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La Bourse du Commerce

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11 juin 2021

Depuis le 22 mai 2021, les locaux rénovés de la Bourse du Commerce abritent le musée dédié à la collection d’art contemporain de François Pinault, la Collection Pinault. C'est le dernier avatar de cet étonnant et pourtant méconnu fleuron de l’architecture parisienne.

Vue extérieure de la Bourse de CommerceLa halle au blé en 1789, la bourse de commerce en 1889 : cent ans
Charles Bivort. Imprimerie des Halles, 1889

À l’origine du monument actuel il y a la halle aux blés inaugurée en 1767 par l’architecte Nicolas Le Camus de Mézières. Cette galerie à arcades hérite d’une surprenante annexe : la colonne Médicis, ultime vestige de l’Hôtel que Catherine de Médicis avait fait construire en 1578. Vraisemblablement érigée pour des besoins astrologiques (Nostradamus y aurait officié) elle mesure 31 mètres de haut ce qui en fait encore un des bâtiments les plus élevés de Paris intra-muros. Si l’on en croit Robida, elle n’a survécu aux destructions des années 1740 que par l’action de l’écrivain Louis Petit de Bachaumont qui « Pour faire rougir les édiles de leur vandalisme, l’acheta 800 livres au moment où elle allait être comprise dans la démolition, et qui la recéda plus tard à la ville à la condition qu’elle ne serait pas démoli».

Paris de siècle en siècle / texte, dessins et lithographies, par A. Robida. Librairie illustrée, 1895
 

La construction de ce bâtiment et d’autres institutions voisines, comme la halle aux fruits ou celle des draps et toiles, témoigne de l’évolution économique de la capitale et du souci constant de stimuler son commerce. Avec son anneau de 122 mètres de circonférence, ses espaces de stockage d’accès facile et ses voûtes donnant sur rue, la halle aux blés est un exemple précoce d’architecture à la fois fonctionnelle et esthétique. À l’origine ouverte, la cour centrale bénéficie en 1783 de l’ajout d’une première coupole due à Jacques-Guillaume Legrand et Jaques Molinos. Très aérienne, cette couverture partiellement vitrée suscite l’étonnement et l’enthousiasme des contemporains. Mais composée majoritairement de bois elle ne survivra pas à l’incendie de 1802.

Comment Paris s'est transformé : histoire de Paris, topographie, mœurs, usages, origines de la haute bourgeoisie parisienne : le quartier des Halles / par C. Piton. J. Rothschild, 1891
 

Napoléon confie la reconstruction du bâtiment à François-Joseph Bélanger, curieux personnage dont la vie épouse les tumultes du temps. Cet ancien surintendant des bâtiments du Comte d’Artois a été incarcéré sous la révolution dans la même prison que sa future épouse, la fameuse courtisane et cantatrice Sophie Arnould. Menacé d’échafaud, il n’y échappe que pour entamer une carrière d’entrepreneur des pompes funèbres, ce qui lui donnera l’occasion de rédiger d’intéressantes notes sur les costumes d’enterrement des malheureux qui n’ont pas eu la chance comme lui d’échapper au couperet. Redevenu architecte, il ne sera pas peu fier d’avoir érigé pour la halle la première coupole à structure métallique de France. Constitué de cinquante et un arcs de fonte, cet ouvrage effectivement novateur annonce les révolutions futures des charpentes en fer du XIXe siècle.

Le Génie civil : revue générale des industries françaises et étrangères, 15 décembre 1888
 

La halle aux blés survit aux bouleversements de la période Hausmanienne, sans doute protégée par le classement aux Monuments Historiques de la colonne Médicis en 1862. Mais après la guerre de 1870 et la Commune de Paris, l’établissement connaît de sérieux soucis financiers et ferme ses portes en 1873. Il ne les rouvrira qu’en 1889 à l’occasion de l’Exposition universelle, après quatre années de rénovation patronnées par la Chambre de commerce. Le nouveau bâtiment, remanié assez profondément par Henri Blondel, prend alors son nom définitif de Bourse du commerce mais reste associé à la spéculation des produits agricoles. La sobriété initiale du monument s’efface quelque peu derrière un revêtement en brique agrémenté de frontons sculptés dans le goût chargé de l’époque. L’entrée du hall est dorénavant encastrée dans un portique néo-classique à quatre colonnes. La base de la coupole intérieure est quant à elle ornée de peintures marouflées sur zinc représentant les quatre parties du monde et glorifiant le commerce. Celles-là mêmes que le cinéaste Marco Ferreri utilisera ironiquement en 1974 pour l’ouverture de son très anticapitaliste film « Touche pas la femme blanche ».

Le Monde illustré, n°1696, 28 septembre 1889
 

Le Monde illustré, n°1696, 28 septembre 1889

 
Homme d’affaires autant qu’architecte, Blondel a avancé les fonds de la rénovation à la ville de Paris et obtenu en échange les droits d’exploitation du bâtiment pour soixante ans. À partir de 1949 la bourse devient propriété de la chambre de commerce qui occupera les lieux jusqu’en 2016 et lui conservera une vocation essentiellement économique et sociale, même si la place boursière est dématérialisée à la fin des années quatre-vingt-dix.
 
Les métamorphoses du quartier des Halles pendant les Trente glorieuses, et en particulier la destruction des pavillons Baltard en 1970-1971, ont fait prendre conscience des menaces qui pèsent sur un certain patrimoine architectural du XIXe siècle, jusque-là méprisé en raison de son caractère commercial et industriel. Plus d’un siècle après la colonne Médicis, la Bourse proprement dite obtient en 1986 le statut de monument classé. Elle devient occasionnellement un lieu d’expositions.

Depuis 2016 le bâtiment fait l’objet d’importantes transformations sous la houlette de Tadao Ando, lauréat du prix Pritzker 1995, à qui François Pinault et la mairie de Paris ont confié le projet du futur musée. Une restauration-reconversion qui s’appuie sur l’état de 1889 et se doit donc de respecter les éléments fondamentaux d’un monument patrimonial. À commencer par sa forme qui selon Ando en fera « Le seul musée circulaire du monde ».
 
Ando innove en introduisant un matériau inédit dans le bâtiment, le béton, sous la forme d’un cylindre de 29 mètres de diamètre et 9 mètres de haut. Inséré sous la rotonde, et par conséquent invisible depuis l’extérieur, ce volume supplémentaire permet une nouvelle distribution des espaces internes sans dénaturer la structure originelle de l’édifice, ni altérer les éléments décoratifs du XIXe siècle toujours visibles sous la coupole. Cet anneau est à la fois un lieu d’exposition, une gaine technique géante et un axe central autour duquel s’organisent les 2800 mètres carrés d’espaces répartis sur les trois étages des arcades. Ces espaces de tailles variables sont susceptibles de se combiner entre eux dans une logique modulaire, autorisant ainsi une palette extrêmement large de manifestations culturelles. Un auditorium souterrain de 300 places complète ce projet, à la fois radical et étonnement discret.
 

Pour aller plus loin

 Un article sur le projet Ando

  • Amélie Luquain. « La Bourse de commerce, un écrin contemporain ». Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, 24 janvier 2020. Europresse, 2020. Disponible dans les ressources électroniques de la BnF

Sur les transformations urbaines de Paris

Sur Tadao Ando

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