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Dormir à bord des trains

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16 septembre 2021

A l’occasion des Journées européennes du patrimoine 2021, qui mettent en avant, cette année, le patrimoine ferroviaire, Gallica vous emmène dormir à bord des trains.

Vernon Barrett Edward, En route !, Hachette et Cie. 1909. Ville de Paris, Fonds Heure joyeuse

Les premières voitures ferroviaires sont des caisses de diligence, divisées en compartiments de première, deuxième et troisième classe. Avant même de songer à dormir, le voyageur doit conquérir le droit d’être assis commodément, particulièrement en seconde ou troisième classe. Le Ministère des travaux publics recommande ainsi en 1863 aux Compagnie de mettre à la disposition du voyageur « un dossier lui permettant de reposer sa tête et de dormir ». Le confort passe également par une ventilation suffisante et la présence d’un système de chauffage. Autre élément important de commodité, la présence de water-closets qui ne sont encore qu’exceptionnels, le voyageur utilisant les toilettes des gares. Selon le rapport du Ministère des travaux publics, seules les Compagnies du Midi et de l’Ouest en ont installé dans leurs voitures de luxe, tandis que les Compagnies de l’Est, d’Orléans et de Lyon ont annoncé leur intention d’en faire l’essai.

Jeunesse magazine : aventures, aviation. 1938

Les trajets ferroviaires ne concernant d’abord qu’une petite ou moyenne distance - Paris-Rouen, Paris-Lille par exemple - le temps de repos n’est pas l’attente principale du voyageur. Les trains desservent les lieux de villégiature, d’abord aux alentours des grandes villes comme Saint-Germain-en-Laye près de Paris, puis les côtes normandes proposant quelques départs nocturnes. Mais on dort assis, ce qui fait la joie des caricaturistes comme par Robida  illustrant La vie en chemin de fer (1888) de Pierre Giffard ou Honoré Daumier dans la presse satirique comme le Charivari.

La vie en chemin de fer / par Pierre Giffard ; ill. de A. Robida. 1888

Seules les premières classes disposent d’un véritable espace de repos constitué de banquettes. Auguste Moreau détaille dans son Traité des chemins de fer. Matériel et traction (1897-1898) les « coupés », wagons de luxe construits par la Compagnie de l’Est. La voiture est constituée d’un salon au centre et de deux compartiments de première classe aux extrémités. Chaque compartiment comprend huit places. Les banquettes sont tirées la nuit grâce à un système à coulisse et un verrou qui permet de maintenir la banquette en position. Les compartiments sont largement éclairés par une lampe à huile « dont la clarté est suffisante pour lire ». Le salon central, qui peut être transformé en chambre à coucher la nuit dispose d’un cabinet de toilette. Louis Figuier évoque dans Les nouvelles conquêtes de la science. Les voies ferrées dans les deux mondes en 1884 l’existence de « salons de famille » pour les familles fortunées qui rejoignent les villes méditerranéennes en hiver et pouvant accueillir 14 personnes, domestiques compris.

Auguste Moreau, Traité des chemins de fer. Matériel et traction (1897-1898) Voitures présidentielles construites par la Cie de l’Est

Souverains et chefs d’Etat usent également de trains spéciaux équipés de wagons-salons, wagons-boudoirs et de chambre à coucher. Le wagon du pape, construit en 1868 pour la ligne Rome-Naples est ainsi « divisé en trois compartiments : salle du trône, salle des gardes-nobles et chambre à coucher » et le lit est d’ivoire et d’ébène.  Le privilège d’un train spécial ne signifie pas pour autant la garantie d’une nuit paisible comme l’illustre la nuit agitée de Paul Deschanel, président de la République du 18 février au 21 septembre 1920. 
Le 25 mai 1920, le journal le Matin titre « M. Paul Deschanel, dans la nuit,  tombe de son train spécial près de Montargis ». Au moment de l’accident, le président était en pyjama et pantoufles, « il ne réussit pas à convaincre les deux poseurs qui l’emmenèrent chez une garde barrière qu’il était bien le  chef de l’Etat. » Le système de fenêtre à guillotine est incriminé, ainsi que l'état de santé du président.

Le Petit Parisien, 25 mai 1920

A l’étranger l’usage du « sleeping car » s’est généralisé sur les longues lignes de chemin de fer. C’est le cas par exemple aux Etats-Unis et au Canada. Lucien Périssé, décrit ainsi le matériel de la Canadian Pacific Railway qui propose des « sleeping cars » de luxe dans des voitures de grande longueur mais aussi des « tourists cars » avec lits à rideaux et même sur certains trajets, petite cuisine pour chauffer ses repas. Aux Etats-Unis, indique le Journal des chemins de fer en 1873, un certain Georges Pullman a imaginé des voitures de luxe et des wagons- lits pour lesquels il a pris un brevet.  La Revue technique de l'Exposition universelle de Chicago en 1893 relève que « le voyageur de 1er classe américain, prend en général toujours le sleeping quand il a un voyage de nuit à faire ».
C’est en revenant d’un voyage aux Etats-Unis que le Belge Georges Nagelmackers (1845-1908) inaugure la circulation de wagons-lits sur le réseau ferré européen en fondant la Compagnie internationale des wagons-lits : Paris-Vienne en 1872 puis Paris-Menton et les illustres Orient express (1883), Sud Express (1885) ou la liaison avec Saint-Pétersbourg.

Agenda P.L.M. : Paris, Lyon, Méditerranée, 1927.

Dans l’entre deux guerres, si les trains de luxe richement décorés connaissent leur apogée, les couchettes se démocratisent. C’est un mouvement que l’on observe partout en Europe. La Revue des chemins de fer note qu’ainsi en Suède l’augmentation du nombre de voyageurs de troisième classe en train couchette est de plus de 1000% entre 1913 et 1929.
 Les premiers trains de deuxième et troisième classes équipés de couchettes sont construits en France en 1922 pour le Réseau de l’Etat, à l’initiative du Ministre des travaux publics, Le Troquer. Les voitures, de six couchettes de seconde classe et de troisième classe,  sont mises en service le 11 octobre 1922 sur la ligne Paris-Brest .

Le Patriote dans la famille : supplément illustré. 1905

Avec le Front populaire, l’instauration des congés payés et le développement des colonies de vacances, les voyages en train connaissent un grand succès. Les chemins de fer nationalisés - la SNCF voit le jour en 1937 - proposent aussi des wagons camping décrits par la revue Naturisme ou mettent à disposition des clubs sportifs des trains couchettes de dix-huit places pour leurs déplacements.
Mais ce sont surtout les Trente Glorieuses qui voient l’essor des trains de nuits avec des voitures plus modernes et la suppression en 1956 de la troisième classe.

Couchettes d'équipes sportives, Match : l'intran : le plus grand hebdomadaire sportif . 1936

Menacés de disparaître à la fin des années 2010, les trains de nuit s’apprêtent peut-être à connaître une nouvelle vie.

Pour en savoir plus

Sélections autour des chemins de fer dans le parcours Transport sur Gallica

 Geroges Ribeill, Les trains de nuits : deux-siècles de voyages, de la banquette de bois au wagon-lits, La Vie du rail. 2021

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