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