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La Montansier, une vie de théâtres (2) - De Versailles au Palais-Royal

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15 juillet 2021

Reprenons le cours de la vie de la grande directrice de théâtres et entrepreneuse Marguerite Brunet, dite La Montansier, qui, après avoir conquis Versailles, jette son dévolu sur une salle du Palais-Royal.

Le foyer du Théâtre Montansier

Le projet d’un grand théâtre pour Versailles
Marguerite est désormais bien installée dans le monde de la cour. Si la qualité des spectacles proposés est appréciée, l’est encore davantage sa personnalité haute en couleur. Mais, rançon du succès, jalousies et intrigues ne tardent pas à compromettre son hégémonie théâtrale.
Le danger vient principalement de la Comédie-Française, qui vise un regroupement avec les principales comédies où se rend la cour : Versailles, Fontainebleau et Compiègne. La Montansier est d’abord favorable au projet, pensant en prendre la tête. Mais elle change rapidement d’avis, lorsqu’elle comprend que le grand Préville[1] est pressenti comme directeur. Le comédien jouit d’une excellente renommée. Il est homme intelligent et pédagogue reconnu.

 

 

Pendant près de dix ans, les intrigues vont bon train. Plusieurs acteurs lancés et formés par Marguerite sont débauchés par la Comédie-Française, la Comédie-Italienne et l’Opéra. Fleury[2], qui débute dans sa troupe en 1770, écrit dans « ses mémoires » :

« la troupe de Mademoiselle Montansier était en quelque sorte la succursale, ou plutôt la pépinière de la troupe de Paris ».

En 1773, le privilège unique est adopté pour Versailles, Fontainebleau et Compiègne.

En réaction et lasse des intrigues, Marguerite propose le projet de construire son propre théâtre. Versailles est le lieu stratégique où elle souhaite implanter sa salle qui devra être à proximité du centre et pas trop éloignée du château. Pendant trois années, elle bataille mais finit, grâce dans un premier temps à l’appui de la Du Barry, à faire accepter son projet accompagné d’un privilège valable vingt ans.
Le décès de Louis XV en mai 1774, rapidement suivi de l’exil de la Du Barry, retardent la réalisation de son théâtre. Mais en femme avisée, la Montansier, qui a des appuis anciens à la cour, sait rapidement conquérir la jeune reine Marie-Antoinette qui aime le spectacle. Dès l’année suivante, elle soumet de nouveaux plans qui sont acceptés et le roi Louis XVI signe le brevet qui lui accorde le privilège exclusif de la salle à construire.

La réalisation se heurte cependant à un nouvel obstacle de taille : le lieu d’implantation du bâtiment est difficile à trouver. Il faudra attendre 1776, date à laquelle Marguerite acquiert au Comte de Provence, frère du roi, un terrain à proximité du château, dans le prolongement de la rue des Réservoirs. La construction est confiée à l’architecte Jean-François Heurtier (1739-1822)[3] et est achevée en à peine plus d’un an. Les souhaits de la directrice sont respectés : une salle moderne, à l’italienne dont la forme en fer à cheval aurait l’avantage de permettre au plus grand nombre de voir et d’entendre la scène dans des conditions optimales. Ce type de scène est encore révolutionnaire en France. Les salles traditionnelles suivent plutôt un plan rectangulaire, hérité des anciennes salles de jeu de paume et ne permettent ni une vision large de la scène, ni une restitution sonore correcte des comédiens, des chanteurs et des instruments de musique.
 

 

L’inauguration a lieu le 18 novembre 1777. La salle peut accueillir mille deux cents personnes, elle est confortable et innove aussi sur le plan des décors : prisé à l’époque, le péristyle extérieur inspiré de l’Antiquité est remplacé par une élégante façade ornée de quelques statues représentant les muses Melpomène et Thalie autour d’une lyre ; à l’intérieur dominent les camaïeux de bleus, rehaussés de blancs et or ; la machinerie est très perfectionnée et impressionnante en taille, son but étant de permettre aux opéras et pièces à machine alors très courus de pouvoir être joués.

 

Dans l’intimité de Marie-Antoinette

La salle fait parler d’elle pour sa modernité et sa beauté. On accourt la voir et on accourt aussi aux spectacles que l’on y donne. Tel que prévu par la Montansier, l’emplacement à proximité du château favorise la venue de la cour. La loge des souverains était voulue dès la construction initiale et un souterrain avait été restauré pour lui permettre de communiquer directement avec le château. Rapidement, des personnalités importantes font savoir qu’ils souhaitent aussi avoir une loge attitrée. Et Marguerite, ne perdant pas son sens des affaires, vend ses abonnements très chers. Moyennant 2400 livres par an, le comte d’Artois a sa loge et le roi lui-même fait verser pour chacun de ses pages 200 livres par an pour qu’ils puissent assister aux spectacles.
 

