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Les représentations – La Renaissance, drame historique

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9 juillet 2024

Après l’adaptation à l’opéra de textes de la Renaissance, nous allons nous pencher sur la représentation scénique de cette période que certains spécialistes - dont Didier Le Fur - n’hésitent pas à analyser en tant que construction intellectuelle d’érudits du XIXe siècle. Elle aura toutefois été une source inépuisable d'inspiration pour les artistes du temps.

Philippe Chaperon
esquisse de décor pour l’acte I de Pierre de Médicis, opéra en quatre actes et sept tableaux du prince Joseph Poniatowski,
livret d'Henri Vernoy de Saint-Georges et Émilien Pacini, Paris, 9 mars 1860.
BnF, Bibliothèque-Musée de l'Opéra, D-345 (II,29/2)
 

2. Les représentations – La Renaissance, drame historique

Si les Romantiques se sont montrés friands de grandes fresques historiques, dès le milieu du XVIIIe siècle apparaissent les premiers ouvrages lyriques dont les livrets se basent sur des faits – plus ou moins « arrangés », il s’agit d’art et non de science – survenus à l’époque de la Renaissance.
Au nombre des « précurseurs » figure… le roi de Prusse Frédéric II, qui rédige – en français – le livret de Montezuma, qui narre la conquête du Mexique par Fernand Cortez et la mort violente du neuvième empereur aztèque en juin 1520. Le texte, traduit en italien par Giampietro Tagliazucchi, est mis en musique par Carl Friedrich Graun (1704?-1759), alors maître de chapelle à la cour de Potsdam. L’ouvrage « royal », principalement destiné à chanter les louanges de Frédéric le Grand, est créé le 6 janvier 1755, à la Königliche Hofoper (opéra royal) de Berlin.
En 1786, Johann Gottlieb Naumann (1741-1801), compositeur natif de Dresde, répond à une commande un peu similaire, venue de Stockholm cette fois. Il s’agit d’un ouvrage de propagande mettant en scène la vie héroïque de Gustav Ier Vasa, qui libère la Suède en 1522-1523 du joug danois et fonde la dynastie qui règne sur le pays jusqu’à l’abdication de la reine Christine en 1654. Le livret est rédigé par Johan Henric Kellgren, sur un scénario conçu par le roi Gustav III. Les décors sont réalisés par Louis-Jean Desprez. Originaire d’Auxerre, celui-ci s’installe à Stockholm à l’invitation de Gustav III, dont il a fait la connaissance lors d’un séjour à Rome en 1784. En 1790, Antoine-François Le Bailly soumet une adaptation française du livret au comité de lecture de l’Académie Royale de Musique, en vue de faire représenter Gustave Vasa à Paris, mais les affres de la Révolution font capoter le projet.
 


Antoine-François Le Bailly
Gustave Vasa, tragédie lyrique, en 3 actes, lue et reçue au comité de Régie de l'opéra, le 4. juin 1790, manuscrit.
BnF, Bibliothèque-Musée de l'Opéra, 
LAS LE BAILLY (ANTOINE FRANCOIS) 9
 

En France, dans les dernières années de l’Ancien régime et jusqu’à l’avènement de l’Empire, le chevalier Bayard est une figure de la Renaissance prisée des auteurs d’opéras. Le librettiste Jean-Marie Boutet de Bonvel et le compositeur Stanislas Champein commettent ainsi Le Chevalier sans peur et sans reproche ou Les Amours de Bayard, une « Comédie héroïque mêlée d'intermèdes » créé le 24 août 1786 au Français, devant Louis XVI et Marie-Antoinette.

 


Les Amours de Bayard
comédie héroïque mêlée d'intermèdes en 4 actes, livret de Jacques-Marie Boutet de Monvel,
musique de Stanislas Champein, ms. autographe, Paris, 1786.
BnF, département de la Musique, MS-8191

 

L’année suivante, Baptiste Maurin de Pompigny, dramaturge et régisseur au théâtre de l’Ambigu-Comique, monte sa production des Amours de Bayard. Il doit rapidement faire face à des accusations – pas totalement injustifiées – de plagiat. Il s’en défend dans la préface de l’édition imprimée de la pièce :


Baptiste Maurin de Pompigny
Bayard, ou Le chevalier sans peur et sans reproche, comédie héroïque en trois actes et en vers, avec spectacle et pantomime, Cailleau, Paris, 1787.
BnF, Littérature et art, 8-YTH-1826

 

Champein, lui, récidive en 1791 avec un Bayard dans Bresse. Le librettiste, Rouget de Lisle, promis  l’année suivante à une célébrité mondiale en tant qu’auteur de La Marseillaise, y dépeint par le petit bout de la lorgnette le mariage avorté de Bayard et d’une jeune italienne, Clémentine - qui lui préfère un autre – le siège et le sac de Brescia menés par Gaston de Foix, sous les ordres duquel sert le Preux chevalier.

