Mammifère bizarre ou créature du diable ?
À l’occasion de l’ouverture à la Cinémathèque française de l'exposition Vampires, de Dracula à Buffy, penchons-nous sur ce personnage emblématique de la littérature fantastique et du cinéma d’horreur : Gallica nous permet de (re)découvrir avec délice cette figure étonnante, et finalement assez méconnue.
Qu’y a-t-il donc de commun entre la chauve-souris, mammifère nocturne de la taille d’un petit lapin se nourrissant de fruits et d’insectes, et les personnages de Dracula, Vampira, Lestat de Lioncourt ou encore Edward Cullen ? La première est tout simplement à l’origine de la horde des vampires qui défilent par la suite sur petit ou grand écran. Grâce à Gallica, partons à la découverte de cet étrange animal, « Sa Majesté Satan en personne ».
« Le sang, c’est la vie »
Les chauves-souris se nourrissent de papillons de nuit, de scarabées, de cousins, d’insectes et de mouches (dont elles épluchent les ailes). Elles sont ainsi, selon les espèces, insectivores ou frugivores.
La particularité du « vampirus-spectrum » ou « chauve-souris vampire » est d’être également hématophage, c’est-à-dire de se nourrir du sang de certains animaux, voire de l’homme, en petite quantité. Trop de sang ingurgité empêche en effet le mammifère de décoller.
Cette originalité en a fait très vite un animal honni suscitant la terreur, une espèce particulièrement redoutée par l’homme, à l’origine de bien des fantasmes.
En témoigne cette « Chronique de la semaine » du 31 janvier 1895 dans Le Chenil : journal des chasseurs et des éleveurs. Son auteur est Fulbert Dumonteil, que l’on connaît davantage pour ses talents de gastronome et dont la litanie gourmande sur les potages maigres est restée célèbre, et qui se fit historiographe du Jardin d’acclimatation à Paris à la fin des années 1870.
Sans doute intrigué par ces mammifères étonnants, la description qu’il en propose est savoureuse, en partie grâce au choix du registre épique qui d’emblée campe l’animal en créature inquiétante. Dans cette chronique, les chauves-souris vampires apparaissent comme des « fantômes hideux » tout droit sortis d’un « cauchemar » ou « des Enfers ». Regroupées en « ménagerie infernale », elles sont comparées à des « diablotins » et même aux « Harpies de l’Antiquité ».
Chasseurs redoutables, « exterminateurs » efficaces à l’appétit insatiable, les chauves-souris vampires, paraît-il, attaquent donc bétail et humains pour se nourrir de leur sang. Leurs méthodes sont des plus efficaces : elles repèrent tout d’abord certaines « excroissances charnues » dignes de leur appétit, puis s’appliquent à endormir leurs proies en les éventant de leurs ailes. Les victimes s’endorment, bercées par ce léger souffle d’air. Les chauves-souris peuvent alors aspirer le sang en toute tranquillité.
Hâtons-nous de rétablir quelques vérités ! Leur goût du sang humain a été largement exagéré, tout comme la dangerosité de leur succion. Les causes des morts recensées sont bien moins dues à la quantité de sang aspirée qu’à l’infection des plaies qui a pu en être la conséquence, surtout dans certaines contrées au climat chaud et humide.
Qu’importe ! Félix Archimède Pouchet, médecin biologiste reconnu, affirme pourtant, dans son ouvrage de vulgarisation scientifique L'univers : les infiniment grands et les infiniment petits, que l’homme peut perdre jusqu’à une « mare de sang » suite à une morsure de vampire. Après tout, c’est plus sensationnel...
Considérée alors non seulement comme un danger physique pour l’homme, mais aussi comme une créature aux pouvoirs maléfiques ou comme le diable en personne, la chauve-souris fut souvent l’objet de la cruauté des hommes : une coutume consistait en effet à les attraper, puis à les clouer vivantes sur la porte de la grange. Cet acte cruel permettait non seulement d’effrayer les autres chauves-souris et donc de s’en débarrasser mais également de déjouer la « Mort » en personne.
Armand Leyritz. Les Vilaines bêtes. 1898
Jacques de Sève. La Chauve-Souris Fer de lance (dessin). 1764
La vilaine bête n’aurait-elle pas la beauté du diable ?
Avec un « aspect grimaçant qui n’a rien d’engageant », « un nez contrefait » et des « narines en entonnoir », un pouce très court « armé d’un ongle crochu » et deux oreilles velues dressées comme « une paire de cornes », la beauté ne semble pas être l’apanage des chauves-souris vampires. Et pourtant, si le vampire au cinéma est aujourd’hui connu pour sa beauté, voire son sex-appeal, cela vient peut-être aussi du petit mammifère. Notons, en effet, détail étonnant, que la chauve-souris vampire est coquette et qu’elle aime tout particulièrement « se coiffer » :
Dans La vie des animaux : histoire naturelle, biographique et anecdotique des animaux écrit en 1859-1860, Jonathan Franklin souligne cette caractéristique inattendue et en fait même un trait de caractère important de cette espèce. Aussi saugrenu que cela puisse paraitre, le vampire se trouve beau et l’assume !
Dans Les Vilaines bêtes, écrit en 1898, Armand Leyritz évoque en outre leurs délicieuses odeurs naturelles :
À l’image du vampire de cinéma, plein d’ardeur et de désir, la chauve-souris vampire est également un animal associé à une forme de luxure. Son appétit de sang est, symboliquement, un appétit sexuel.
Aguiaine : revue de recherches ethnographiques. 1976
Œuvres complètes de Buffon. 1884-1886
Kunstformen der Natur. Haeckel, Ernst (1834-1919). 1899-1904
La chauve-souris, entre vie et mort
Le vampire, en tant qu’être surnaturel, a la particularité de vivre dans un entre-deux. Il est à la fois mort et immortel, faisant du cimetière son lieu de prédilection et du cercueil son lit. Être de la nuit, il fuit la lumière.
La chauve-souris vampire, quant à elle, se tapit dans les cavernes ou le creux des arbres. Condamnée à « une nuit perpétuelle », à « une nuit sans astre », elle se dirige dans le noir grâce à des ultrasons. Plus surprenant est le fait qu’elle semble véritablement tombée dans un engourdissement ressemblant à la mort au moment de l’hibernation.
On le voit, le potentiel romanesque et fantastique de l’animal est visible par bien des aspects. De l’observation naturaliste à la création fantasmée, il n’y a qu’un pas à faire. La réalité scientifique a été le terreau premier et fécond de la création chimérique. Goût du sang, beauté - ou coquetterie - macabre, proximité avec le diable et la mort, toutes ces caractéristiques seront bien sûr reprises à l’envi par écrivains et cinéastes.
Voir aussi les autres billets de la série Vampires, des créatures à (re)découvrir :
2. Les vampires, portée politique et sociale du monstre à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle
3. Naissance du vampire comme personnage littéraire au 19e siècle
4. Stryges et Goules, ces vampires femelles protéiformes
5. Les vampires : existence réelle ou fantasmée ? Tentatives d’explications rationnelles
Commentaires
Un article passionnant! Merci
Un article passionnant! Merci!
Effectivement passionnant :
Effectivement passionnant : merci Coralie de nous faire découvrir toutes ces choses étonnantes !
Article très instructif
Pistes de réflexion passionnantes, merci beaucoup. On comprend nettement mieux le glissement entre étude scientifique de l'animal au XIXe siècle, et les motifs littéraires du vampire qui se sont développés par la suite.
J'ai hâte de lire la suite.
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