Les écrivains et la presse, entre attraction et répulsion
Le blog de Gallica entame aujourd’hui une série de billets sur les écrivains et la presse, en lien avec le cycle organisé par la BnF. Une après-midi consacrée à Proust sera suivie de rencontres autour de Zola, George Sand, Apollinaire, Aragon, Colette et enfin avec Sorj Chalandon.
L’enjeu est de donner l’occasion aux chercheurs de communiquer directement avec le public, et au public de connaître l’avancée de la recherche liée aux collections de la BnF, en particulier à la presse numérisée dans Gallica.
Des critiques de part et d’autre
Beaucoup d’écrivains publient dans la presse, tout en s’en plaignant ; tout comme la presse se plaint des écrivains.
L’exemple le plus extrême est celui de Flaubert qui reprend et amplifie ces griefs, en particulier l’obligation de rapidité qui entraîne des erreurs : « Mais toutes les fois qu'on a à faire avec la Presse, il faut s'attendre à des sottises, se presser étant le seul principe de ces messieurs ». Ou encore la « manie de corriger les manuscrits ». « Le journalisme ne vous mènera à rien, qu'à vous empêcher de faire de longues œuvres et de longues études. Prenez garde à lui. C'est un abîme qui a dévoré les plus fortes organisations. » écrit-il à un jeune auteur en avril 1858. Les journaux, qu’il nomme « boutiques », sont « par essence hostiles à toute personnalité un peu au-dessus des autres » (1876). Bref ils sont « la cause de l’abrutissement moderne » (février 1867) et contribuent à « l'abaissement des caractères, à la dégradation, chaque jour plus grande, des choses intellectuelles » (août 1864). Le seul intérêt de cette activité serait de gagner de l’argent (février 1866).
Flaubert n’est cependant pas sans contradiction et peut, beaucoup plus rarement, s’enthousiasmer : « Il y a des jours où je brûle d'être journaliste, pour épancher ma bile, ou plutôt pour dire ce qui me semble la justice » (1873) ; ou encore pour un projet de création d’un journal par Zola en 1880.
Ce discours sur la presse continuera au XXe siècle, parfois excessif comme chez Élémir Bourges dans le Mercure de France : « Le journalisme est le bubon de la littérature » (décembre 1927). La presse, quant à elle, se moque des écrivains qui ne connaissent pas le métier ou qui sont forcément de mauvais écrivains.
Pour Le Figaro (14 octobre 1834), l’écrivain médiocre est « le fournisseur intarissable des journaux, providence de la presse » et « presque tout le personnel de la presse périodique est composé de ces honnêtes obscurités ». En 1860, Le Figaro propose de remettre chacun à sa place : les auteurs dénigrent la critique, mais ils « ont bien plus besoin de la presse que la presse n’a besoin d’eux », et ils ne savent pas faire du journalisme.
En 1854, Le Figaro se souvient des débuts difficiles de George Sand dans le journalisme : « Elle ignorait l'art de faire court, et c'est au moment où elle allait commencer à commencer un article qu'il lui fallait le finir. » La seconde difficulté était de rendre les textes à temps : « elle promettait, chaque jour, à Latouche un article qui n’arrivait jamais », ce qui donna lieu à une petite mystification de la part du directeur, Henri de Latouche.
Lieux communs, paradoxes et frontières floues
De l’autre côté, et toujours dans la presse, le journalisme est régulièrement accusé : « Le journalisme a tué la littérature et le reportage est en train de tuer le journalisme [...] le reportage, c’est l’homme de lettres remplacé par le concierge » (Le Figaro, 6 mai 1886). Les journalistes se défendent de cette accusation (Le Figaro, 3 mars 1876). En 1885, Aurélien Scholl réagit dans L’Écho de Paris à une chronique de Mirbeau… contre le genre de la chronique. Les frontières ne sont donc pas très claires…
Si on trouve moins d’accusations violentes au XXe siècle, la question revient dans les années 20 et 30, sous forme d’enquêtes : « Les écrivains doivent-ils faire un autre métier ? » (Le Figaro, 3, 10 et 17 septembre 1922). L’activité journalistique n’est mentionnée que dans une dizaine de réponses, pour des raisons financières et pour un début de carrière. Seul Jacques Boulanger la déconseille ; c’est Roland Dorgelès qui la vante le plus, se souvenant de son apprentissage à Paris-Journal avec Apollinaire ou Alain-Fournier.
