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L’Orlando furioso de l’Arioste, un ancêtre de la fantasy

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12 mars 2020

Alors que l'exposition Tolkien, voyage en terre du milieu a fermé ses portes et que la saison de la fantasy bat son plein à la BnF en salle A du département de l’audiovisuel et sur le site Fantasy, retour aux sources, plongeons-nous dans l’univers de l’un des illustres ancêtres du genre, l’Orlando furioso de l’Arioste.

Roland furieux : poème héroïque. Illustration par Gustave Doré, 1879
Si les épopées antiques et les sources médiévales sont fondamentales à la compréhension de la fantasy par les traditions mythologiques et merveilleuses et la construction de la figure héroïque qu’elles véhiculent, d’autres textes ont également nourri l’imaginaire associé à ce genre littéraire. Ainsi, dans l’Italie du XVIe siècle, paraissent les Nuits facétieuses de Giovanni Francesco Straparola, compilation de contes et l’un des chefs-d’œuvre de la littérature italienne, l’Orlando furioso de l’Arioste, édité en 1516 à Ferrare puis en 1532 dans sa version définitive.
 

L’emblème du « divin Arioste » dans la première édition de l’Orlando furioso de 1516
 

L’épopée du poète ferrarais apparaît comme un formidable biais par lequel rentrer dans les thèmes et motifs de la fantasy. De fait, ce n’est pas sans raison que C. S. Lewis propose pour la couverture de la première édition anglaise de la Communauté de l’anneau de Tolkien en 1954 une comparaison du premier opus du Seigneur des anneaux avec l’Orlando furioso :
 
«  Si l’Arioste lui faisait concurrence en matière d'invention (en fait il ne le fait pas), il lui manquerait encore son sérieux héroïque. Aucun monde imaginaire n'a été présenté qui soit à la fois aussi varié et aussi vrai dans ses propres lois internes ; aucun n'est aussi apparemment objectif, aussi exempt de la souillure de la psychologie purement individuelle d'un auteur ; aucun aussi approprié à la situation humaine réelle et pourtant aussi libre d'allégorie. Et quelle nuance délicate il y a dans les variations de style pour correspondre  à la diversité presque infinie des scènes et des personnages - comiques, intimes, épiques, monstrueux ou diaboliques ».

 

Allons découvrir plus précisément ce que l’Arioste a mis dans sa « marmite de soupe » et son « chaudron du conte » pour reprendre l’image de Tolkien dans son essai Du conte de fée. L’Orlando furioso se présente comme la suite de l’Orlando innamorato de Matteo Maria Boiardo, épopée restée inachevée en 1494. L’Arioste construit sa trame poétique sur deux axes narratifs, la folie de Roland rejeté par Angélique et l’opposition de l’armée chrétienne de Charlemagne à celle sarrasine d’Agramant, autour desquels sentrelacent de nombreuses intrigues secondaires, teintées de merveilleux et d’exotisme. Le cardinal Hippolyte d’Este, protecteur du poète, se serait d’ailleurs écrié à la première lecture de l’œuvre : « Messire Ludovic, où êtes-vous allé chercher toutes ces âneries [coglionnerie] ? » ! C’est pourtant un véritable « best-seller » qu’écrit l’Arioste, œuvre de tous les records éditoriaux au XVIe siècle. La première édition de 1516, tirée à environ deux mille exemplaires, comprend alors quarante chants, depuis la fuite dAngélique au grand dam de Ferragus et de Renaud à la célébration du mariage des ancêtres de fiction des Este, Roger et Bradamante. En 1532, après une refonte, il comporte désormais quarante-six chants. Au total, ce sont plus de cent-trente rééditions qui paraissent entre 1516 et 1580 et pas moins de huit éditions illustrées entre 1536 et 1584.
 

"Un pouvoir essentiel de la faërie est de rendre immédiatement effectives par la volonté les visions de la fantaisie" (J.R.R. Tolkien)

Ce succès s’explique notamment par le caractère protéiforme de l’œuvre qui combine tout à la fois les modèles antiques, avec de nombreux rapprochements entre les sujets ariostéens et des épisodes de lOdyssée, de lÉnéide et surtout des Métamorphoses, les spécificités courtoises et les valeurs chevaleresques de la « matière de France » auxquelles s’ajoutent des références à la « matière de Bretagne ». Ce réseau dentrelacements narratifs et de tissages référentiels génère un imaginaire syncrétique caractéristique de l’œuvre que les éditions illustrées ont largement contribué à diffuser. Par exemple, le vénitien Vincenzo Valgrisi publie en 1556 le Furioso, accompagné de commentaires allégoriques et de quarante-six gravures en pleine page. Ces illustrations parviennent à transposer visuellement lentrelacement des fils narratifs, tout en donnant corps au foisonnement de l’imaginaire ariostéen par la multiplication des plans et l’agencement dynamique des personnages. Un exemple de cette plongée dans la fantaisie du poème est celui de la xylographie du chant XI : au premier plan, Angélique s’apprête à utiliser son anneau magique afin de fuir les avances de Roger. Le paladin, déconfit, reprend ses aventures chevaleresques et voit un géant enlever Bradamante, tandis que Roland a vaincu, au troisième plan, le terrible monstre marin et qu’au dernier, l’hippogriffe s’enfuit. La composition offre ainsi une véritable cartographie du merveilleux ariostéen.
 