 


Bayard dans Bresse, opéra en 4 actes, livret de Claude Joseph Rouget de Lisle,
musique de Stanislas Champein, ms. autographe, Paris, [1791].
Air de Clémentine, acte III : « Ô douleur, Ô crime ».
BnF, département de la Musique, MS-8171

Au XIXe siècle, c’est François Ier qui vole la vedette à son vassal, et devient peu ou prou le personnage central des ouvrages dont l’action est située sous son règne. Sous l’Empire, et bien plus encore sous la Restauration, le Valois, protecteur des arts, fait partie des monarques « présentables », au même titre que Saint-Louis (le roi « juste », impartial sous son chêne) et Henri IV (le roi « social », qui voulait qu’il n’y ait « point de laboureur en [son] Royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot »). La plupart de ces opéras et opéras-comiques ont rapidement sombré dans l’oubli, en raison de livrets indigents ou de partitions bâclées : François Ier ou la Forêt mystérieuse (Charles-Augustin Sewrin / Rodolphe Kreutzer, 1807), Le Bourgeois de Reims (Henri Vernoy de Saint-Georges / François-Joseph Fétis, pièce de circonstance pour le sacre de Charles X, 1825), Le Camp du drap d’or (Paul de Kock / Aimé Leborne – compositeur, professeur au Conservatoire et bibliothécaire à l’Opéra, 1828), François Ier à Chambord (Alexandre Moline / Prosper de Ginestet, avec tout de même une chorégraphie réglée par Auguste Vestris, 1830).  


Hippolyte Lecomte, esquisse de costume pour l’acte I de François Ier à Chambord
opéra deux actes de Prosper de Ginestet, livret d’Alexandre Moline, Paris, 1830.
BnF, Bibliothèque-musée de l'Opéra, D216-9 (3)
 

Seul Françoise de Foix, créé en 1809 sur un livret de Jean-Nicolas de Bouilly et une musique d’Henri Montant Berton, connaît une certaine postérité grâce à … Donizetti qui s’attaque au même sujet pour Francesca di Foix, dont la première a lieu au San Carlo de Naples en 1831.
La publication, en 1829, par Prosper Mérimée, de La Chronique du temps de Charles IX (devenue Chronique du règne de Charles IX à partir de la seconde édition), attire l’attention des dramaturges et des compositeurs sur une période plus sombre de la Renaissance en France, celle des Guerres de religion.
 


Prosper Mérimée
Chronique du temps de Charles IX, Mesnier, Paris, 1829.
BnF, Réserve des livres rares, RES P-Y2-464
 

L’avatar le plus célèbre de l’ouvrage de Mérimée est Les Huguenots, grand opéra de Giacomo Meyerbeer sur un livret d’Eugène Scribe, créé triomphalement à Paris en 1836. Ironie du sort, les auteurs sont contraints de faire disparaître les deux protagonistes principaux, Charles IX et Catherine de Médicis, sur ordre de la censure, rétablie par Louis Philippe après l’attentat perpétré contre lui le 28 juillet 1835, qui fait 18 morts – dont le maréchal Mortier – et 48 blessés.
 


Édition originale du livret des Huguenots
Paroles d’Eugène Scribe, musique de Giacomo Meyerbeer, Schlesinger, Paris, 1836.
BnF, département Littérature et art, 4-YTH-2026
 

Meyerbeer persévère avec d’autres sujets inspirés de la Renaissance, hors de France cette fois, mais tout aussi sanglants : Le Prophète (1848), dont l’action est située à Munster (Allemagne), dans le contexte de l’hérésie anabaptiste conduite par Jean de Leyde à partir de 1533 et L’Africaine. L’ouvrage, dont la composition est actée contractuellement en 1838, n’est créé qu’en 1865, un an après la mort de Meyerbeer.


