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Les béguines et la littérature au Moyen-Âge

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Dans le cadre du projet européen ARMA (the Art of Reading in the Middle-Ages), le blog Gallica vous propose un billet sur une communauté de femmes qui ont essaimé du nord de l'Europe septentrionale jusqu'en France, les Béguines, et qui ont contribué à diffuser la littérature de langue vernaculaire au XIIIème siècle.
 

A l'instar du Béguinage de Liège au XIIème siècle, des communautés de femmes célibataires ou veuves dites "Béguines", vivant de façon semi-laïque se répandent dans la Flandre et dans le nord de l'Europe (Belgique, Pays-Bas, Rhénanie). Comme il est rappelé dans ces Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'île-de-France (janvier 1893):

 
 
De ce fait, les béguines jouissaient d'une très grande indépendance, ce qui pour des femmes au XIIIème siècle était fort rare; bien souvent cultivées, elles prodiguaient leur enseignement dans des écoles attenantes au béguinage, ainsi que leurs soins dans des hôpitaux.
 
beguinage.jpg

Bruges - Maison Dieu de Meulenaere : [carte postale] 1950
 

En France, c'est Saint Louis qui apportera une protection particulière aux béguines : de retour de la 7ème croisade, il rencontra Hugues de Digne, frère franciscain, aux environs de Hyères, le 17 juillet 1254. Celui-ci lui enjoignit de veiller sur les pauvres comme à la simplicité de sa vie. Louis IX se fera protecteur des ordres mendiants toute sa vie durant. Hugues de Digne avait lui-même une soeur béguine, Sainte Douceline, autour de laquelle s'était constitué un béguinage, les "Dames de Roubaud". L'une de ses plus proches disciples, Philippa Porcelet, écrivit en langue occitane du XIIIème siècle (1297), une vie de Sainte Douceline, considérée par Ernest Renan comme le chef-d'oeuvre en prose de la première littérature provençale.
 

En 1264, Saint Louis installa une communauté de béguines à Paris, dans le Marais, d'après le modèle du béguinage Sainte Elisabeth à Gand, selon la chronique de Joinville:

Et fist en pluseurs lies de son royaume mèsons de béguines, et leur donna rentes pour elles vivre, et commanda l'en que euy receust celles qui vourroient fère contenance à vivre chastement. 

C'est à l'emplacement de l'actuelle école élémentaire de l'Ave Maria que se situe alors le béguinage, qui ira compter jusqu'à 400 béguines. Parmi leurs tâches quotidiennes figuraient notamment l'alphabétisation des jeunes et le soin des pauvres. La liberté de ces femmes est pressentie comme un danger, notamment par les théologiens de l'Université de Paris. Elles sont considérées comme "illettrées", c'est-à-dire ne maîtrisant pas le latin, la langue de l'autorité ecclésiastique, mais surtout elles produisent des écrits en langue vernaculaire, qui selon Gilbert de Tournai dans un rapport intitulé "De scandalis ecclesiae" soumis au second concile de Lyon en 1274, transmettent des "subtilitates" (autrement dit des hérésies) et des "novitates" (parmi lesquelles compte celle d'écrire en langue vernaculaire).

 

Les béguines ont écrit, ou fait écrire, en français, ou plus exactement en picard pour Marguerite Porete, en flamand pour Hadewijch d'Anvers, en allemand pour Mechtild de Magdeburg, en provençal pour Philippa Porcelet. Il y avait quasiment dans certains de ces écrits une posture de prêche, interdite aux femmes, qui était apparue insupportable à l'autorité écclésiastique, ainsi qu'une interprétation personnelle et mystique de la foi, qui échappait à tout contrôle dogmatique extérieur. La légende "Sacerdos libera sive beguina" de la gravure ci-dessous confirme le libre prêche qui leur était attribué.

beguine.jpg

Cette expression mystique en langue vernaculaire trouve ses racines dans la littérature courtoise qui lui est contemporaine, et dont elle prolonge les codes de "fin'amor" ("amour pur" en occitan), l'amour courtois au Moyen-Âge. Ainsi, par exemple, Le Mirouer des simples ames anienties de Marguerite Porete crée une tension dramatique dans un dialogue entre Ame et Dame Amour, entourées d'autres facultés personnifiées, ce qui le rapproche du Roman de la Rose, où dans un rêve allégorique, Amour est entouré de vices personnifiés.
Ces licences furent condamnées par l'Eglise: le livre fut brûlé par deux fois, et Maguerite Porete suivit le même sort en place de Grève le 1er juin 1310.   
 

Un article sur ce même thème, rédigé par Hannah Johnson, est disponible en anglais sur le blog d'Europeana sous le titre "Beguines and literature in the Middle Ages".
 

Le projet "The Art of reading in the Middle Ages - ARMA" (La pratique de la lecture au Moyen-Âge), réunissant huit partenaires européens a pour objectif de montrer comment la pratique de la lecture au Moyen-Âge (500-1500) a contribué au fondement de la culture européenne à travers des manuscrits médiévaux en caractères latins dans différentes langues.
Ce projet est co-financé par le programme Mécanisme d'interconnexion européen (Connecting Europe Facility) de l’Union européenne (accord de subvention INEA/CEF/ICT/A2019/2072436).

 

 

Commentaires

Soumis par MANI le 06/11/2021

TRES INTÉRESSANT. CECI EXPLIQUE UNE PARTIE DE L'ÉVOLUTION DES LANGUES "VULGAIRES" ET LE STATUT SPÉCIAL DES FEMMES AU MYEN-AGE.

POURQUOI L'EGLISE(APOSTOLIQUE ET ROMAINE) A COMBATTUE TOUT CE QUI S'OPPOSAIT ,OU QUI FAISAIT DE L'OMBRE À SA PUISSANCE???ET CECI A CONTINUÉ SOUS D'AUTRES FORMES JUSQU'AU 19eSiecle.L'EGLISE(MAIS PAS TOUTE) A CONFONDU LE SPIRITUEL ET LE SECULAIRE POUR ASSEOIR SON AUTORITÉ.

Soumis par SPATARI Vincent le 06/11/2021

A ce sujet, lire " La nuit des béguines" le magnifique roman d'Aline Kiner ( qui nous a malheureusement quittés en janvier 2019)

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