Une gare à l'heure américaine
La Gare SNCF de La Rochelle a fêté en novembre 2022 le centenaire de son inauguration. Sa nouvelle passerelle prend le nom de Joséphine Baker en référence à un épisode peu connu de la Première Guerre mondiale.
La nouvelle gare
A la fin du XIXe siècle, il existe deux gares construites en bordure du bassin des chalutiers : dès 1857, un premier site appartenant à la Compagnie du chemin de fer de Paris-Orléans accueille les trains provenant de Poitiers ; en 1871, la Compagnie des chemins de fer des Charentes crée une liaison Rochefort-La Roche sur-Yon.
Le bâtiment de la gare de La Rochelle-PO, ouverte en 1857 : gravure signée D. Lancelot et G. Maurand,
d'après un croquis de M. A. d'Hastrel, 1862. Source : Archives municipales de La Rochelle.
Mais dix ans plus tard, avec l'engouement pour les bains de mer et l'essor du tourisme balnéaire, les infrastructures apparaissent vite insuffisantes. On décide de les remplacer et dans ce but, on arase le bastion Saint-Nicolas sur un terrain militaire libéré par l'Armée et on comble une partie du marais de Tasdon au Sud de la ville. Au tournant du vingtième siècle, l'Etat qui a désormais le monopole du rail, souhaite monumentaliser les nouvelles structures et commande une gare-palais à l'architecte Pierre Esquié, prix de Rome 1882. Celui-ci propose un style académique se réclamant du courant néoclassique alors en vogue. En 1908, le projet est prêt : un imposant corps central en pierre ornementée, avec quatre grandes verrières, un grand toit pentu d'ardoise doté de lucarnes néo-Renaissance. Sur les murs latéraux, de très belles mosaïques d'Auguste Binet illustrent le Vieux Port et la marine à voile. À l'arrière, une immense halle métallique d'un seul tenant, mais le plus caractéristique est un campanile culminant à 45m en référence à un amer maritime.
En 1910, la première pierre est posée mais pendant la Première Guerre mondiale, les travaux s'arrêtent et la nouvelle gare reste en l'état avec les piliers érigés, sans marquise ni voies ferrées. Après la guerre, le chantier redémarre mais sans enthousiasme : avec tout ce laps de temps écoulé avant la reprise des travaux, le projet architectural apparaît désormais comme à contretemps de l'époque où triomphent désormais l'Art déco et le béton armé. Ce sera également le cas, pour les mêmes raisons, des gares de Rochefort, Limoges ou Rouen. En outre, pour des raisons d'économie, certains des motifs sculptés prévus initialement pour la façade principale n'ont pas été réalisés.
Entrée des Etats-Unis d'Amérique dans le conflit
- Le transport des troupes
- Leur ravitaillement
- Leur approvisionnement en munitions et matériel
- Le retour des permissionnaires
- L’évacuation des blessés
En déterminant les axes de transport possibles entre les ports abritant les bases américaines et le front, les autorités décident d’éviter la région parisienne déjà saturée : on choisit deux lignes de communication très peu exploitées, réservées exclusivement au trafic du Corps Expéditionnaire à partir de Saint-Nazaire et Bordeaux, les cheminots français restant en charge de l'acheminement des trains sur leur territoire.
Les approvisionnements sont répartis dans de grands entrepôts dans les zones portuaires, intermédiaires et celles du front.
Les chantiers industriels de Saint-Nazaire, disposant de grues assez puissantes pour transférer le matériel le plus lourd, sont choisis pour réceptionner les éléments de locomotives. Le 19e Régiment du Génie est affecté à leur montage. Certaines sont livrées déjà toutes montées au port de Brest car ses équipements de levage le permettent.
La Pallice - La Rochelle
Dès janvier 1918, le port de La Pallice devient l'une des huit bases américaines implantées en Europe et joue un rôle essentiel dans le débarquement des troupes, denrées alimentaires, chevaux, carburants et wagons en kit. Dans cette optique, les infrastructures portuaires sont équipées de grues automobiles et de l'éclairage électrique. L'entrepôt d'Aigrefeuille pour La Rochelle-Pallice étant déjà relié au Vieux-Port par voie ferrée, on décide d'acheminer ces pièces détachées jusqu'à la nouvelle gare dont la monumentalité offre une surface de stockage idéale pour un atelier d'assemblage. L'unité de logistique construit aussi 10km de voies ferrées servant de support à la construction des wagons.
En août 1918, la gare est entourée de hangars et de baraquements en bois pour héberger le 35e Régiment du Génie affecté dans sa totalité à cette tâche. Dans le grand hall où l'on a installé le réfectoire, on prévoit même un orchestre pour agrémenter les repas.
Le rythme de la chaîne de montage progresse de façon spectaculaire au printemps 1918 : de 653 wagons en avril , 2200 en août à 11 715 en octobre. La production quotidienne passe de 20 à 96. Au total, 38 000 seront livrés et 35 000 assemblés sur place parmi lesquels des :
- wagons couverts
- wagons plats
- tombereaux
- frigorifiques
- réservoirs
- ballast
- sanitaires
La Middletown Car Company, ancêtre d'Alstom
Après le départ du bataillon en mars 1919, l'activité d'assemblage du matériel roulant expédié en pièces détachées des USA est reprise par une société civile américaine, la Middletown Car Company qui continue à occuper les locaux de la gare. Elle s'engage dans un contrat passé avec l'Etat français à fournir pendant deux ans 20 000 wagons dont 80 par jour. Mais les Rochelais veulent se réapproprier leur gare et suite aux pressions locales, la MTCC est contrainte de déménager en 1920 d'abord dans le quartier Bongraine tout proche, puis dans la commune périphérique d'Aytré. En 1921, l'atelier est rebaptisé EIC Entreprises Industrielles Charentaises, mais reste la propriété des investisseurs d'Outre-Atlantique. En 1956, le groupe français Rothschild s'approprie ce savoir-faire en rachetant l'usine qui prend alors le nom de Brissonneau & Lotz. En 1972, l'établissement passe sous le contrôle d'Alsthom - qui perd ensuite son H pour devenir Alstom - un des fleurons de l'industrie française.
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