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Emplettes au Havre : les grands magasins du Dé d’argent

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12 novembre 2024

Si c’est souvent l’histoire des grands magasins parisiens qui concentre l’attention, le phénomène concerne aussi le reste de la France. Partons à la découverte du Dé d’argent, grand magasin né au XIXe siècle au Havre.

Vue intérieure des grands magasins du Dé d'argent
L'Exposition maritime internationale : journal officiel illustré par Jules Mesnard, n°6, 1868

Parmi les grands magasins qui se développent à travers la France, d’abord dans les années 1860-1870 puis dans les années 1890, certains sont des filiales de magasins déjà implantés à Paris. D’autres sont d’anciens magasins de nouveautés, à savoir des boutiques d’étoffes, de mercerie et de confection, qui s’agrandissent progressivement. Les grands magasins du Dé d’argent du Havre relèvent de cette catégorie.

Publicité pour le Dé d’argent
Guide du Havre et de la région de Philippe Barrey, 1912

À la recherche du Dé d’argent

Les circonstances de la création de ce magasin de nouveautés sont incertaines. Si sa naissance est datée de 1837 par le Catalogue général officiel de l’exposition maritime internationale de 1887, les premières traces de son existence remontent, selon l’historien Bernard Marrey, au 15 avril 1847 avec une mention dans le Journal du Havre. Simple boutique de mercerie, de lingerie, de tissus et de bonneterie possédée par M. Letellier-Férard, commerçant du Havre, elle est localisée aux numéros 32 et 34, rue Saint-Jacques.

Rue Saint-Jacques, rue de Paris, place Richelieu et rue de l’Hôpital au nord de l’avant-port
Le Havre, 1872

En 1852, M. Letellier-Férard rachète le n°100 de la rue de Paris, une maison qu’a fait construire en 1825 Tarlost, un entrepreneur à l’origine d’une part importante du quartier, et y transfère son établissement en 1859. Le Dé d’argent se retrouve alors au cœur de la principale rue commerçante du Havre, où l’on trouve le magasin de nouveautés Au Printemps au n°93, un joaillier-orfèvre au n°103 ou encore un magasin de chasse au n°137.

Le Dé d’argent s’agrandit progressivement, au fur et à mesure qu’il propose de nouveaux types d’articles, que M. Letellier-Férard rapporte parfois de Paris. À en croire L’histoire des rues du Havre de Charles-Théodore Vesque, le magasin possède une annexe rue de l’Hôpital à partir de 1862. En 1868, le Dé d’argent, désormais possédé par P. Caron et Charles Landrieu, deux négociants du Havre, a trente comptoirs et s’étend du n°98 au n°100 rue de Paris, au n°1 place de Richelieu et au n°69 rue de l’Hôpital.

L’exposition maritime internationale de 1868

Cette année-là, un coup de projecteur est mis sur le magasin à l’occasion de l’Exposition maritime internationale du Havre. Faisant suite à l’Exposition universelle de 1867 à Paris, l’exposition havraise a un prisme spécifique, celui de vouloir mettre en avant tous les objets du Havre ayant trait à la navigation, au commerce et à la mer.

Cette Exposition sera donc une manifestation complète du progrès et du perfectionnement de la navigation internationale, à vapeur ou à voile, en même temps qu’elle mettra en évidence les ressources de notre commerce. Elle continuera, dans ce domaine spécial et pourtant bien vaste, l’idée de l’Exposition de 1867.

Vue de l’Exposition maritime du Havre de 1868
Gravure de William Partridge, Havre-exposition, 16 avril 1887

De même que les grands magasins parisiens sont présents aux expositions universelles parisiennes, les magasins du Dé d’argent font partie des 5 000 à 7 000 exposants du Havre, que liste le Catalogue officiel de l’événement. Classés dans le deuxième groupe « marine et exportation », section « vêtements », ils sont mis à l’honneur par le journal officiel de L’Exposition maritime internationale, publié le temps de l’événement, de juin à octobre 1868.

L'Exposition maritime internationale : journal officiel illustré par Jules Mesnard, 1868, n°6

Tout comme pour la maison de confection du Phare du Havre, la maison d’orfèvrerie Christofle ou la maison Cheuvreux-Aubertot, connue pour ses dentelles, les visiteurs peuvent découvrir les produits du Dé d’argent en déambulant au milieu des vitrines disposées dans les galeries de l’exposition. Y sont montrés étoffes, bonneterie, habits de confections et tapis, mais également, et là réside la spécificité du magasin havrais, des articles de marins (paletots, chemises et bonnets).

Vitrine d’articles spéciaux pour la marine exposés par la maison du Dé d’argent
L'Exposition maritime internationale : journal officiel illustré par Jules Mesnard, 1868, n°6, p.45

Interrogés par L. Van Cutsem, journaliste de la revue dépêché sur place, Caron et Landrieu mettent en avant les spécificités commerciales qui font le succès du magasin : une grande variété de produits rassemblée au même endroit, des prix fixes et modiques obtenus grâce à des économies d’échelles avec des achats en nombre directement en fabrique et des coûts fixes faibles, notamment du fait d’un loyer plus bas au Havre qu’à Paris.

