Barbey d’Aurevilly journaliste
7 octobre 2018
Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889) est un personnage complexe, original et puissant. Romancier, essayiste, journaliste et redoutable critique littéraire, converti au catholicisme et à la monarchie, c’est également un dandy aimant jouer avec les convenances. Chroniqueur de talent, il entretient avec la presse des relations tumultueuses.
S’il y a consacré de nombreuses années de sa vie c’est parce que, selon lui, « Tout homme qui n’aborde pas les journaux se claquemure dans sa valeur personnelle et se voue à l’obscurité » (Lettre à Trebutien, 19 avril 1853).
Les débuts
Ses débuts dans la presse remontent à 1832 où très jeune il participe à la création de la Revue de Caen avec son ami Trébutien puis en 1834 à la fondation de la Revue critique de la philosophie, des sciences et de la littérature.
Il écrit deux articles sur l’Histoire d’Innocent III (le Journal des débats du 25 octobre 1844 et du 14 septembre 1845). Pour pouvoir publier, il utilise des pseudonymes comme Maximilienne de Syrène dans la rubrique « Modes et étrennes » (Le Constitutionnel du 28 décembre 1845) ou Anne de Maulbranches dans le « Courrier de Paris à M. le vicomte A. de Divion » (La Sylphide du 06 juillet 1845) dans lequel il édite également une série d’articles « Du dandysme et de Georges Brummell » sous son propre nom.
Malgré ces débuts difficiles et même si pour lui « Etre journaliste, c’est être le grand sacrificateur des Dieux Bêtes, la Lâcheté, la Vulgarité, et la plus stupide de ces idoles stupides, celle que l’on appelle, en pinçant le bec, le bon Goût » (Lettre à Trebutien, 30 novembre 1851), il va consacrer à partir de 1838 cinquante années au journalisme. « J’ai donc, mon cher Trebutien, pris mon parti, avalé mon crapaud, c’est-à-dire, résolu de passer, s’il le faut, par ce joug des Journaux que j’ai toujours exécrés et méprisés, pour arriver jusqu’à l’animal aux têtes frivoles : le public » (Lettre à Trebutien, décembre 1849). Il regrette le temps où « un journal se composait tout simplement de politique et de littérature » et n’était pas « le bazar de l’esprit humain » (L’Éclair, 5 avril 1868).
Un journaliste engagé
Après avoir été pendant sa jeunesse démocrate et républicain, il revient au christianisme en 1846 et se fait le défenseur de la tradition, de l’Eglise et de la monarchie. Il fonde la Revue du monde catholique (1847-1848). Il défend ses idées légitimistes dans des articles de La Mode : « De l’alliance russe » (15 mars 1850), « Les Berquins politiques » (5 octobre 1850), « La circulaire de M. Barthelemy » (28 septembre 1850), « Le Congrès de la Paix » (8 septembre 1850). Il écrit également dans L’Assemblée nationale des critiques d’œuvres historiques ou politiques. Le 2 décembre 1851 il se rallie au régime impérial et soutient Napoléon III. Il va collaborer régulièrement au journal Le Pays, journal bonapartiste, de 1852 à 1865, d’abord comme bibliographe puis comme critique. Il y défend Balzac, « l’illustre auteur de La Comédie humaine » (Le Pays, 25 mai 1854), Stendhal, « cette plume qui ne s’est jamais amollie » (Le Pays, 18 juillet 1856) ou Alfred de Vigny, « un pur poète » (Le Pays, 8 mai 1860). Il reconnaît également le talent de Flaubert, qu’il juge « de la véritable race des romanciers » (Le Pays, 6 octobre 1857).
Mais quand il n’aime pas, il est sans pitié et si ses critiques sont toujours argumentées, sa plume peut être très féroce. Le roman de Victor Hugo, « Les Misérables ne sont pas un beau livre et, de plus, c’est une mauvaise action » (Le Pays, 19 avril 1862). Dans son article « Les bas bleus du XIXe siècle » il dit de George Sand « qui n’a point d’idées ou du moins si peu » qu’elle « a l’imagination (l’imagination dans le style) impuissante et vulgaire » (Le Figaro, 12 octobre 1862). Il qualifie L’Assommoir de Zola, sa bête noire, de « bourbier de choses, bourbier de mots, un irrespirable bourbier ! » (Le Constitutionnel, 29 janvier 1877).
Intérieur de Barbey d'Aurevilly, 25 Rue Rousselet, Agence Meurisse, 1909
Un prophète du passé
En octobre 1862, il est chassé du Pays suite à un article où il malmène Goethe, « puissant jeteur de poudre aux yeux » et Sainte-Beuve (Le Pays, 21 octobre 1862). En 1863 c’est Le Figaro qui se sépare de lui suite aux propos qu’il tient sur Buloz, directeur de la Revue des deux mondes, « une des plus désagréables puissances de ce temps-ci » (Le Figaro, 30 avril 1863) qui lui intente un procès (Le Figaro, 26 novembre 1863).
A partir de 1869, il collabore régulièrement au journal Le Gaulois. Son directeur Edmond Tarbé le trouvant trop réactionnaire lui demande de s’en tenir à des études littéraires : « Je ne veux pas courir le risque qu’on me fasse endosser les opinions de M. Barbey d’Aurevilly, et, hier soir, j’ai obtenu de lui qu’il renonça à parler politique au Gaulois » (Le Gaulois, 9 septembre 1869). Après l’interruption de son activité pendant la guerre, il reprendra en 1872 sa collaboration comme critique d’art (Salon de 1872, 23 et 25 juin 1872).
Il collabore d’avril 1874 à octobre 1879 au Constitutionnel. En 1874 (Journal pour tous, 25 décembre 1874) son ouvrage « Les Diaboliques » est « saisi pour outrage aux mœurs » (Le Tintamarre, 18 avril 1875). Jusqu’en 1884 il écrit quelques articles au Gil Blas et y publie certaines de ses œuvres (Retour de Valognes en décembre 1882, Ce qui ne meurt pas en septembre 1883). Puis de 1884 à 1888 il collabore encore malgré sa maladie à la Revue indépendante. Il meurt le 23 avril 1889, lui « qui mettait à ne pas vieillir une coquetterie excessive » (La Revue normande, mai 1889). La presse rend hommage à cet « écrivain d’un rare et singulier talent » (Le XIXe siècle, 26 avril 1889), une « Noble figure qui jamais n’abdiqua sa fierté ! » (Le Gaulois, 24 avril 1889), mort dans la misère après « une vie littéraire pure de toute tache. » (Le Figaro, 25 avril 1889).
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