Emplettes au Havre : les grands magasins du Dé d’argent
Si c’est souvent l’histoire des grands magasins parisiens qui concentre l’attention, le phénomène concerne aussi le reste de la France. Partons à la découverte du Dé d’argent, grand magasin né au XIXe siècle au Havre.
Vue intérieure des grands magasins du Dé d'argent
L'Exposition maritime internationale : journal officiel illustré par Jules Mesnard, n°6, 1868
Parmi les grands magasins qui se développent à travers la France, d’abord dans les années 1860-1870 puis dans les années 1890, certains sont des filiales de magasins déjà implantés à Paris. D’autres sont d’anciens magasins de nouveautés, à savoir des boutiques d’étoffes, de mercerie et de confection, qui s’agrandissent progressivement. Les grands magasins du Dé d’argent du Havre relèvent de cette catégorie.
À la recherche du Dé d’argent
Les circonstances de la création de ce magasin de nouveautés sont incertaines. Si sa naissance est datée de 1837 par le Catalogue général officiel de l’exposition maritime internationale de 1887, les premières traces de son existence remontent, selon l’historien Bernard Marrey, au 15 avril 1847 avec une mention dans le Journal du Havre. Simple boutique de mercerie, de lingerie, de tissus et de bonneterie possédée par M. Letellier-Férard, commerçant du Havre, elle est localisée aux numéros 32 et 34, rue Saint-Jacques.
L’exposition maritime internationale de 1868
Vue de l’Exposition maritime du Havre de 1868
Gravure de William Partridge, Havre-exposition, 16 avril 1887
De même que les grands magasins parisiens sont présents aux expositions universelles parisiennes, les magasins du Dé d’argent font partie des 5 000 à 7 000 exposants du Havre, que liste le Catalogue officiel de l’événement. Classés dans le deuxième groupe « marine et exportation », section « vêtements », ils sont mis à l’honneur par le journal officiel de L’Exposition maritime internationale, publié le temps de l’événement, de juin à octobre 1868.
L'Exposition maritime internationale : journal officiel illustré par Jules Mesnard, 1868, n°6
Tout comme pour la maison de confection du Phare du Havre, la maison d’orfèvrerie Christofle ou la maison Cheuvreux-Aubertot, connue pour ses dentelles, les visiteurs peuvent découvrir les produits du Dé d’argent en déambulant au milieu des vitrines disposées dans les galeries de l’exposition. Y sont montrés étoffes, bonneterie, habits de confections et tapis, mais également, et là réside la spécificité du magasin havrais, des articles de marins (paletots, chemises et bonnets).
Vitrine d’articles spéciaux pour la marine exposés par la maison du Dé d’argent
L'Exposition maritime internationale : journal officiel illustré par Jules Mesnard, 1868, n°6, p.45
Interrogés par L. Van Cutsem, journaliste de la revue dépêché sur place, Caron et Landrieu mettent en avant les spécificités commerciales qui font le succès du magasin : une grande variété de produits rassemblée au même endroit, des prix fixes et modiques obtenus grâce à des économies d’échelles avec des achats en nombre directement en fabrique et des coûts fixes faibles, notamment du fait d’un loyer plus bas au Havre qu’à Paris.
L’exposition maritime internationale de 1887
Jules Chéret, Affiche de l’Exposition du Havre maritime internationale, 1887
La maison du Dé d’argent profite d’une nouvelle exposition havraise organisée en 1887 et installée à proximité immédiate pour mettre en avant ses produits auprès des visiteurs que l’événement attire.
Affiche des grands magasins du Dé d’argent, 1887
Ayant réorganisé ses trente comptoirs, le magasin a élargi son offre à l’ameublement et possède des ateliers pour la réalisation des sommiers, des matelas et de la literie.
Il propose aussi des produits importés du Japon et de Chine pour répondre au grand engouement que suscite alors l’Extrême-Orient.
Catalogue du Bon Marché, Nouveautés de la saison de printemps et d'été, 1882, p.113
Les jeux sont faits : la fin du Dé d’argent
Quelques mentions attestent de l’existence du grand magasin au tournant du siècle. Si le Dé d’argent connaît en 1900 un terrible incendie dans ses annexes situées au 46 quai de Lamblardie et des pertes financières dont la presse quotidienne régionale se fait le relais, il survit et s’étend en 1909 aux numéros 102 et 104 de la rue de Paris, sans qu’il ne soit plus fait mention des locaux rue de l’Hôpital et place Richelieu. Outre un encart dans La Tempérance hâvraise en 1911, une publicité dans un guide du Havre de 1912 rend hommage à « la plus grande spécialité de fourrures de toute la région ». En 1919, la maison existe encore mais met en location une partie de ses espaces autrefois occupés, signe possible d’une santé vacillante.
Le Petit Havre, 27 novembre 1919, p.4
Selon Bernard Marrey, le magasin disparaît en 1922. Quant aux locaux, ils sont détruits comme le reste du centre-ville dans les bombardements d’août 1944.
Marcel Maillard, Vue panoramique des destructions [...] au Havre : après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, 1945
Pour aller plus loin
Éric DUTHOO, « Le développement des enseignes en province », Les cathédrales du commerce parisien. Grands magasins et enseignes, Paris, Action artistique de la ville de Paris, 2006, pp. 180-183. Accessible à la BnF.
DAUMAS Jean-Claude, « Les grands magasins et la modernisation du commerce de détail au XXe siècle », Les révolutions du commerce. France, XVIIIe-XXIe siècle, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2020, pp.93-112. Disponible sur OpenEdition (consulté le 6/11/2024).
GASTAUT Amélie (dir.), La naissance des grands magasins (1852-1925), mode, design, jouets, publicité, Paris, Musée des arts décoratifs, 2024. Accessible à la BnF.
LOZÈRE Christelle, « Expositions provinciales et identités coloniales au XIXe siècle », Diacronie, n°18, 2, 2014. Disponible sur OpenEdition (consulté le 6/11/2024).
MARREY Bernard, « Le Havre. Le Dé d’argent », Les grands magasins, Paris, Éditions Picard, 1979, p.192. Accessible à la BnF.
Musées d’Art et d’Histoire du Havre, « Exposition maritime du Havre ». Disponible sur le site des Musées d'art et d'histoire du Havre (consulté le 6/11/2024).
Documents complémentaires
Archives de la Seine-Maritime, « O59J collection de factures », 59 J 100 ; 59 J 180 ; 59 J 429 ; 59 J 480. Inventaire disponible sur le site des Archives départementales de la Seine-Maritime (consulté le 6/11/2024).
« Le Dé d'argent », L’Illustration : journal universel (Paris), 18 juillet 1868. Accessible à la BnF.
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