L'Exposition maritime internationale : journal officiel illustré par Jules Mesnard, 1868, n°6, p.43

Un homme, une femme, un enfant, ajoutaient-ils, peuvent s’habiller ici des pieds à la tête. Il ne nous faudrait que quelques instants, le temps de le faire passer devant nos rayons, pour transformer le mendiant du coin en un brave marin ou en un élégant désœuvré !

Le Dé d’argent possède ses propres ateliers de coupe et de confection et pratique à la fois le commerce de détail et la vente en gros. Il est en mesure d’exporter ses produits à l’étranger et s’appuie sur les compétences linguistiques de ses employés en anglais, espagnol, portugais et allemand pour satisfaire les clients étrangers.

Érigés en magasins « les plus vastes du Havre, possédant les plus grands assortiments, vend[ant] le meilleur marché », les magasins du Dé d’argent obtiennent une médaille d’or décernée par le jury de l’exposition « en raison de l’importance et des services qu’[ils] rend[ent] [au] commerce d’exportation » du Havre. On retrouve une mention de la récompense sur une affiche publicitaire réalisée à l’occasion de l’Exposition maritime internationale du Havre de 1887.

Détail d’une affiche des grands magasins du Dé d’argent, 1887

L’exposition maritime internationale de 1887

Jules Chéret, Affiche de l’Exposition du Havre maritime internationale, 1887

La maison du Dé d’argent profite d’une nouvelle exposition havraise organisée en 1887 et installée à proximité immédiate pour mettre en avant ses produits auprès des visiteurs que l’événement attire.

Affiche des grands magasins du Dé d’argent, 1887

Ayant réorganisé ses trente comptoirs, le magasin a élargi son offre à l’ameublement et possède des ateliers pour la réalisation des sommiers, des matelas et de la literie.

Deuxième de couverture du Catalogue général officiel de l’exposition maritime internationale du Havre de 1887

Il propose aussi des produits importés du Japon et de Chine pour répondre au grand engouement que suscite alors l’Extrême-Orient.

Catalogue du Bon Marché, Nouveautés de la saison de printemps et d'été, 1882, p.113

Les jeux sont faits : la fin du Dé d’argent

Quelques mentions attestent de l’existence du grand magasin au tournant du siècle. Si le Dé d’argent connaît en 1900 un terrible incendie dans ses annexes situées au 46 quai de Lamblardie et des pertes financières dont la presse quotidienne régionale se fait le relais, il survit et s’étend en 1909 aux numéros 102 et 104 de la rue de Paris, sans qu’il ne soit plus fait mention des locaux rue de l’Hôpital et place Richelieu. Outre un encart dans La Tempérance hâvraise en 1911, une publicité dans un guide du Havre de 1912 rend hommage à « la plus grande spécialité de fourrures de toute la région ». En 1919, la maison existe encore mais met en location une partie de ses espaces autrefois occupés, signe possible d’une santé vacillante.

Le Petit Havre, 27 novembre 1919, p.4

Selon Bernard Marrey, le magasin disparaît en 1922. Quant aux locaux, ils sont détruits comme le reste du centre-ville dans les bombardements d’août 1944.

Marcel Maillard, Vue panoramique des destructions [...] au Havre : après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, 1945

 

Pour aller plus loin

Éric DUTHOO, « Le développement des enseignes en province », Les cathédrales du commerce parisien. Grands magasins et enseignes, Paris, Action artistique de la ville de Paris, 2006, pp. 180-183. Accessible à la BnF.
DAUMAS Jean-Claude, « Les grands magasins et la modernisation du commerce de détail au XXe siècle », Les révolutions du commerce. France, XVIIIe-XXIe siècle, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2020, pp.93-112. Disponible sur OpenEdition (consulté le 6/11/2024).
​GASTAUT Amélie (dir.), La naissance des grands magasins (1852-1925), mode, design, jouets, publicité, Paris, Musée des arts décoratifs, 2024. Accessible à la BnF.
LOZÈRE Christelle, « Expositions provinciales et identités coloniales au XIXe siècle », Diacronie, n°18, 2, 2014. Disponible sur OpenEdition (consulté le 6/11/2024).
MARREY Bernard, « Le Havre. Le Dé d’argent », Les grands magasins, Paris, Éditions Picard, 1979, p.192. Accessible à la BnF.
Musées d’Art et d’Histoire du Havre, « Exposition maritime du Havre ». Disponible sur le site des Musées d'art et d'histoire du Havre (consulté le 6/11/2024).
 

Documents complémentaires

Archives de la Seine-Maritime, « O59J collection de factures », 59 J 100 ; 59 J 180 ; 59 J 429 ; 59 J 480. Inventaire disponible sur le site des Archives départementales de la Seine-Maritime (consulté le 6/11/2024).
« Le Dé d'argent », L’Illustration : journal universel (Paris), 18 juillet 1868. Accessible à la BnF.

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