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Blanche Derousse (1875-1911), l'élève du docteur Gachet

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13 mai 2022

Récemment sortie de l'oubli, Blanche Adèle Derousse est une artiste peintre et graveuse, habile copiste, dont la particularité est d’avoir été l’élève du célèbre docteur Paul Ferdinand Gachet (1828-1909), passé à la postérité pour avoir accueilli en 1890, dans sa maison d’Auvers-sur-Oise, Vincent van Gogh.

"Tête de japonaise", pointe sèche de Blanche Derousse, 1900

Née le 28 juillet 1875 à Neuilly-sur-Marne d’une mère professeur de piano et d’un père comptable, désigné cependant comme « artiste peintre » en 1887, Blanche fut conviée vers ses vingt ans à suivre l’enseignement artistique que le docteur Gachet, un ami de sa famille, dispensait à son propre fils Paul-Louis, dit Louis van Ryssel (1873-1962), enseignement académique privilégiant l’apprentissage du dessin, de la peinture et de l’estampe, et ce notamment à travers la copie d’œuvres de sa collection personnelle signées Van Gogh, Cézanne, Guillaumin, Renoir, mais aussi Amand Gautier ou encore Norbert Goeneutte.

C’est précisément d’après ce dernier, quelque peu oublié de nos jours, mort à 40 ans en 1894, que Blanche Derousse grava deux portraits du docteur Gachet : l’un à la pointe sèche, conservé au Wellcome Historical Hospital Museum de Londres, l’autre à la pointe sèche et à l’eau-forte, tiré par Lucien Leroy, visible dans nos collections. Alors que le premier, réalisé vers 1901 d’après une huile sur bois, est de conception classique et représente le docteur à mi-corps assis à une table, le second, exécuté en 1898 d’après un fusain, est traité en médaillon et montre uniquement le visage de « Van Ryssel » comme le qualifie la lettre. Les traits de cet homme au regard clair occupé ici à fumer la pipe sont mis en évidence par l’intensité du noir de la chapka et du col en fourrure.

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Si le docteur apparaît dans plusieurs estampes de Blanche Derousse, celle-ci est tout aussi présente dans l’œuvre gravé de son mentor. En attestent expressément quatre eaux-fortes issues de notre fonds ornées du monogramme de Paul Van Ryssel. Dans ces planches au style simple, un tantinet naïf, la jeune femme, désignée sous le mystérieux pseudonyme de « Sükrop » avec l’initiale duquel sont d’ailleurs signées certaines de ses propres créations, est représentée de différentes manières, toujours coiffée cependant d’un chignon selon la mode de son temps. L’une d’elles, en couleur, la montre de dos, son profil droit légèrement tourné.

Il est à noter que la graveuse reprendra à son compte quelques années plus tard cette même composition dans son eau-forte de la Jeune femme au piano à l’identité équivoque : s’agit-il en effet, comme on le pense généralement, de Marguerite Gachet (1869-1949), la fille du docteur immortalisée par Van Gogh, ou de Blanche Derousse elle-même qui en digne héritière de sa mère jouait fort bien de cet instrument ?
 

 

Plus encore qu’une indéniable proximité artistique - Paul Gachet est décrit par son fils comme « celui qui l’avait [Blanche] transformée en véritable artiste : travailleuse sincère, sans farce ni spéculation » -, c’est un lien quasi filial qui se devine à la vue de l’unique photographie connue de la jeune femme, cliché anonyme pris vers 1900-1905 la montrant debout, son bras gauche passé autour du cou du docteur alors âgé de plus de 70 ans (Documentation du Musée d’Orsay).

Envisagée à l’origine comme une indispensable étape à sa formation, l’activité de copiste de Blanche Derousse semble avoir répondu plus globalement à un projet collectif du docteur visant à la réalisation d’un ouvrage sur Van Gogh exclusivement illustré de copies des tableaux du peintre hollandais lui appartenant. Sans doute est-ce dans la perspective de ce « grand œuvre » réunissant les compétences de Paul, Louis et de Blanche, que se situe la planche intitulée « Les Deux fillettes ». Proche de la toile d’origine aujourd’hui conservée au Musée d’Orsay, cette pointe sèche, ici dans son « dernier état », offre à n’en pas douter l’une des meilleures illustrations des capacités de la jeune artiste dans le domaine de la taille-douce. Son travail y apparaît libre et spontané à l’image de celui du défunt artiste dont elle appréciait par ailleurs « beaucoup le talent ».