En 1924, la revue Vita lance une enquête relayée par Le Gaulois (10 mars 1924). Ce dernier conclut sur l’influence indéniable du reportage sur la littérature, à l’exemple de Mirbeau et de Zola qui débutèrent dans ce journal. Un peu plus tard, Les Marges consacre un cahier aux rapports entre presse et littérature (compte rendu dans le Mercure de France, 1er août 1929) et François Jean-Desthieux répond dans L’Homme libre aux écrivains qui ont décidé que « le journalisme et la littérature ne pouvaient pas s’accorder ». Le débat semble donc sans fin…
Envie et jalousie ?
L’envie et la jalousie entre les écrivains et les journalistes peuvent se résumer dans cette réécriture par Alphonse Daudet (Le Figaro, 20 mai 1860) de la fable de La Fontaine « Le chien et le loup ». Au restaurant, un journaliste croise un poète. Ce dernier, pauvre, souffre de nombreuses privations ; le journaliste, riche, honoré et reconnu lui conseille : « Faites du journalisme ; - le journalisme vous donnera à profusion du châblis et des huîtres d’Ostende, tandis que la poésie vous liarde même des œufs à la vinaigrette ». Mais lorsque le journaliste évoque une contrainte :
Le poète, éclatant comme un tonnerre. - Comment ! vous allez tous les jours à votre bureau, comme un teneur de livres ou un employé au chemin de fer ! Que me chantez-vous donc avec votre journalisme ? Mais à dix heures, je suis encore au lit, moi ; à dix heures, je ne suis pas même couché ! Et vous venez me parler de me faire journaliste ! […] Ah ! vous êtes jaloux de ma seule richesse, de mon indépendance, et vous voulez me mettre des fers aux pieds ; - ma liberté vous fait envie, et vous prétendez me l'escroquer !... Ah ! l'enjôleur ! ah ! le brigand ! ah ! le détrousseur ! Mon chapeau ! mon chapeau ! Monsieur, je vous salue, mais, corbleu ! je ne suis pas votre homme. (Cela dit, le poète s'enfuit, mais ne court pas encore.)
Pourtant, à la première chute, variante de « Cela dit, maître loup s’enfuit et court encor », Daudet en ajoute une seconde « Ce que ne dit pas Lafontaine », chacun souhaitant la place de l’autre.
Une cohabitation possible ?
Beaucoup d’écrivains ont pourtant écrit pour la presse. Certains journaux avaient de nombreux collaborateurs écrivains (Le Journal, Gil Blas, Le Gaulois, Comœdia, etc.). Pour Gil Blas en 1907 : « Le journalisme est le genre littéraire le plus conforme au véritable génie français. Si Voltaire vivait de nos jours, il serait journaliste, ni plus ni moins. Il est permis de croire que Voltaire serait un journaliste admirable. »
Nous verrons les stratégies de chacun des écrivains du programme. Entre attraction et répulsion, tous ont senti la nécessité d’y participer, pour des raisons diverses : argent, apprentissage, carrière, engagement politique, intérêt pour l’actualité (Colette). En en jouant, ils peuvent vanter leurs œuvres de façon anonyme ou sous pseudonyme (Proust), changer d’attitude (Aragon) et toujours se méfier du pouvoir de l’information sur le lecteur.
Tous gardent un esprit critique vis-à-vis de la presse. Souvent avec humour, Proust évoque dans un article publié dans Le Figaro et à propos du même journal « cet acte abominable et voluptueux qui s’appelle lire le journal ». Ou encore avec un esprit visionnaire, Zola s’inquiète en 1894 dans Les Annales politiques et littéraires de cette formule nouvelle, l’information, et de « l’état de surexcitation nerveuse » dans lequel le journalisme actuel tient la nation »…
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