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Les collectionneurs britanniques et le Grand Tour

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De nombreux réseaux se sont constitués en Europe au cours du XVIIIe siècle, permettant aux collectionneurs, aux amateurs d’art, aux antiquaires et aux marchands de développer de nouvelles activités de sociabilité autour de collections d’œuvres d’art et d’antiquités achetées lors du Grand Tour.

La figure du connoisseur

C’est durant la première moitié du XVIIIe siècle que les Britanniques vont s’intéresser à la peinture et aux vestiges antiques. Certains fragments commencent à être recensés dans les recueils antiquaires publiés en anglais, tandis que des sites archéologiques sont décrits dans les guides de voyages destinés aux touristes britanniques, comme dans Some Observations Made in Travelling Through France, Italy publié en 1720 par Edward Wright. Les réseaux de sociabilité autour des collections d’art, d’antiquités, de livres, de monnaies et de spécimens géologiques vont s’étoffer intensément au cours du XVIIIe siècle du fait de l’élan considérable du marché de l’art, qui se développe autour de 1730. Les échanges entre les collectionneurs se font à travers les correspondances mais également dans leurs demeures, où ils viennent admirer de façon réciproque leurs collections. Ils se rencontrent également dans les salons, les cafés, les galeries et lors de ventes publiques, et notamment à l’occasion du Grand Tour.
A côté des collectionneurs scientifiques, une nouvelle figure va entrer en scène : celle du connoisseur. En effet, des collectionneurs jouent désormais le rôle de mécènes et s’entourent d’artistes afin d’améliorer la connaissance de leurs collections et d’échanger autour de la notion de goût, ce qui ouvre l’éventail des échanges relationnels dans ce milieu auparavant très restreint des collectionneurs.
 
Dès lors, des hommes de lettres réclament un caractère légitimant à leur pouvoir de juger. Parallèlement au développement des collections d’œuvres d’art, le discours esthétique britannique prend forme sous la plume de Jonathan Richardson (Traité de la peinture et de la sculpture, 1728), William HogarthEdmund Burke (Recherches philosophiques sur l’origine des idées que nous avons du beau et du sublime, 1765), et Joshua Reynolds (Discours sur la peinture, 1769-70), contribuant à l’émergence de l’esthétique en tant que discours philosophique autonome. Parallèlement, des journaux et des ouvrages proposant des conseils sur la manière d’évaluer et d’admirer les œuvres d’art contribuent à démocratiser cette pratique jusqu’alors restreinte à une élite. À l’ouverture des galeries à un public plus large correspond la prolifération des gazettes et la diffusion, à travers l’image gravée, des collections privées en direction de publics variés et d’amateurs qui peuvent ainsi les admirer et les collectionner sous forme d’images, de cartes, de livres et de journaux illustrés. Pour les collectionneurs, la gravure permet, en effet, de mettre en images leurs acquisitions et de les faire connaître aux visiteurs, aux amis et aux correspondants dans de véritables musées de papier. Certains vont jusqu’à réaliser des inventaires de leurs acquisitions, comme Horace Walpole qui donne une minutieuse description de sa collection élaborée lors de son Grand Tour, qu’il a déployée dans sa demeure à Strawberry Hill, située près de Twickenham en 1774. Par ailleurs, il contribua aux acquisitions pour la collection de son père, Robert Walpole, située à Houghton Hall dans le Norfolk.
 
Ces demeures situées dans la campagne étaient fréquemment visitées par les cercles relationnels de ces aristocrates, comme en témoigne Horace Walpole lorsqu’il décrit la foule venue de France qu’il reçoit à Strawberry Hill en 1763.
 

Les premières « country houses » d’Angleterre sont visitées par les réseaux de collectionneurs. La propriété des Stourton « Stourhead », située dans le Wiltshire, fut vendue en 1717 à Henry Hoare I, qui démolit le manoir médiéval pour le remplacer par une demeure de style palladien en 1722. Son fils en hérita à vingt ans et fit ajouter des ailes entre 1793 et 1795 pour y loger une galerie de peintures ainsi qu’une imposante bibliothèque. Ainsi Walpole se rend en août 1772 à Castle Howard, demeure des Comte de Carlisle, pour laquelle Charles Howard, le troisième Comte, fit construire un palais de style rococo, qui abritait la collection de marbres acquis par Henry Howard, après son Grand Tour entre 1740 et 1747. Walpole affirme qu’il n’aime pas l’architecture de la maison, mais mentionne néanmoins une collection de « fine antique statues and busts and the finest collection in the world of antique tables in colored marbles». Outre l’importance de les exhiber à leurs cercles d’amis et de relations sociales, il était de bon ton d’aménager également des parcs, comme le fit Robert Sawyer Herbert, 9e comte de Pembroke, en installant sa collection de tableaux de famille et d’œuvres de Joshua Reynolds dans son château de Highclere, situé dans le Hampshire, dont le parc fut aménagé par Capability Brown.

