Naissance de l'ethnologie française
L’ethnologie est une discipline récente officialisée par la création de l’Institut d’ethnologie en 1925. Dans les années 1930, de jeunes ethnologues ont choisi un vaste terrain d’enquête pour mettre en pratique la théorie enseignée et parfaire leurs méthodes de recherche : l’Afrique subsaharienne.
A l’occasion du partenariat entre la BnF et le labex Les passés dans le présent, une nouvelle sélection Gallica a vu le jour : Ethnologie française. Premières missions en Afrique subsaharienne.
Cette sélection regroupe, classe et présente les documents des années 1928-1939 qui rapportent, commentent et analysent les missions ethnologiques en Afrique, pour la plupart menées par Marcel Griaule. Ces explorations participent de la naissance d’une nouvelle discipline scientifique : l’ethnologie, quelques années après la fondation de l’Institut d’ethnologie à Paris en 1925. Articles scientifiques, articles de presse, livres et manuscrits éthiopiens sont présentés en 5 chapitres.
Le premier d’entre eux concerne quelques ethnologues de ces missions, à commencer par l’instigateur et chef de quatre des cinq missions présentées : Marcel Griaule. Très prolifique, Griaule a publié non seulement des articles scientifiques mais aussi nombre d’articles de presse, relatant les péripéties des missions quasiment en direct (surtout en considérant les techniques de l’époque) au moyen d’articles envoyés à différents quotidiens et hebdomadaires. Il a également longuement analysé le conflit italo-abyssin de 1935-1936, prenant fait et cause pour l’Abyssinie.
Les autres ethnologues présents dans la sélection ont chacun, en sus de l’ethnologie, leur propre spécialité : la littérature (Michel Leiris), la musicologie (André Schaeffner), la linguistique (Deborah Lifchitz et Denise Paulme), l’archéologie (Jean-Paul Lebeuf) et le journalisme (Hélène Gordon).
Les missions décrites ici sont au nombre de cinq : Abyssinie (1938), Dakar-Djibouti (1931-1933), la grande mission africaine des années 1930, Sahara-Soudan (1935), Paulme-Lifchitz (1935) et Sahara-Cameroun (1936-1937). Les documents montrent le côté parfois très aventureux de ces explorations scientifiques. Elles ont différé sur plusieurs points, notamment la durée (de quelques mois à deux ans) ou encore l’itinéraire. Certaines ont ainsi sillonné l’Afrique d’ouest en est, d’autres au contraire se sont focalisées sur des aires géographiques et ethnies précises (les Dogons en particulier).
Le partenariat avec le Labex fut l’occasion de numériser en haute définition quelques-uns des manuscrits éthiopiens de la collection Griaule. Celui-ci avait acquis au cours de ses deux premières missions près de 350 manuscrits, la plupart achetés sur place, qu’il a par la suite confiés à la Bibliothèque nationale. Une sélection représentative de ces manuscrits est disponible en ligne. Ces manuscrits sont en partie des originaux, rouleaux ou codex en parchemin contenant principalement des prières protectrices contre des démons, des textes bibliques ou liturgiques. Griaule avait également confié des carnets vierges à des lettrés éthiopiens afin qu’ils consignent eux-mêmes, en amharique, les résultats de leurs enquêtes ou de leurs recensements. Ainsi le carnet « Recettes médico-magiques » (Ethiopien 598) décrit-il des pathologies et leurs remèdes puis des plantes médicinales et les affections qu’elles soignent. On compte également un recueil de courtes pièces (Ethiopien 604) comprenant proverbes, devinettes et contes. C’est ce type de textes qu’ont traduits et analysés Deborah Lifchitz et Denise Paulme à leur retour de mission. Griaule avait également commandé des recensements, comme celui de la ville de Gondar (Ethiopien 626). Sont dévoilés ici quelques exemples de documents relatifs à ces manuscrits : carnets d’acquisition des manuscrits, tenus par Deborah Lifchitz lors de la mission Dakar-Djibouti (Ethiopien 663) ; fiches de traduction manuscrites mises en regard du texte original.
Avec ces missions, Griaule et ses collègues ont introduit des nouveautés dans la recherche ethnologique. De nouvelles méthodes de travail ont été formalisées, comme la collecte d’objets et leur documentation, très importante pour la suite du processus scientifique. Griaule a également utilisé l’aviation et la photographie aérienne, se montrant en cela très novateur. C’est aussi au cours de ces missions que s’est développée l’interdisciplinarité au service de l’ethnologie. Les ethnologues en place ont élargi l’éventail de leurs compétences ou ont fait appel à d’autres spécialistes (musicologue, peintre, archéologue…) pour les accompagner dans leurs explorations. Des sous-disciplines ont également vu le jour à ces occasions : ethnobotanique, ethnozoologie etc.
Enfin, un élément saute aux yeux de qui s’intéresse à ces missions : l’importance des articles de presse. Les cycles d’articles de Marcel Griaule et d’Hélène Gordon figuraient en première page des quotidiens Le Journal et L’intransigeant, montrant tout l’intérêt que la presse – et par extension une grande partie de la population – portait aux populations africaines. Certes, Griaule avait savamment orchestré la médiatisation de ses missions – notamment Dakar-Djibouti, pour laquelle il avait même obtenu le mécénat du boxeur Al Brown. Mais l’ensemble de ces articles montre que, quel que soit l’angle utilisé : mode, relation d’expositions ou de conférences, suivi des péripéties en Afrique..., la presse de l’époque, généraliste ou professionnelle, s’était emparée de ces missions et en faisait profiter son public, permettant ainsi au lecteur d’aujourd’hui d’en reconstituer en partie l’histoire.
Commentaires
Merci pour ce billet mettant
Merci pour ce billet mettant en avant cette discipline scientifique qui maintenant et contrairement à l'époque est beaucoup moins médiatisée.
Vision idéaliste ?
1/Griaule n'était évidemment pas en mesure de décider seul de ce que les missions avaient à faire, elles étaient sous mécénat ou sous projet gouvernemental. Ensuite tout dépendait de l'intelligence et de la curiosité de chacun des savants embarqués dans les croisières et missions.
2/Depuis le XIXe siècle la presse était le média le plus au fait des voyages et découvertes des ethnologues, et les vulgarisaient par d'abondantes reproductions et aussi des conseils aux lecteurs pour les expéditions lointaines.
3/Il ne faudrait pas faire croire au lecteur d'aujourd'hui que l'ethnographie a commencé à être connue (et d'abord pratiquée, évidemment) avec la mission Dakar-Djibouti : les raisons de politique coloniale sont liées au commencement et au développement de la collecte des objets et des récits. Evidemment aujourd'hui, méthodes et objectifs ne sont plus les mêmes !
Bonjour,
Bonjour,
Merci pour vos remarques. La sélection ne vise pas à prétendre que les missions ethnologiques n’ont été médiatisées qu’à partir de la Mission Dakar-Djibouti. Il est juste montré que cette mission a été particulièrement valorisée grâce à l’orchestration d’une impressionnante campagne de presse dont n’a pas bénéficié, par exemple, la Mission Abyssinie en 1928. Cordialement, Caroline Tourette
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