 

Dans les années qui précèdent la Révolution, Marguerite conjugue aux succès professionnels celui d’être admise dans le cercle de Marie-Antoinette. Elle participe notamment aux soirées dédiées aux jeux et cette ancienne addiction dont elle ne guérira jamais la conduit à alterner des périodes fastes avec des périodes difficiles où elle doit affronter huissiers et créanciers. Intrigues, impertinences, dettes et procès finissent par lasser Louis XVI qui, en 1779, la fait arrêter et emprisonner quelques temps, mais finit par la rétablir dans son privilège de directrice.

En 1780 est inauguré le Théâtre de la reine, proche du Petit Trianon, privé et discret, loin de la cour et de son vacarme. Marie Antoinette aime écouter la musique de son temps (Gluck, Grétry, Sacchini, Paisiello) et aime jouer elle-même la comédie. Son théâtre lui permet de satisfaire ses goûts et avec le comte d’Artois, elle monte sa propre compagnie ayant pour acteurs des personnalités de la cour. Ce sont des intimes ; la troupe est parfois appelée « Troupe des seigneurs ». Toujours dans le cercle des proches, Marguerite, qui n’avait pas mis les pieds sur les planches depuis plus de quinze ans, se produit à nouveau sur la scène à la demande de la reine. Elle n’est pas très à l’aise, bien que sa prestation soit bien accueillie.
Mais décidemment, son talent n’est pas de jouer. Elle excelle comme femme d’affaires, meneuse et dénicheuse de talents. Désormais, sa troupe compte cent sept acteurs, parmi lesquels certains sont très célèbres : Fleury, Granger, Grammont, Amiel, Volange, Desforges, Neuville[4], les sœurs Colombe, Mademoiselle Duplan, Marie Joly, Mademoiselle Raucourt…
 

Les comédiens doivent être nombreux, car en plus de se produire à Versailles et dans les résidences royales (Marly, Fontainebleau, Compiègne, Saint-Cloud…)[5], ils doivent aussi assurer les représentations dans les théâtres de province de « l’empire Montansier ».
Son théâtre de la rue des Réservoirs propose toujours des spectacles de qualité car elle a un sens certain du spectacle : drames, vaudevilles, ballets, opéras et opéras comiques, elle sait les choisir ! Les divertissements sont appréciés par-dessus tout et Marguerite fait appel aux meilleurs auteurs du passé mais aussi contemporains : Régnard, Favart, Désaugiers père, Dubuisson.

Mais la fin du XVIIIe siècle voit commencer des mutations profondes ; les idées des Lumières se sont largement propagées et un nouvel ordre social et politique est en germe. L’image du couple royal, et surtout celle de la reine, sont écornées par des scandales et par un train de vie obscène eu égard à la misère dont souffre la population. Marguerite décide alors de prendre ses distances avec la cour et envisage de quitter Versailles pour s’installer à Paris.

Retour au Palais Royal
En 1774, Louis XVI avait en effet hérité d'un royaume au bord de la banqueroute, frappé par une crise économique endémique pendant laquelle s'accumulent « disettes d’argent » et alimentaires, instabilité boursière et spéculations bancaires. Tout cela vient participer à une atmosphère de mécontentement grandissant dans la population, qu'ont peut-être senti Marguerite et Neuville lors de leurs nombreux déplacements en province. C'est dans ce contexte que dès 1785, ils entament une première démarche auprès du ministre Breteuil pour installer leur empire théâtral aussi dans la capitale.
Ils demandent l’autorisation d’acquérir le petit théâtre de marionnettes que le propriétaire du jardin, le Duc d’Orléans, avait fait construire pour son fils[6]. Leur projet a une visée pédagogique, puisqu’il prévoit un théâtre joué par des enfants, jusqu’à seize ans, qui seraient de fait formés aux métiers du spectacle (déclamation, chant et danse) et rétribués pour cela. Ce projet, pourtant d’un intérêt certain, ne se concrétise pas. Il faut attendre 1789 pour que la Montansier et Neuville puissent réaliser leur rêve de conquérir Paris et son public.

Cette année 1789 voit le début de tous les changements à venir : écrasé par les dettes et dans l’impasse financière et politique, le roi convoque les Etats généraux le 5 mai. Le 19 juin, le jeune Dauphin meurt ; le mécontentement social et l’instabilité politique sont grandissants ; des émeutes éparses éclatent et les libelles et critiques à l’encontre de la monarchie vont bon train.
Si pour Marguerite et ses spectacles, l’année 1789 est une assez bonne année, il n’en est pas de même pour tous les théâtres, car le climat d’insécurité fait baisser leur fréquentation. Le petit théâtre du duc d’Orléans sis au Palais Royal, jadis fort apprécié et jouissant d’un grand succès, est sur le point de fermer, victime d'une concurrence féroce de la Comédie-Française et de la Comédie-Italienne[7]. Le duc d’Orléans se résout donc à le vendre, ainsi que onze des nouvelles arcades du pourtour du Palais Royal rénové. Marguerite et son associé signent pour 570 000 livres payables en vingt-cinq ans à compter du 1er juillet 1790, à raison de 22 800 livres par an. La somme représente à peine plus que ce que leur rapporte la redevance du théâtre de Versailles.

