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Ellen Terry, la Dame du théâtre anglais

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Surnommée la « Sarah Bernhardt anglaise », Ellen Terry fut une figure majeure du théâtre anglais de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Si elle fut quelque peu éclipsée par les nombreuses figures masculines de son entourage, sa carrière fut immense et son talent reconnu par ses pairs. Gallica vous propose de redécouvrir son histoire.

Recueil. Ellen Terry, actrice et directrice de théâtre. Documents iconographiques

« Miss Ellen Terry est une sorte d’institution nationale et chacun s’accorde à la trouver, quoiqu’elle fasse, délicieuse, avec un sourire attendri[1]. »

Née le 27 février 1847 à Coventry, Ellen Alice Terry est issue d’une véritable dynastie d’acteurs de théâtre d’origine irlandaise : fille, sœur, mère et tante de comédiens et comédiennes, elle fait ses débuts sur les planches à neuf ans dans le rôle de Mamilius du Conte d’hiver de Shakespeare au Princess’s Theatre de Londres en 1856. Au cours des années suivantes, elle joue dans des pièces classiques et modernes, tragédies et comédies, avec ou sans sa sœur Kate, dans toute l’Angleterre.
 

 

A seize ans, le 20 février 1864, elle se marie avec le célèbre peintre George Frederic Watts, de trente ans son aîné. Le mariage ne dure que dix mois et Ellen retourne à la scène en 1866. Deux ans plus tard, elle commence une relation avec l’architecte et essayiste Edward William Godwin et cesse de jouer pendant six ans. Toujours officiellement mariée à Watts qui refuse de divorcer pour qu’elle ne puisse épouser Godwin, elle met au monde une fille, Edith, en 1869 et un fils, Edward Gordon, en 1872. Tous deux, pour éviter le scandale, finissent par porter le pseudonyme de Craig et deviendront comédiens, puis, pour Edith, scénographe et costumière - sans compter ses activités de suffragette - et, pour Edward, théoricien et collectionneur du théâtre[2]. L’architecte et l’actrice se séparent en 1875 mais Godwin continue de dessiner ses costumes quand elle recommence à jouer. Elle se mariera encore deux fois. Une première fois en 1877 avec Charles Clavering Wardell, acteur et journaliste. Elle s’en séparera en 1881. Elle épousera enfin en 1907 l’acteur américain James Carew, rencontré sur scène, de trente ans son cadet, mais le mariage ne durera que deux ans, sans qu’ils ne divorcent jamais.

Connue pour ses rôles shakespeariens, en particulier Béatrice dans Beaucoup de bruit pour rien, Portia dans Le Marchand de Venise et Lady Macbeth dans Macbeth, Ellen Terry contribue à revivifier la tradition du Barde d’Avon dans la seconde moitié du XIXe siècle. Elle s’illustre tout particulièrement aux côtés de l’acteur Henry Irving qui, en 1878, l’engage pour 24 ans au Lyceum, avec un généreux salaire.

Desdemone, maquettes par E. W. Godwin (?), 1880 pour une représentation au Lyceum (MAQ-11855 et MAQ-11858)

Elle a ainsi joué le rôle de Portia pendant 42 ans, jusqu’à sa dernière apparition dans le rôle à l’Old Vic Theatre en 1917.

 

 

Quand les rôles de jeune première ne peuvent plus lui convenir, elle en adopte d’autres, comme celui de la nurse dans Roméo et Juliette.
 

 

Mais son répertoire ne se limite pas aux classiques. Elle crée des pièces d’auteurs contemporains auxquels elle confère le succès, Tennyson, Reade ou encore Sardou dans une traduction de Madame Sans-Gêne. Dans les années 1890, elle se lie d’amitié avec George Bernard Shaw, dont elle permet les débuts au théâtre et crée en 1905 le rôle-titre de la pièce de Barrie, l’auteur de Peter Pan, Alice-Sit-By-The-Fire.

C’est ainsi qu’elle participe plus généralement au renouveau du drame dans l’Angleterre victorienne. Henry Irving et Ellen Terry ont joué un rôle clé dans la transformation de l’art de jouer à la fin du XIXe siècle. Fortes personnalités à la ville comme à la scène, ils contribuent à instaurer un jeu plus naturel, plus centrée sur la personnalité des acteurs que sur l’incarnation des personnages.

« Elle ne dit pas le texte tel que je l’ai écrit, elle dit le texte comme je voudrais l’avoir écrit » (Bernard Shaw)

Adulée par ceux que l’on n’appelait pas encore des fans, parmi lesquels Oscar Wilde qui lui dédia un sonnet après l’avoir vue dans Le Marchand de Venise en 1875, elle joue de son image. Peinte à de nombreuses reprises par son premier mari, Watts, puis par Sargent en Lady Macbeth dans un portrait resté célèbre et photographiée par Julia Margaret Cameron, ses photographies font aussi l’objet d’un véritable marketing de l’image.
 
C’est qu’au tournant du XIXe siècle, le théâtre devient l’un des passe-temps préférés de la classe moyenne. Se développent ainsi des figures de véritables stars du théâtre. Irving a été le premier acteur à être anobli par la reine en 1895 et Ellen Terry a obtenu en 1922 un diplôme honoris causa de la prestigieuse université Saint Andrew à Édimbourg et devint Dame Ellen Terry en 1925.
 