Les réseaux de collectionneurs liés au Grand Tour

 

S’ils ne bénéficient pas d’une institution comme l’Académie de France à Rome, les aristocrates et les artistes anglais développent néanmoins des liens avec Rome, notamment avec le soutien de la Society of Dilettanti, qui décide en 1774, sans doute sous l’influence de Joshua Reynolds, de payer aux élèves lauréats de la Royal Academy leur voyage en Italie. Arrivant en 1739 à Rome, le Français Charles de Brosses, dans son Voyage d’Italie, témoigne : « Les Anglais fourmillent ici […] L’argent que les Anglais dépensent à Rome et l’usage d’y venir faire un voyage, qui fait partie de leur éducation, ne profitent guère à la plupart d’entre eux. J’en vois tels qui partiront de Rome sans avoir vu que des Anglais et sans savoir où est le Colysée. » C’est principalement autour de la place Navonne, un lieu très fréquenté des grands-touristes, que se rencontrent les collectionneurs. Le Café Anglais, fondé dans les années 1760, est situé près de la Piazza Spagna et contribue aux échanges entre les artistes et les voyageurs, ainsi que les boutiques d’antiquaires, les ateliers de peintres et les galeries, telle celle de la Bibliothèque Vaticane.

 

Dès les années 1740, de nombreux intermédiaires s’établissent à Rome, comme le peintre écossais Gavin Hamilton ou le peintre anglais Thomas Jenkins, devenu banquier, dont le rôle était de guider les collectionneurs sur les sites de fouilles archéologiques ou de leur expédier leurs acquisitions en Angleterre.

Des antiquaires, comme l’écossais Colin Morison, orientent les grands touristes dans leur découverte du patrimoine antique et moderne de Rome. Thomas Jenkins, par exemple, fournit à ses clients des logements dans les environs de la place d’Espagne et les introduit dans la bonne société locale. Parmi les objets fréquemment recherchés par les collectionneurs, les petits objets, comme les pierres gravées et les médailles, étaient très recherchés car ils sont plus facilement transportables et d’une acquisition moins coûteuse que les marbres. Des intermédiaires romains, des antiquaires ou des marchands se chargent de mettre en caisse les objets antiques comme les chefs-d’œuvre qui sont ensuite expédiés pour l’Angleterre par bateau et sont installés dans les demeures des collectionneurs.

Le collectionneur britannique qui a fortement marqué la fin du XVIIIe siècle est Sir William Hamilton, qui fut ambassadeur de Grande-Bretagne à la cour de Naples de 1764 à 1800, et qui étudia l’activité volcanique, en publiant notamment Campi Phlegraei en 1776. Il fit un compte-rendu de l’éruption du Vésuve de 1766 pour la Royal Society de Londres. Étudiant l’antiquité, il collectionnait les vases grecs et vendit une partie de sa collection au British Museum en 1772, ce qui constituera l’origine du département des antiquités grecques et romaines. Son épouse, Emma, rencontrée en 1786, fut une muse pour les peintres anglais, notamment George Romney. Maîtresse du Lord Amiral Nelson, elle fut caricaturée par James Gillray, qui la montre sous les traits de la figure mythologique de Didon, reine de Carthage, qui pleure le départ de son Énée, figuré par lord Nelson. Derrière elle, son mari, sir William Hamilton, dort dans son lit. Se trouvent pêle-mêle représentés des fragments de statues anciennes se rapportant au collectionneur d'antiquités sir William.

Pour aller plus loin


L'objectif du projet DIGITENS est de construire un cadre afin de mieux appréhender les interactions, les tensions, les limites et les paradoxes propres aux modèles européens de sociabilité et d’étudier la question relative à l'émergence et la formation des modèles européens de sociabilité tout au long du XVIIIe siècle. Il s’agit d’un projet européen RISE (Research and Innovation Staff Exchange) piloté par le laboratoire HCTI (Héritages et Constructions dans le Texte et l’Image) de l’Université de Bretagne occidentale basée à Brest qui rassemble 11 partenaires originaires de France, de Pologne, du Royaume-Uni et du Canada.
Les résultats de cette recherche collaborative, internationale et intersectorielle sera la mise en ligne de la première Encyclopédie numérique à accès ouvert de la sociabilité en Grande-Bretagne au siècle des Lumières. Cette encyclopédie numérique comportera une anthologie historique de sources textuelles ou iconographiques et proposera à un large public une cartographie des savoirs. Pour cela, des échanges de chercheurs entre les différentes institutions partenaires (The National Archives, Warwick University, Greiswald University, Kazimierz Wileki University, MacGill University, BnF) sont prévus.

Le projet DIGITENS est financé par le programme cadre de recherche et innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (accord de subvention n°823863).
 

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