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Le Barzaz-Breiz, chants populaires de la Bretagne

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Le Barzaz-Breiz, publié en 1839, est un recueil de chants qu’un jeune homme de 24 ans prétend avoir collectés auprès de la "population nomade et chanteuse" de Bretagne. Ces chants de guerre, d’amour et de religion rappellent l’atmosphère des veillées. Le succès est immense, et la polémique sur leur authenticité passionnée.

"L’herbe d’or est fauchée ; il a bruiné tout à coup" : ainsi commence Le Tribut de Noménoë, "un poème de 140 vers" qui, écrit George Sand en 1856, est  "plus grand que l’Iliade, plus beau, plus parfait qu’aucun chef-d’œuvre de l’esprit humain". L’éloge va plus loin, embrassant la poésie de Bretagne, là où la prétendue spontanéité des "âmes simples" – un peuple de paysans, de vieilles femmes et de mendiants –, véhiculée par leurs chants vaut "tout Goethe et tout Byron, en trois couplets".L’enthousiasme de George Sand pour ce qu’elle désigne comme des "diamants" est partagé dans les milieux littéraires. Leur écrin est un recueil de chansons accompagnées de lignes mélodiques : le Barzaz-Breiz. Théodore Hersart de La Villemarqué (1815-1895), qui les a collectées en parcourant les campagnes bretonnes, est célébré. Mais la composition du livre a aussi suscité des doutes et provoqué une controverse au long cours questionnant cette tradition orale et son authenticité. Les "diamants" sont-ils purs ou La Villemarqué les a-t-il taillés ?

 

Le Barzaz-Breiz, chants populaires de la Bretagne : un livre emblématique difficile à cerner

Le Barzaz-Breiz connaît un succès immense et se diffuse en France et en Europe : neuf éditions du vivant de La Villemarqué, et des traductions anglaises, allemandes, ainsi qu’en Espagne, en Suède, en Pologne. Pourtant, en 1839, l’audience de la première édition est confidentielle et la critique d’estime. Publié par Charpentier à 500 exemplaires payés à compte d’auteur, le texte avait été refusé deux ans plus tôt par le ministère de l’Instruction publique. Le recueil comprend 53 chants historiques, d’amour et religieux. Les couplets en breton sont affichés sur la page de gauche avec, en regard sur la page de droite, la traduction française.

D’où vient le titre ?

D’où vient le titre ? Barzaz-Breiz pourrait être traduit par "corpus poétique de la Bretagne". La Villemarqué invente le mot "barzas" à partir du breton "barz" (aède) et du gallois "barddas" (art poétique). Il isole "Breiz" de l’expression "Breiz-Izel" (Basse-Bretagne).
En 1845, une seconde édition du Barzaz-Breiz suit chez Delloye, à 2 000 exemplaires, complétée d’une trentaine de chants, dont Ann Alarc’h (Le cygne), un texte à charge contre la France et encore chanté aujourd’hui.

C’est la consécration : en 1846, La Villemarqué reçoit la Légion d’honneur ; en 1851, il est élu à l’Académie royale de Berlin grâce à Jacob Grimm ; en 1858, à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. La part littéraire de l’œuvre présentée comme la mise en texte de chants issus de la tradition orale séduit, mais les méthodes de collecte commencent à faire douter les savants.

En 1867, Didier et Cie publie la sixième édition du Barzaz-Breiz, qui met désormais en avant les textes français, le breton étant rappelé en petits caractères et en bas de page. Quelques lignes mélodiques sont renvoyées à la fin du livre. Autour des chants, La Villemarqué écrit beaucoup : préambule, introduction, notes de contexte, arguments, remerciements censés authentifier la démarche scientifique.

Cette fois-ci, la controverse éclate.