 

Les tournées en Amérique organisées pour sa troupe par Irving à partir de 1883 connaissent un grand succès précisément à cause de – ou grâce à – ce statut de vedettes tout nouvellement reconnu aux comédiens. Exploitant, selon Leigh Woods, un complexe d’infériorité culturel des États-Unis vis-à- vis du Vieux Monde, ses six tournées la voient jouer les rôles de Jeanette, d’Ophélie, de Béatrice, de Viola et bien sûr de Portia et remportent un franc succès.
 
Georges Edward Watts, Henry Irving, Bernard Shaw, et même son fils Edward Gordon Craig, Ellen Terry ne semble exister que pour “réfracter” le rayonnement d’hommes qui, tout en professant la plus grande admiration pour elle, lui font de l’ombre[3]. Il est significatif que ses contemporains comme ses biographes plus tardifs aient tendance à lui prêter, outre son mariage avéré avec Watts, une liaison avec Irving tandis que Shaw revendique lorsqu’il publie sa correspondance avec l’actrice, une sorte d’amitié amoureuse platonique avec elle. Mais au-delà de son activité de comédienne, une partie de sa carrière et de son action dans les milieux du spectacle londoniens, qui éclairent son personnage d’une lumière nouvelle, restent méconnus. Quand elle rejoint Irving au Lyceum, elle investit financièrement dans sa compagnie, ce qui lui donne un droit de regard sur la production[4]. En 1902, elle quitte le Lyceum et fonde une nouvelle compagnie théâtale, reprenant en 1903 avec son fils la direction de l’Imperial Theatre. Elle choisit alors de produire des pièces de Shaw ou encore d’Ibsen, comme Les Vikings, où elle joue le rôle de Hiordis. L’entreprise familiale, s’appuyant sur les décors et les mises en scène d’Edward avec les costumes d’Edith, est un échec commercial mais montre qu’Ellen Terry est une figure plus complexe qu’il n’y paraît.
 

Après avoir célébré en grande pompe son jubilée (cinquante ans de carrière théâtrale) à Drury Lane en 1906, elle décide de se retirer de la scène en 1920, non sans avoir fait une incursion dans le monde du film, dans Her Greatest Performance (1916), Victory and Peace (1918), Pillars of Society (1920) et The Bohemian Girl (1922). Retirée dans son cottage du Kent, elle meurt le 21 juillet 1928.
 

Durant sa carrière, elle a atteint le statut de mythe dans le monde anglo-saxon et son aura y demeure intacte aujourd’hui. Commenté, décrit et décortiqué par les spectateurs et acteurs de son temps, son jeu est resté synonyme d’une époque et son évocation amène dans son sillage celui de l’Angleterre de son temps. Effacée aujourd’hui des mémoires plus continentales de nos contemporains, elle suscita durant sa vie un véritable engouement chez le public français. La « Sarah Bernhardt anglaise », comme la surnommaient les journaux, était dans tous les esprits, à l’égal de l’italienne Eleonora Duse, « l’une des plus authentiques reines du théâtre moderne », entourée de « ce halo lumineux que les Anglais appellent glamour[5] ».

« Au dessus de son réel talent d’actrice, elle possédait la fascination d’une personnalité accomplie résumant, voix gestes, attitudes, physionomies, l’idéal féminin d’une époque. […] Elle était la personnification même de l’héroïne, telle que ce monde anglo-saxon le concevait, à une heure où ce monde imposait aux autres peuples, par le prestige d’une grande civilisation arrivée à l’apogée, son type de perfection, son modèle humain aux autres nations. […] Dans l’impression qu’elle produisait sur les spectateurs, une confusion complète s’établissait entre l’attrait surgi du personnage fictif qu’elle incarnait et la séduction de sa personnalité qui ne devait presque rien au rôle brillant dont elle était l’interprète[6]. »

 

Pour aller plus loin
Ellen Terry, The collected letters of Ellen Terry
Ellen Terry, Ellen Terry’s Memoirs, Londres : Gollancs, 1933
Ellen Terry, More reminiscences
Moira Shearer, Ellen Terry, Stroud : Sutton, 1998
Katharine Cockin, Ellen Terry : spheres of influence, Brookfield/London : Pickering & Chatto, 2011

 
[1] Le Mercure de France, 1e octobre 1907.
[2] Voir le fonds Edward Gordon Craig, acheté par Julien Cain et André Veinstein en mai 1957, qui contient des manuscrits, dessins, gravures, objets de lui ainsi que les collections qu’il a réunies (bibliothèque, documentation et objets). https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc42345
[3] Voir l’essai que lui consacre Virginia Woolf.
[4] Katharine Cockin, “The art of performance and her work in film”, in Stage Women 1900-1950 : Female theatre workers and professional practice, Maggie B. Gale and Kate Dorney ed., Manchester : Manchester University Press, 2019, p. 242.

Commentaires

Soumis par Lhermé le 21/09/2021

Bonjour
Je voudrais signaler une erreur : Watts était un peintre préraphaélite et non un "prince"; et une omission : Ellen Terry était la grand tante de John Gielgud , célèbre acteur shakespearien décédé au début de notre siècle.

Soumis par Nadia Marguerit... le 16/11/2021

Bonjour,

Merci pour votre commentaire. La correction est bien faite.
Bien cordialement,

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