La poudre sans fumée : avantages et inconvénients
Il y a 170 ans naissait Paul Vieille. Une des découvertes de cet ingénieur aura un impact considérable sur les futurs conflits.
Les champs de bataille du XIVe au XIXe siècle
Au fur et à mesure qu'on introduit les premiers bâtons à feu, arquebuses puis l'artillerie, bref toute arme usant de la poudre noire, les champs de bataille sont obscurcis par les fortes fumées qui se dégagent de la combustion de cette dernière. Cette poudre va être utilisée pendant cinq siècles et demi, comme le confirme le récit de la bataille de Rivoli sous le Premier Empire :
Ney, qui voit, à travers la fumée, les premiers uniformes français border le plateau, court à sa victoire.[..] il se promène, les bras croisés sur sa poitrine, en long et en large sur les cartes de la bataille déroulées à ses pieds, les yeux fixés sur la fumée immobile du Mont-Saint-Jean qui n'avance ni ne recule, malgré le tonnerre incessant qui sort de ce nuage.
A un point tel que sous Louis XIV, son ministre de la guerre Louvois imagine d'imposer aux militaires des uniformes avec des couleurs voyantes afin de permettre aux différentes armées de se distinguer entre elles. On a aussi recours à la musique militaire dans cette même optique. En effet, la confusion imputable à un champ de vision très limité pouvait conduire des soldats du même camp à s'entretuer car les tirs se faisaient à l'aveugle.
En outre, les résidus de la poudre noire encrassaient les mécanismes des armes.
Invention d'un nouveau procédé
C'est pourquoi la découverte d'un nouveau procédé est très favorablement accueillie. Son inventeur est Paul Vieille (1855-1934), polytechnicien, d'abord ingénieur de première classe au Laboratoire central des poudres et salpêtres. Sa hiérarchie repère très vite ses compétences puisqu'il y fera le restant de sa carrière en tant que sous-directeur. Il est aussi enseignant à Polytechnique.
En 1846, le chimiste allemand Christian-Friedrich Schönbein (1799-1868) met au point la synthèse de la nitrocellulose, un mélange instable car plusieurs explosions ont lieu. En 1865, le chimiste britannique Frederick Augustus Abel (1827-1902) invente un procédé un peu plus sûr, mais pas encore exploitable. Paul Vieille est chargé de mettre au point une poudre dont la détonation serait progressive. C'est à Vincennes en 1884 qu'il résout cette problématique. Il mélange du coton-poudre et du coton-collodion et obtient ainsi une poudre colloïdale en faisant dissoudre dans l'éther la nitrocellulose. La masse gélatineuse et homogène est ensuite rendue compacte par l'évaporation de l'éther. Cette poudre propulsive se consume de manière continue et produit des fumées presque transparentes. Cette invention vaut à Paul Vieille le prix Lecomte décerné par l'Académie des sciences. Le nouveau procédé est évidemment classé secret défense et prend le nom mystérieux de poudre B : B pour blanche par opposition à la poudre N(oire).
Cependant, contrairement à la poudre noire, la poudre B subit au cours de sa conservation une altération progressive qui peut parfois aboutir à une inflammation spontanée. Paul Vieille va donc continuer ses recherches sur sa stabilisation.
Avantages et inconvénients de la poudre sans fumée
Le progrès technique est considérable car la poudre sans fumée permet de doubler la portée et la précision des armes à feu, offrant une supériorité indiscutable sur les champs de bataille. En effet, les tirs sont plus précis puisque le champ de vision est dégagé. Grâce à ce nouveau procédé, les autorités militaires mettent en service le fusil modèle de 1886 - plus connu sous le nom de fusil Lebel - la première arme à utiliser des cartouches chargées avec la poudre B.
Mais les fantassins qui évoluaient jusqu’alors dans un nuage de fumée sur les champs de bataille, deviennent alors des cibles mouvantes. Prenant acte de cette évolution technique, les belligérants des différents conflits, les uns après les autres, s’empressèrent d’adopter des tenues de camouflage (kaki, bleu-gris). Pendant la guerre des Balkans, on put même voir des soldats bulgares arracher les parements rouges de leurs dolmans. En revanche, en France, on était très attaché au pantalon rouge des fantassins, symbole de la nation et on se refusa à y renoncer. En 1913, le ministre de la Guerre Eugène Estienne s'écrie :
Supprimer le pantalon rouge ? Non ! le pantalon rouge, c'est la France, c'est la République.
Ce n'est qu'en 1915, suite à un changement de stratégie militaire, qu'il sera remplacé par le bleu horizon.
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