La controverse du Barzaz Breiz

 

La polémique est déclenchée dans les milieux bretonnants, notamment lors du Congrès celtique de 1867, et s’incarne en François-Marie Luzel (1821-1895), poète et collecteur de contes, encouragé par Ernest Renan. Il conteste l’authenticité des chants et reproche à La Villemarqué d’avoir inventé les plus anciens et arrangé les autres. Selon lui, le Barzaz Breiz est un faux "historiquement", notamment pour ce qui concerne les chants les plus subversifs, et "philologiquement", la langue bretonne remaniée étant châtiée, elle est peu compréhensible par ceux qui la parlent tous les jours. Les débats sont violents et passionnés, mais La Villemarqué refuse de se justifier et s’enferme dans le silence.
L’authenticité des chants sera examinée jusqu’à nos jours (cf. "pour aller plus loin" ci-dessous), mise en relief par la découverte de trois carnets de terrain. Si La Villemarqué a ainsi recueilli des chants, il les a modifiés et a procédé à des arrangements à partir de différentes versions ; il a aussi inventé dans l’esprit du romantisme – un goût expliquant vraisemblablement son incroyable succès.

Un contexte propice

Le contexte a en effet été propice à l’essor du Barzaz-Breiz, la première moitié du XIXe siècle étant travaillée par le renouveau de la religion et l’éveil des nations. Le passé fascine, et les œuvres de fiction de James Macpherson ou de Walter Scott inspirent. Les savants, quant à eux, appréhendent l’Histoire en développant des méthodes scientifiques et en documentant les sources. Des institutions chargées des monuments historiques sont fondées. La celtomanie, par ailleurs à la mode depuis la fin du XVIIIe siècle, a vu l’engouement pour elle renouvelé avec la "découverte" des alignements de Carnac ; on cherche d’autres références culturelles que celles gréco-latines.

Le Barzaz-Breiz est à l’image de cette époque ; de même que son auteur. La Villemarqué, né dans une famille légitimiste du Finistère et formé notamment par les jésuites à Sainte-Anne d’Auray, monte à Paris en 1834 afin d’étudier le droit qu’il délaisse pour l’École des Chartes. Il fréquente des milieux intellectuels influencés par la celtomanie, dont le grammairien Jean-François Le Gonidec (1775-1838). Et si La Villemarqué a sillonné la Bretagne afin de collecter des chants, il a cherché en vain, jusqu’à Londres et à Oxford, les manuscrits prouvant l’origine lointaine de ces chants. Le Barzaz-Breiz, cette parole chantée d’un peuple breton idéalisé, est écrit et publié à Paris. La Villemarqué restaure à sa façon – et la nostalgie pour la Bretagne d’un jeune homme installé à la capitale y est sans doute pour quelque chose –, une tradition orale masquant mal des valeurs pétries de catholicisme libéral, opposées au progrès, au pouvoir de l’argent, et célébrant la ruralité, la charité et la pauvreté chrétienne, la loyauté – la révolte aussi, dont la charge symbolique se renouvelle sans cesse. Le texte échappe à un exclusivisme royaliste, le celtisme étant alors en vogue dans les sphères d’influence proches des Lumières et prônant l’héritage de la Révolution (La Villemarqué s’est d’ailleurs présenté sur une liste républicaine aux élections législatives de 1849). 

Ce recueil de chants au déroulement cohérent, allant d’Azénor la Pâle puis, après les premières éditions, du Druide et de l’enfant jusqu’au Paradis, révèle l’attente d’une identité, un "Nous" mal défini mais sur lequel chacun projette ses aspirations et qui suscite l’inspiration. L’œuvre a rendu célèbre La Villemarqué. Et s’il a continué à écrire nombre de livres et d’articles, son nom s’est confondu avec celui du Barzaz-Breiz.

 

Eddy Noblet.
Chargé de collections à la bibliothèque Sainte-Geneviève.
 

Pour aller plus loin :

  • Eddy Noblet

    Chargé de collections à la bibliothèque Sainte-Geneviève

Commentaires

Soumis par LE LAY Kristen le 26/06/2023

Donatien Laurent, dans «Aux sources du Barzaz-Breiz : la mémoire d'un peuple», Douarnenez, ArMen, 1989, qui est la vulgarisation de sa thèse, a définitivement clos les «polémiques» sur cette oeuvre majeure de la littérature populaire européenne.

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