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Clémence la fataliste et ses maîtres

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8 mars 2024

Gallica accompagne les concerts de la saison musicale européenne de la BnF en vous faisant découvrir des pièces de ses collections ayant un rapport avec les œuvres au programme. À l'occasion du concert de ce lundi 11 mars, nous vous présentons des œuvres de la compositrice Clémence de Grandval, ainsi que de Camille Saint-Saëns et de Frédéric Chopin, qui furent ses maîtres.

C. Saint-Saëns, "Souvenances", mélodies dédiées à Clémence de Grandval. Durand & Schœnewerk, 1885

Nous honorons aujourd’hui Clémence de Grandval, une compositrice de grande valeur, reconnue comme telle, en son temps, par ses pairs, mais qui souffrit d’un manque chronique de considération lié à sa double condition de femme et d’aristocrate – deux statuts jugés alors peu compatibles avec une carrière de compositeur professionnel.


Portrait de Clémence de Grandval (1828-1907). Estampe non datée

 

Cette fille de bonne famille est née Marie-Clémence de Reiset en 1828, au château de la Cour du Bois, à Saint-Rémy-des-Monts dans la Sarthe. Ses dispositions pour la musique se manifestent très tôt et, avant l’âge de dix ans, on la voit composer des symphonies et diriger un orchestre. Elle va à bonne école : ses premiers maîtres sont Friedrich von Flotow pour la composition, la cantatrice de l’Opéra Laure Cinti-Damoreau pour le chant, et Frédéric Chopin pour le piano.

La jeune Clémence de Reiset devient en 1851, par mariage, vicomtesse de Grandval, et complète sa formation auprès d’un professeur brillant et encore plus jeune qu’elle : Camille Saint-Saëns. Celui-ci se souvient avoir pour la première fois vu et entendu Clémence quand elle avait dix-huit ans (et lui douze), chantant une mélodie de sa composition, La Source, tout en s’accompagnant au piano.

Saint-Saëns tient son élève en haute estime, mais se doute des difficultés qui l’attendent. « Ses mélodies […] sont exquises ; elles seraient certainement célèbres si leur auteur n’avait le tort, irrémédiable auprès de bien des gens, d’être femme », écrira-t-il à propos d'elle en 1881, alors que sa carrière est déjà bien avancée.

Son autre « tort » est d’être aristocrate, statut qui, à l'époque, peut valoir à un musicien des soupçons de dilettantisme peu favorables à l’image d’un compositeur de métier. Quand dans les années 1860 elle écrit plusieurs opéras, dans un effort pour gagner les faveurs de la scène lyrique, elle les signe en escamotant ses origines derrière des pseudonymes tels que Clémence Valgrand ou Caroline Blangy – sans que ses auditeurs les plus avertis soient tout à fait dupes ; un critique de la Revue et gazette musicale de Paris écrit ainsi à propos de l’opérette Le Sou de Lise, non sans perspicacité : « L’ouverture […] a quelque chose de musicalement aristocratique. On jurerait que la main de l’auteur s’est exercée à des œuvres d’un autre style, d’une tout autre portée ».

La compositrice s’adonne en effet à des genres plus sérieux et écrit notamment des œuvres de musique de chambre, dont font partie les trois compositions pour violon et piano au programme du concert de ce 11 mars : la Sonate op. 8, et les Deux pièces pour violon et piano datées de 1882.

La Sonate pour violon et piano de Clémence de Grandval est datée de 1851, l’année du mariage de la musicienne ; il s’agit donc d’une de ses premières œuvres publiées sous son nom d’épouse (celui-ci figurant au côté de son nom de jeune fille dans la première édition d’Henry Lemoine) :

Quant aux Deux pièces pour violon et piano qui suivent, elles ont été créées au Châtelet en février 1882, par le violoniste Paul Viardot, leur dédicataire – peut-être accompagné par la compositrice au piano. « M. Viardot a obtenu son succès habituel avec deux pièces charmantes de Mme de Grandval », note un critique musical du Ménestrel le 7 mai, après une nouvelle exécution du diptyque.
 

Malgré l’estime que lui témoignent ses pairs, et en particulier son ancien maître Saint-Saëns, Clémence de Grandval demeure toute sa carrière durant la cible des mauvaises langues et en souffre vivement. Certaines lettres de sa correspondance témoignent de son état d'esprit : « On est si profondément méchant pour moi, on ne veut pas de moi. Mon nom est un crime. » « Abattue par le malheur comme je suis, je finirai par périr de misère morale et de déboire et on sera content », écrit-elle à Saint-Saëns en 1887.

 

Lettre de Clémence de Grandval à Camille Saint-Saëns, 1887. Médiathèque Jean-Renoir de Dieppe, cote LAP CSS 84

Elle est, certes, la femme compositrice la plus jouée à Paris à cette époque. Mais, du fait que beaucoup de ses œuvres sont créées par la Société nationale de musique, dont elle se trouve être une importante mécène, elle acquiert auprès de certains l’injuste réputation de n’être jouée qu’en échange de ses services financiers... « Ayant commis l’affreux crime d’être vicomtesse […], si on me joue, c’est que je paye », écrit-elle, toujours à Saint-Saëns, en 1892.
 
Le programme du concert de ce lundi 11 mars met également à l’honneur ceux qui furent les deux plus célèbres maîtres de Clémence de Grandval : Saint-Saëns donc, et Frédéric Chopin. De Saint-Saëns, on entendra une mélodie sur un texte d’Anna de Noailles, Violons dans le soir, pour chant accompagné de violon et de piano. De Chopin, seront interprétés les deux Nocturnes op. 9 pour piano seul ; il est possible d’apprécier sur Gallica l’édition originale de ces deux pièces, dans un exemplaire annoté par Chopin lui-même : on y voit, en particulier, deux passages du Nocturne en mi bémol majeur réécrits dans une version alternative directement de la main du maître.
 

 

Présentation du concert, qui aura lieu en salle Ovale (Richelieu), le lundi 11 mars à 18h30 :
https://www.bnf.fr/fr/agenda/concert-clemence-de-grandval

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