 
De nombreux épisodes, personnages et objets repris par l’Arioste sont devenus des motifs récurrents du genre de la fantasy, tels que le mage maléfique, la fée bienveillante, la métamorphose, le combat contre un géant, des créatures hybrides telles que l’hippogriffe et les harpies, l’apparition de fantôme, le château enchanté, l’anneau qui rend invisible ou encore le voyage sur la Lune, quelques exemples qui nous évoquent les œuvres de J.R.R. Tolkien, Ursula Le Guin, Raymond E. Feist, Robin Hobb, J. K. Rowling ou Terry Pratchett pour ne citer que quelques classiques de la fantasy.
 
L’œuvre apparaît ainsi comme un condensé de mythologies et de légendes, formidable substrat qui en fait un ancêtre de la littérature de limaginaire comme le montre l’hommage rendu au poème dans l’uchronie de Chelsea Quinn Yarbro, l’Ariosto furioso. Romance pour une Renaissance alternative, publiée en 1980.
C’est au XIXe siècle que la manière d’illustrer le Roland furieux contribue à accentuer la dimension merveilleuse de l’Arioste. Cela n’est pas surprenant puisque c’est à cette même époque que merveilleux et fantastique connaissent un nouvel essor, tout particulièrement dans la littérature anglaise. Exploits chevaleresques et influences médiévales sont ainsi mis au premier plan par les Préraphaélites à l’exemple des œuvres de William Morris.
 
La première de couverture d’une traduction française de 1844 révèle cette mise en avant d’une lecture de l’épopée italienne par le prisme du merveilleux et de la fantaisie de son auteur. En effet, les motifs merveilleux forment en quelque sorte un frontispice symbolique signifiant l’universalité de l’épopée grâce à cet imaginaire : en haut se déploie le terrible mage Atlant sur l’hippogriffe avec, à sa droite, les armes abandonnées par Roland devenu fou et, à gauche, Angélique portant encore ses chaînes. Au centre, se répondent logiquement les figures de Roger en paladin et de sa bien-aimée guerrière, Bradamante, à qui il a confié son hippogriffe, tandis qu’en bas gisent les créatures vaincues, monstre marin aquatique et aérienne harpie. Ces références à la magie, au combat, à l’amour et au merveilleux invitent le lecteur à ouvrir la porte centrale, celle du Roland furieux, et à pénétrer dans le monde inventé par l’Arioste, comme Lucy poussera les portes de l’armoire magique la menant dans le monde de Narnia de C. S. Lewis.
 
Plonger dans l’Arioste, c’est ainsi entamer un fabuleux voyage transtextuel : Astolphe sur l’hippogriffe peut transporter le lecteur de Persée sur Pégase à Harry Potter sur Buck, du parcours guerrier de Bradamante à celui d’Eowyn dans le Seigneur des Anneaux ou de Brienne dans Game of Thrones de G. R. R. Martin. Nous vous invitons à prolonger ce voyage sur les terres immortelles des littératures de l'imaginaire grâce au jeu vidéo en ligne, le Royaume d’Istyald.
 
Pour aller plus loin :
Retrouvez l’œuvre de l’Arioste à consulter en ligne ou à télécharger au format EPUB : en français et en italien.
Sur les littératures de l’imaginaire : https://www.bnf.fr/fr/litteratures-de-limaginaire.
Pour découvrir la fantasy :
BESSON Anne (dir.), Dictionnaire de la fantasy, Paris, Vendémiaire, 2018.
Fantasy, retour aux sources

 

  • Clarisse Evrard

    Clarisse Evrard est docteur en histoire de l’art moderne et professeur agrégée de lettres classiques.

Commentaires

Soumis par Pierre le 07/01/2024

Merci pour ce partage très intéressant. En découvrant l’Orlando Furioso ces dernières semaines, je ne cessais de penser à l’univers de Tolkien sans trop savoir si cette intuition était justifiée vu les différences entre les œuvres. Comme vous le dites il y a là les premiers fils de la fantasy tant l’imagination y joue un rôle débordant et vivifiant !

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