Livret avec frontispice gravé du Prophète
paroles d’Eugène Scribe, musique de Giacomo Meyerbeer
Théâtre contemporain illustré, 151e et 152e livraisons, Michel Lévy frères, Paris, 1849.
BnF, Littérature et art, YF-15 (1)
 

La Renaissance outre-Manche et dans la péninsule italienne – berceau du mouvement – est également très prisée des librettistes et compositeurs d’opéras. La série des opéras de Donizetti consacrée aux reines d’Angleterre et d’Écosse en témoigne : Elisabetta al castello di Kenilworth (Naples, 1829), Anna Bolena (Milan, 1830), Maria Stuarda (Naples, 1834 / Milan, 1835), Roberto Devereux (Naples, 1837 [recte]).
Les familles aristocratiques transalpines plus ou moins recommandables sont aussi mises à contribution, avec Lucrezia Borgia (Milan, 1833), adapté de la pièce de Victor Hugo. Les Français s’intéressent quant à eux davantage aux Médicis. Les vies de trois générations consécutives de mécènes florentins sont ainsi portées à la scène :

  • Cosme de Médicis (1389-1464), avec Guido et Ginevra, de Fromental Halévy, sur un livret d’Eugène Scribe, créé sans grand succès en 1838 à l’Opéra de Paris.
  • Pierre de Médicis (1416-1469, fils de Cosme), dont le Prince Joseph Poniatowski – qui mène une carrière de compositeur en sus de ses activités de diplomate – fait le héros de son opéra éponyme. L’ouvrage, dont la première a lieu le 9 mars 1860, est davantage saluée pour la somptuosité de sa scénographie (les décors sont dus aux peintres attitrés de l’Opéra, Rubé, Despléchin et Cambon notamment) que pour sa valeur musicale et son efficacité dramatique.
  • Laurent de Médicis (1449-1492, fils de Pierre), dit « Le Magnifique », héros du Florentin de Charles Lenepveu (élève d’Ambroise Thomas au Conservatoire, sans lien avec le peintre Jules Lenepveu, auteur du décor originel du plafond du palais Garnier). L’œuvre est créée avec succès à l’Opéra-Comique en 1874, mais ne résiste pas à l’épreuve du temps et disparaît du répertoire dès la fin du XIXème siècle.

 


Le Florentin, opéra-comique en 3 actes
Livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges, musique de Charles Lenepveu
Gravure de Jules Gaildrau, s.n., Paris, 1874.
BnF, Arts du spectacle, 4-ICO THE-3052
 

Si un recensement exhaustif de tous les ouvrages lyriques liés par leur thème à la Renaissance serait illusoire, trois compositions majeures créées à Paris doivent encore être mentionnées :

  • Benvenuto Cellini, de Berlioz, sur un livret de Léon de Wailly et Auguste Barbier d’après La Vita, roman autobiographique écrit par l’artiste entre 1558 et 1562, publié post mortem en 1728. La création, le 10 septembre 1838, est un échec total, mais la scène du « Carnaval romain » passe à la postérité grâce à la page symphonique que le compositeur en tire, et qui devient un « tube » du répertoire pour orchestre.
  • Don Carlos, de Verdi, adapté de la tragédie de Schiller par Joseph Méry et Camille Du Locle pour l’Opéra Le Peletier en 1867
  • Henry VIII, de Camille Saint-Saëns, sur un livret de Léonce Détroyat et Armand Silvestre. Cette très luxueuse production datée de 1883, destinée à la scène du Palais Garnier, est l’un des ultimes spécimens du grand opéra historique français, et en constitue en quelque sorte le chant du cygne.
Eugène Lacoste
Esquisse de costume d’après un portrait conservé au château de Windsor pour Henry VIII
Opéra de Camille Saint-Saëns sur un livret de Léonce Détroyat et Armand Silvestre, Paris, 1883.
BnF, Bibliothèque-musée de l'Opéra, D216-36 (BIS, vol.1 fol.32)
 
 

Le XXe siècle se désintéresse de l’opéra historique, mais la Renaissance inspire tout de même encore quelques compositions notables :

Pour aller plus loin :
Chouquet, Gustave, Histoire de la musique dramatique en France depuis ses origines jusqu'à nos jours, Paris, Firmin-Didot, 1873.
Couzinet, Dominique, Meliadò, Mario, L'institution philosophique française et la Renaissance : l'époque de Victor Cousin, Leyde, Boston, Brill, 2022
Feist, Romain et Mirande, Marion, Le grand opéra : 1828-1867, le spectacle de l'Histoire [exposition, Paris, Bibliothèque-musée de l'Opéra, 24 octobre 2019-2 février 2020], Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2020.
Faverzani, Camillo (dir.), Sì canta l'empia : Renaissance et opéra, Lucques, Libreria musicale italiana, Saint-Denis, Université Paris 8, 2016.
Le Fur, Didier, Une autre histoire de la Renaissance, Paris, Perrin, 2018.
Portebois, Yannick, Terpstra, Nicholas, The Renaissance in the Nineteenth century / Le dix-neuvième siècle renaissant, Toronto : Centre for reformation and renaissance studies, 2003.
Rossi, Henri, Opéras historiques français, 1767-1989, Paris, Honoré Champion, 2019.

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