L'incendie des magasins du Grand Condé (6 juin 1858)
Le dimanche 6 juin 1858, à huit heures du soir, un incendie détruit les magasins du Grand Condé situés à l'angle de la rue de Seine et de la rue de l'Ecole de Médecine, à Paris. L'événement, qui ne fait heureusement qu'une douzaine de blessés, cause un grand émoi dans la capitale, et fait la Une du Monde illustré du 12 juin de la même année.
L'enseigne du Grand Condé, créée à la fin des années 1820, tire son nom de Louis II de Bourbon-Condé dit le Grand Condé (1621-1686), général français de la guerre de Trente Ans et l'un des meneurs de la Fronde des princes. Dirigée à l'origine par Duret et Cie, cette maison de nouveautés est initialement située au 85 rue de Seine. Toutes sortes d'étoffes, soieries, draperies, linges et toiles y sont proposées. Au moment de l'incendie, les magasins se sont développés, occupent six immeubles des rues de Seine et de l'Ecole de Médecine appartenant à quatre propriétaires, et sont dirigés par Sebille, Cochelin et Cie.
Le dimanche, les magasins sont fermés, mais le 6 juin 1858 fait exception au Grand Condé : le lundi 7 juin doit commencer la vente d'une toute nouvelle livraison d'étoffes de saison, et il a été décidé d'exposer la marchandise dès le dimanche pour attirer l'attention des passants. La devanture est donc éclairée ce soir-là quand un bec de gaz met le feu à un étalage d'étoffes. Les flammes se propagent à toute vitesse à travers le bâtiment rempli de matières inflammables, et la situation est déjà incontrôlable lorsque les sapeurs-pompiers de la rue du Vieux-Colombier arrivent sur place avec deux pompes. Ils sont rejoints par des sapeurs-pompiers d'autres casernes mais aussi par des détachements de la gendarmerie de la garde impériale, du 8e régiment de chasseurs, des escadrons de hussards et le 47e régiment de ligne. Un sous-lieutenant au 79e régiment de ligne, M. Sabattier, récemment sorti du Val-de-Grâce où il était hospitalisé pour paralysie, s'illustre particulièrement dans la lutte contre cet incendie. Alphonse-Dieudonné Delamarre, sergent aux sapeurs-pompiers de Paris, s'y distingue également et est nommé chevalier de l'ordre impérial de la Légion d'honneur le 24 juin de la même année.
Il faut plusieurs heures pour contenir le feu, avec l'aide des habitants du quartier qui forment des chaînes pour transporter l'eau des bornes-fontaines jusqu'à l'incendie à l'aide de seaux. Le manque d'efficacité de ce système, la lenteur des secours et la faiblesse des moyens à disposition pour lutter contre l'incendie feront l'objet de plusieurs critiques après le sinistre. Dans un texte publié dans la Revue municipale et gazette réunies publiée le 1er juillet 1858, M. Robinet, membre du Conseil municipal de Paris avant 1848 et membre de la Société impériale et centrale d'Agriculture, remarque qu'on a manqué d'eau et de seaux, et propose plusieurs réformes à opérer, comme le dépôt de tuyaux supplémentaires dans les lieux publics utilisables sur les bornes-fontaines en cas de besoin, ou la multiplication des prises d'eau destinées aux incendies. En 1860, Amable-Félix Couturier de Vienne, témoin de l'incendie, fait également part de son étonnement de voir que les pompes n'avaient même pas de tuyaux en cuir adaptables aux robinets, et qu'il fallait donc recourir à une chaîne humaine et des seaux pour acheminer l'eau.
L'incendie ne détruit pas que les magasins du Grand Condé : de nombreux locataires habitent également les immeubles touchés et doivent être évacués. Un jeune commis en nouveautés se brise d'ailleurs la cuisse en venant en aide à une dame âgée en difficultés. Les appartements sont totalement détruits et certains habitants perdent des biens d'une grande valeur, comme une veuve au 2e étage du 87 rue de Seine dont le mobilier est estimé à au moins 40 000 fr. (diamants de famille, collection d'Elzeviers, pendule Boulle d'époque Louis XIV…), ou la peintre de fleurs Rosine-Antoinette Delaporte-Bessin, qui aurait vu disparaître la plupart de ses oeuvres et sa médaille d'or. Dans les jours qui suivent la catastrophe, plusieurs souscriptions sont lancées dans les mairies de la capitale ou les magasins de nouveautés pour venir en aide aux victimes.
Il faut plus d'une semaine pour finir d'éteindre les braises encore fumantes, faire tomber les murs qui menacent de s'écrouler et étayer ceux des immeubles voisins. Plusieurs procès se tiennent dans les mois qui suivent entre locataires, propriétaires et assurances. L'administration s'en mêle aussi, réclamant aux propriétaires le remboursement des sommes engagées par elle pour étayer les maisons et enlever les décombres.
L'incendie et les procédures judiciaires n'ont pourtant pas raison du Grand Condé. Le 8 avril 1861, près de trois ans après la catastrophe, les nouveaux magasins, situés dans les immeubles flambant neufs construits à l'emplacement même des précédents, sont inaugurés.
Les nouveaux magasins du Grand Condé, inaugurés le 8 avril, le Monde illustré, Paris, 13 avril 1861.
Les magasins sont gérés par Cochelin, Serreuilles et Cie, jusqu'à la condamnation de Jean-Alexandre Serreuilles par la Cours d'assise de la Seine en 1865 pour crime de faux en écritures de commerce, et détournements de fonds et de marchandises au détriment de son associé, Eugène Cochelin. Après la mort de ce dernier en janvier 1869, le Grand Condé est dirigé par Cavé, Froschammer et Cie, puis par Froschammer, Evette et Cie.
En 1883, vingt-deux ans après l'inauguration des nouveaux magasins, le Grand Condé s'apprête à tirer sa révérence. La liquidation des stocks dure plusieurs mois, et s'achève le 8 janvier 1884.
En 1886, l'angle de la rue de Seine est désormais occupé par une succursale de la Maison Dubonnet, qui vend des vins fins, spiritueux et liqueurs supérieures. Après un demi-siècle de nouveautés, une page se tourne.
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