Le manuscrit de l’architecte
La constitution des collections de la Bibliothèque nationale de France est parfois une histoire à tiroirs qui peut se raconter à la manière des Mille et une nuits. Chaque manuscrit du fonds oriental déroule, à sa façon, sa propre histoire et celle de ceux qui l’ont possédé. Celle du Supplément Persan 2113 est particulièrement remarquable.
Ce manuscrit est un témoignage de la qualité des relations que la France a entretenues avec l’Afghanistan, et particulièrement du rôle qu’une figure française a joué dans le rayonnement du savoir-faire français. Il s’agit en effet d’un don fait par le roi d’Afghanistan Amânu-Allâh Khân à l’architecte André Godard. Après le décès de celui-ci, il fut acquis par la Bibliothèque nationale auprès de Madame Yedda Godard en mars 1967. On a donc ici trois histoires : celle d’un architecte, celle d’un roi et celle d’un manuscrit.
1 - L’architecte
André Godard (1881-1965) est un célèbre architecte, archéologue et historien d’art français. Il obtient son diplôme d’architecte à l’École des Beaux-Arts de Paris et, en 1910, s’engage dans l’urbanisme à Bagdad. Mais avant d’effectuer l’essentiel de sa carrière en Iran, il se rend d’abord en Afghanistan à la recherche de vestiges bouddhistes. Il figure en tant qu’architecte parmi les premiers Français qui rejoignirent en 1922 la délégation archéologique française sous l’autorité d’Alfred Foucher (1865-1952). Le 9 septembre de cette même année, la France venait d’obtenir une convention valable pour trente ans et renouvelable, pour la concession des fouilles. Elle avait pour première mission l’établissement d’une carte des sites archéologiques à explorer. Le résultat de ces fouilles devait être partagé par moitiés entre l’État afghan et la mission française. Les plus importantes trouvailles devaient être exposées dans le tout nouveau musée afghan, créé spécialement à cet effet.
Si André Godard est surtout connu pour l’œuvre accomplie pendant plus de trente ans en Iran (de 1928 à 1960) à la tête du Service Archéologique de ce pays, son passage par l’Afghanistan est probablement le déclencheur de sa passion pour le monde iranien, sa civilisation et son histoire. C’est lors de ce séjour que le roi Amânu-Allâh lui commanda, ainsi qu’à l’architecte allemand Josef Brix (1859-1943), la construction de son palais Darulamân, à Kaboul. En reconnaissance pour son travail et son investissement, il lui offrit le manuscrit qui potrte aujourd"hui la cote Supplément Persan 2113.
Ce cadeau revêtait un sens tout particulier pour quelqu’un qui découvrait cette civilisation, puisqu’il représente l’âme de la civilisation iranienne dans toutes ses dimensions, historique, artistique et philosophique. C’était aussi une invitation à s’inspirer de l’art iranien dans sa globalité pour en saisir l’esprit. Il se peut que ce soit ce manuscrit, et d’autres consultés par la suite, qui nourrirent l’inspiration de l’architecte lorsqu’il effectua la restauration de certains monuments, et notamment lorsqu’il conçut des mausolées de poètes comme celui de Ferdowsi à Tus, au nord-est de l’Iran, ou celui de Hafez à Chiraz. Le fait est que son intérêt pour cette culture le poussa à organiser une exposition sur la miniature persane, présentée au musée Guimet et dans d'autres lieux en 1958.
Dès que l'Afghanistan eut obtenu son indépendance de l’Angleterre, l’émir Amânu-Allâh (1919-1928) entreprit d’établir des relations diplomatiques avec les pays européens, dont la France. En 1922, il fit savoir à l’ambassadeur français à Téhéran qu’il était prêt à accueillir une mission archéologique française pour continuer les fouilles entreprises en Perse. C’est ainsi qu’Alfred Foucher et sa femme furent accueillis à Kaboul le 1er mai 1922, afin de fonder la Délégation archéologique française en Afghanistan.
Sur le contenu de la bibliothèque royale, on ne connaît que peu de choses. La collection d’œuvres d’art constituée par la famille royale fut transférée par Amânu-Allâh Khan du Pavillon Bâg-e Bâlâ, situé sur une colline surplombant Kaboul, vers Bâgcha, petit bâtiment situé sur le terrain du Palais royal, au centre de la ville. N’y figuraient, apparemment, que quelques manuscrits. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude, il est probable que le Supplément Persan 2113 en faisait partie. En cela, c’est un des rares ouvrages que nous connaissons qui proviendrait de cette collection royale. Il s’agit d’un recueil de plusieurs épopées persanes en relation avec le « miroir des princes » que tout roi se devait de détenir dans sa bibliothèque. Il est à la fois un condensé de l'histoire des rois d’Iran, et une somme de conseils pour mieux gouverner.
Du f. 17 au f.555 figure le Šānāmah (Livre des rois) de Ferdowsi (329-411 h. / 940-1020) avec la préface du prince timouride Baysunghur (f. 3v°-17). Il s’agit d’un grand poème épique en vers qui compte près de quarante mille distiques et qui retrace l’histoire de l’Iran, depuis ses débuts mythiques et préhistoriques jusqu’à la fin de l’empire sassanide, en 642.
La reliure est aussi caractéristique du style de Chirâz et daterait du XVIe siècle. Elle est ornée de décors estampés et à motifs de cuir ajouré, aussi bien sur les plats que les contreplats.
Pour aller plus loin :
Francis Richard, Splendeurs persanes : manuscrits du XIIe au XVIIe siècle. Exposition, Paris, Bibliothèque nationale de France, 27 novembre 1997-1er mars 1998. Paris, Bibliothèque nationale de France, 1997, p. 195, n° 132
Marthe Bernus Taylor et Cécile Jail (dir), L'étrange et le merveilleux en terres d'Islam. Exposition, Paris, Musée du Louvre, 23 avril-23 juillet 2001. Paris, Réunion des musées nationaux, 2001, p. 183, n° 127.
Sarah Piram, « S’approprier un modèle français en Iran ? L’architecte André Godard (1881-1965) et la conception des musées iraniens », Les Cahiers de l’École du Louvre, n°11, 2017, p. 1-18.
Commentaires
Bel article, et magnifique
Bel article, et magnifique découverte.
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