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Enseigner la musique sous la IIIe République (1870-1940)

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13 novembre 2020

Sous la IIIe République, la musique fait son entrée dans les disciplines enseignées à l’école. Avec la bibliothèque Sainte-Geneviève, plongez-vous dans les débuts de cette matière pas tout à fait comme les autres.

Après la Révolution française et tout au long du 19e siècle, la société française, longtemps dominée par l’Église, évolue vers un idéal d’instruction publique laïque favorisant la cohésion des individus et instaurant une relation privilégiée entre le peuple et son gouvernement. Dans ce contexte, la musique est vue comme un instrument au service de la république, et rejoint de ce fait les onze autres disciplines obligatoires à l’école, aux côtés de l’instruction morale et civique ; la lecture et l’écriture ; la langue et la littérature françaises ; la géographie, l’histoire, quelques leçons de droit et d’économie politique ; les sciences naturelles physiques et mathématiques ; le dessin ; la gymnastique ; pour les garçons, les exercices militaires ; et pour les filles, la couture.

1882 : la musique fait son entrée dans l’instruction publique

L’instruction publique telle qu’elle est modelée dans la première décennie de la IIIe République est à la fois un système d’enseignement financé par l’État et un moyen de former les esprits. Le gouvernement cherche ainsi à exploiter les arts pour communiquer des idées. En 1878, dans une conférence sur le chant dans les écoles, l’inspecteur de l’enseignement primaire Albert Dupaigne affirme l’universalité de la musique, et par là-même sa capacité à transmettre savoir et idées, qu’on la comprenne ou non. Dupaigne revient à la charge en 1881 dans un rapport qui précise que la musique doit à la fois rendre plus apte à l’étude et développer le sens patriotique, de la famille et du devoir. Apparue pour la première fois dans les programmes officiels de l’enseignement primaire en 1834, la musique, et plus précisément le chant, devient la douzième matière obligatoire dans les écoles avec les lois Ferry.

Les manuels d’apprentissage de la musique se développent et les cahiers d’exercices à destination des professeurs et des élèves se multiplient. Certains proposent des exercices à trous destinés à favoriser une progression graduelle tout en facilitant la tâche du professeur. La bibliothèque Sainte-Geneviève devient titulaire du dépôt légal en 1828 et conserve ainsi de nombreuses méthodes de solfège du Département de la Seine.

Dans ce contexte, la musique devient un auxiliaire de la morale : les élèves sont encouragés à mémoriser un certain nombre de chants que l’on retrouve à partir des années 1890 dans les manuels de Maurice Bouchor et Julien Tiersot. Ces chants exaltent les valeurs morales et civiques sous trois angles : le présent studieux de l’écolier, son métier futur, ses valeurs nationales et républicaines.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les principes de séparation des publics scolaires par classe sociale et par sexe permettent une diversité de modes d’enseignements. La musique ne fait pas exception. Si elle est enseignée de façon indifférenciée aux filles et aux garçons dans les écoles primaires pour les classes inférieures, elle n’est ensuite présente que dans les cursus des lycées de filles à partir de leur création en 1880 par Camille Sée.

Éducation populaire et vulgarisation : des méthodes pédagogiques en constante évolution

Une des difficultés inhérentes à la pratique de la musique est la complexité du solfège et l’enseignement technique auquel l’élève doit faire face dès ses premières années d’apprentissage. Socialement, cette difficulté se traduit par une inégalité entre les milieux les plus éduqués, où les enfants sont souvent exposés à la musique dès leur plus jeune âge, et les classes inférieures de la société, où les enfants ne connaissent pas cette imprégnation.
Le tournant du siècle voit apparaître de nombreux ouvrages pédagogiques conçus pour permettre aux élèves de lire la musique sans éducation musicale préalable, en particulier autour de la méthode Galin-Paris-Chevé. Celle-ci s’inscrit dans la lignée de la pédagogie musicale de Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe considérait que la notation de la musique était trop complexe et que cette complexité accaparait l’esprit du musicien au détriment de l’interprétation musicale. Dans un souci de simplification de la notation, il met au point une méthode d’écriture utilisant des signes adaptés à un public plus large : des chiffres et des points. En 1742, Rousseau présente devant l’Académie des sciences son Projet concernant de nouveaux signes pour la musique. Un siècle plus tard, c’est au tour d’Émile Chevé de porter devant le ministère de l’Instruction publique la méthode Galin-Paris-Chevé, du nom de ses inventeurs et promoteurs, Pierre Galin, Aimé Paris (professeur de musique d’Émile Chevé et frère de Nanine Paris, épouse d’Émile Chevé) et Émile Chevé lui-même.
Politisés, disciples de Charles Fourier, figure du socialisme utopique, les époux Chevé croient en la musique comme "moyen puissant de moralisation pour le pauvre, et même pour les classes moins malheureuses ; la marine surtout, et l’armée, en tireraient un bien immense". La méthode reprend les principes suggérés par Rousseau : les notes sont remplacées par des chiffres de 1 (do) à 7 (si), les changements d’octaves par des points en-dessous ou au-dessus des chiffres et les silences par des 0. Elle est expérimentée sur un groupe de canonniers lyonnais, qui au bout de quarante leçons arrivent à chanter un chœur d’opéra. Initialement rejetée par le ministère, elle s’implante dans les écoles militaires au début des années 1860. Après les lois Ferry de 1882, une étude est menée dans douze écoles primaires de Paris pour comparer la méthode traditionnelle d’enseignement de la musique et la méthode Galin-Paris-Chevé. La nette supériorité de la seconde conduit au décret du 4 août 1905 la rendant obligatoire au programme des écoles normales.

Par l’instauration du chant comme matière obligatoire et la mise en place de méthodes d’apprentissage accessibles à un plus grand public, la IIIe République voit les modes d’enseignement de la musique s’ouvrir au plus grand nombre. L’essor de la scolarisation de masse permet à la fois d’institutionnaliser la musique et de s’en servir comme outil patriotique.

Pour aller plus loin :

 

Agathe Cordellier,
conservatrice à la bibliothèque Sainte-Geneviève.

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