 

Le Théâtre de Mademoiselle Montansier

En coulisses, Marguerite bataille pour qu’on accorde à son futur théâtre la possibilité de pouvoir y accueillir une troupe lyrique différente de celle de l’Opéra royal mais pouvant interpréter le même répertoire. Les trois théâtres sous privilège jouissaient en effet du monopole du répertoire, qui ne peut être joué que par leurs artistes. Le temps est aux changements et la suprématie des « Trois grands » est de plus en plus contestée. Faisant appel une fois de plus à son entregent, dont la Reine qui jouit encore d’un peu de pouvoir, Marguerite parvient à obtenir l’autorisation de monter des œuvres chantées, y compris celles de l’Opéra royal, sans avoir à payer de redevance en compensation. En cette année 1789, c’est tout le système des privilèges sur lequel était fondé le pouvoir monarchique qui commence à se lézarder.

La Montansier, toujours habile, parvient à rester proche du pouvoir faiblissant, tout en nouant des relations avec les milieux éclairés, qui oeuvrent activement et dans tous les domaines pour un changement profond des mentalités, des structures sociales et de l’organisation du pays.
Ainsi est-elle amie avec le célèbre abbé Bouyon[8], qu’elle reçoit dans son salon du logement proche du Palais Royal où elle réside avec Neuville. Auteur assez peu connu, l’abbé s’était rendu en septembre 1789 à la Comédie-Française pour lire quelques pages intitulées « La Civilisation des comédiens, ou la demande que personne n’a faite à la Nation assemblée ». Il y prend la défense des acteurs pour que leur condition soit réhabilitée et qu’ils soient acceptés comme citoyens à part entière, leur permettant ainsi de pouvoir prétendre à accéder aux emplois civils et militaires et à être enterrés religieusement. Molière, et plus récemment la grande comédienne Clairon, s’étaient déjà battus pour cette cause, sans succès. L’abbé Bouyon, en cette fin d’année 1789, soutenu par Mirabeau, permet que l’Assemblée adopte enfin le décret ouvrant aux comédiens l’accès à tous les métiers, charges et fonctions à l’instar de n’importe quel citoyen.
 

 

C’est en cette période trouble mais porteuse d’idées novatrices et de défis inédits que le petit théâtre du Palais Royal subit des travaux de rénovation, et en avril 1790, moins d’un an après s’être portés acquéreurs, Marguerite et Neuville ouvrent la nouvelle salle. Le succès est retentissant dès l'inauguration et les interventions de la Comédie Italienne qui s’insurge pour le non payement de la redevance d’usage à l’Opéra pour la représentation de l’opéra-comique n’en ternissent pas l’éclat.

Rapidement, la petite scène du nouveau théâtre, initialement prévue pour des marionnettes, se révèle trop exigüe, la salle ne pouvant accueillir que huit cents spectateurs. Marguerite songe déjà à en bâtir une plus grande.
Pour l’instant, semblant vouloir faire oublier un passé très compromis avec la monarchie, elle et sa troupe participent et concourent activement aux préparatifs des festivités organisées pour commémorer la prise de la Bastille qui avait eu lieu l’année précédente. La fête de la Fédération qui est prévue aux Champs de Mars sera grandiose et honorera le peuple qui a contribué à la chute d’un monument symbole de l’oppression et du pouvoir absolu.
 

Rendez-vous jeudi prochain sur le blog Gallica pour découvrir la suite de cet article.
 
[1] Pierre-Louis Dubus, dit Préville (1721-1799), sociétaire depuis 1753, considéré comme le plus grand acteur comique du XVIIIe siècle.
[2] Joseph-Abraham Bénard, dit Fleury (1750-1822) dans Mémoires de Fleury, de la Comédie française, 1757 à 1820, rédigés par Jean-Baptiste-Pierre Lafitte.
[3] Il est également l’architecte de la première Salle Favart, construite en 1780, qui subit un incendie en 1787.
[4] Honoré Bourdon, dit « de Neuville », ancien militaire, comédien, amant et protégé depuis 1774 de la Montansier, auquel elle s’associe aussi dans les affaires.
[5] Marguerite avait réussi à conserver son privilège royal.
[6] Il s’agit du « Spectacle des petits comédiens de Son Altesse sérénissime Monseigneur le comte de Beaujolais ».
[7] Les « Trois théâtres sous privilège » (Comédie-Française, Comédie-Italienne et Opéra) étaient coutumiers du fait, interdisant aux théâtres qui leur faisaient concurrence de monter des spectacles parlés et chantés, ce qui réduisait leur répertoire à la pantomime et à la danse.
[8] Louis Bonnefoy de Bouyon (1748-1797) au cœur d’une polémique avec Beaumarchais et un temps considéré comme auteur de la parodie du Mariage de Figaro, « La folle soirée », imputée plus tard à Mercier. Il sera lynché et assassiné au cours d’une émeute populaire.

 

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