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L'adaptation : L’Arioste et le Tasse

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14 juin 2024

La Renaissance a été, dans toute l’Europe, source d’inspiration pour les compositeurs d’opéra, et ce dès l’invention du genre, au tournant du XVIe et du XVIIe siècle. Et de manière quelque peu ironique, l’opéra vient au monde lorsque la Renaissance s’en retire.

La Renaissance s’immisce dans l’art lyrique de diverses façons. La plus naturelle, est l’adaptation pour la scène d’œuvres littéraires écrites au cours de la période 1450-1600. L’un des ouvrages les plus prisés des librettistes est l’Orlando furioso (Roland furieux) de l’Arioste.

Le premier opéra tiré de l’Orlando furioso est Il Medoro, de Jacopo Peri, créé en 1619 à Florence au Palazzo Pitti pour célébrer l’élection de Ferdinand II de Habsbourg à la tête du Saint-Empire Romain Germanique. Le livret de l’ouvrage, dû à Andrea Salvadori, est publié en 1623 par Pietro Cecconcelli, avec une dédicace au duc de Mantoue, Ferdinand Gonzague.
 

L’Orlando furioso est aussi la source d’inspiration de deux ouvrages de Francesca Caccini, l’une des premières – sinon la première – femme ayant écrit un opéra. Fille de Giulio Caccini - pionnier du genre aux côtés de Monteverdi et de Péri -, elle compose en 1625 La Liberazione di Ruggiero dall'isola d'Alcina, une parodie comique destinée à honorer le Roi de Pologne Ladislas IV à l’occasion de sa venue à Florence. Francesca Caccini récidive l’année suivante, avec Rinaldo Innamorato (« Roland amoureux »), dont la partition et le livret sont perdus.

En France, Lully et Quinault s’emparent du poème de l’Arioste pour leur Roland, dont la première a lieu à Versailles en janvier 1685.
 

Antoine Danchet adapte, quant à lui, pour le compositeur André Campra – qui avait exercé les fonctions de maître de chapelle à Notre-Dame de Paris avant de se consacrer essentiellement à la musique de théâtre – les chants IV, VI et VII de l’Orlando furioso. Alcine, fruit de cette collaboration, est créé le 15 janvier 1705 à l’Académie royale de musique, trente ans presque jour pour jour après le Roland de Lully :
 

 
Les arrangements lyriques du chef-d’œuvre de l’Arioste restent en faveur jusqu’au début du XIXe siècle. Les plus notables sont  ceux de Vivaldi (Orlando furioso, 1727), de Haendel (Orlando, 1733, Alcina, 1735, Ariodante, 1735), de Rameau (Les Paladins, 1760), de Piccini (Roland, 1778, sur le livret de Quinault initialement destiné à Lully), de Haydn (Orlando paladino, 1782) et de Méhul (Ariodant, 1798). Si Méhul est passé à la postérité comme l’auteur du Chant du départ, son Ariodant est pour sa part considéré comme l’un des prototypes de l’opéra romantique. Formellement, il s’agit d’un opéra-comique, c’est-à-dire une œuvre lyrique qui comporte des dialogues parlés en lieu et place des récitatifs accompagnés au clavecin et/ou à l’orchestre.

L’autre auteur de la Renaissance favori des compositeurs d’opéras – peut-être même davantage encore que l’Arioste -  est Torquato Tasso, dit Le Tasse. La Jérusalem délivrée, poème épique –  à l’instar d’Orlando furioso - achevé en 1575 et publié en 1581, est, au cours de l’histoire, l’œuvre littéraire la plus adaptée à la scène lyrique, si l’on excepte les innombrables variations sur le mythe d’Orphée.         
Parmi les toutes premières versions « théâtralisées » de La Jérusalem délivrée figure Le Ballet de la délivrance de Renaud. En dépit de sa dénomination de « ballet », l’ouvrage, créé au palais du Louvre en 1617, comporte des chœurs et de nombreux passages pour des solistes vocaux. Louis XIII, inaugurant une pratique qui deviendra courante chez son successeur, s’invite lui-même dans la chorégraphie, dans le rôle du Démon du feu. 

Les amours tumultueuses de Renaud et Armide inspirent également Lully et son librettiste attitré, Philippe Quinault. Tous deux offrent leur vision de La Jérusalem délivrée en 1686 au public du théâtre du Palais Royal. L’ouvrage connaît rapidement une diffusion considérable. Il est représenté dès 1698 à Lyon, seule ville de province en France à disposer alors, avec Marseille, d’une Académie royale de musique, calquée sur le modèle parisien. Créée en 1688, elle sera malheureusement rapidement acculée à la faillite, à la suite de multiples sinistres (incendies, inondations), qui détruisirent les diverses salles où elle s’était établie.
 

Le succès de l’ouvrage perdure tout au long du XVIIIe siècle et, fait exceptionnel à une époque où l’on ne s’intéresse guère qu’aux nouveautés, Armide revient à intervalles réguliers au répertoire sous divers arrangements jusqu’en 1778. Le livret de Quinault est réutilisé, en dépit de son ancienneté, par Gluck en 1777. Établi à Paris depuis 1774, où il remporte des succès importants avec Iphigénie en Aulide et la version française de son Orphée et Eurydice, Gluck se voit accuser de « sacrilège » pour avoir osé s’approprier le texte du chef-d’œuvre de Lully. Niccolò Piccinni (pour Roland, 1778) et Jean-Chrétien Bach (Amadis de Gaule, 1779) font l’objet des mêmes critiques.

Comme auparavant celle de Lully, l’Armide de Gluck est reprise à intervalles réguliers à l’Opéra, jusqu’en 1825 au moins. D’autres compositeurs de premier rang s’intéressent encore au sujet : Haydn (1784), Rossini (1817) et même Dvořák (1904).
 

A suivre dans un second billet, la deuxième partie : La représentation – La Renaissance, drame historique.

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