 

Tout aussi intéressante est cette autre pointe sèche, copiée cette fois d’après une œuvre du peintre et lithographe Amand Gautier (1825-1894), un ami d’enfance du docteur Gachet, intitulée « Le Liseur ».  Une grande minutie de traitement caractérise le portrait de cet homme barbu vu de trois quarts dont le visage penché est délicatement éclairé de côté.

Plus esquissée apparaît la pointe sèche tirée en bleu par L. Leroy montrant « Les Folles de la Salpêtrière » . Interprétée d’après un tableau du même Amand Gautier, cette estampe évoque le quotidien douloureux de toutes celles qui, ayant été jugées « hystériques » ou « aliénées », connurent au XIXe siècle le sinistre asile pour femmes de la Salpêtrière à Paris.Des quelques figures féminines gravées par Blanche Derousse que nous conservons, la plus ancienne le fut non pas d’après une peinture mais d’après une ronde-bosse, un grès représentant une « Femme accroupie » du très éclectique François-Rupert Carabin (1862-1932), connu comme sculpteur, médailleur, orfèvre, ébéniste et photographe. Datée de 1897, en un temps où la jeune femme poursuivait son initiation à la gravure, de la taille jusqu’à l’impression, cette planche à l’eau-forte apparut suffisamment aboutie pour être présentée au Salon de Pontoise de 1898 avec le portrait en médaillon de son mentor cité plus haut.
 
Hormis cette manifestation qui accueillit les envois de l’artiste entre 1898 et 1908, le Salon des indépendants abrita aussi quelques-unes de ses œuvres de 1903 à 1910, dont les estampes suivantes pas toutes localisées malheureusement : « Femme au chat (eau-forte) », « Marie Stuart (eau-forte) », « Portrait du docteur G… (eau-forte)  » (1903) ; « Vincent Van Gogh (eau-forte, d’après son tableau) » (1905) ; « Portrait du docteur G… Pointe sèche, (état définitif), d’après Norbert Goeneutte (Musée du Luxembourg) » (1906) et « La Nouvelle Olympia, pointe sèche, d’après le tableau de P. Cézanne (collection du Dr Gachet) (1907) ». 
Si un discret exotisme émane de la « Tête de japonaise » travaillée à la pointe sèche par « Sükrop » d’après un « dessin de Van Ryssel », lequel en assura le tirage le 10 février 1900, un incontestable hiératisme ressort du portrait à l’eau-forte et en deux couleurs de cette femme âgée vue de profil prénommée « Madeleine » . Signée des initiales entrelacées BD et datée de 1898, cette planche est tout à la fois l’une des premières jamais réalisées par l’artiste et l’une de ses rares créations originales connues. Dominé par la figure humaine, l’œuvre gravé de Blanche n’en exclut cependant pas la nature morte comme le montrent ces deux représentations florales conçues au tournant du siècle dans l’esprit de Van Gogh et tirées par l’incontournable Van Ryssel : « L’Iris bleu », signé S. et « Croquis d’iris », agrémenté d’une sobre dédicace de l’auteur à une amie.
 
 

Voir aussi

Les estampes de Blanche Derousse dans Gallica
Les Sélections consacrées à l’estampe après 1800 dans Gallica

Pour en savoir plus

Fortier Ludivine, Blanche Derousse (1873-1911). Artiste, copiste et élève du docteur Gachet, Mémoire d’étude en Histoire de l’art, sous la direction de Morin Loutrel Isabelle, Ecole du Louvre, 2019
Schaevers Natalie (réalisatrice), Blanche Derousse, Une visite virtuelle scénarisée de la Maison du Docteur Gachet, 2020.
Blanche Derousse (1873-1911), artiste et élève du docteur Gachet, Auvers-sur-Oise, Maison du docteur Gachet, 22 juin - 22 septembre 2022.
Distel, Anne/Stein, Susan-Alyson, et al.: Cézanne to Van Gogh: the Collection of Doctor Gachet, exhibition catalogue, Metropolitan Museum of Art, New York, 1999.

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