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Naissance de la littérature brésilienne

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7 septembre 2022

Ce 7 septembre est l’occasion de revenir sur la naissance de la littérature brésilienne. De fait, si des textes écrits au Brésil existent bien avant 1822, c’est au XIXe siècle que naît l’affirmation d’une identité spécifique littéraire. Les liens féconds du Brésil indépendant avec les milieux littéraires français permettront une diffusion accrue de cette nouvelle littérature.

O Patriota Brasileiro

Le 7 septembre 2022, le Brésil célèbre le bicentenaire de son indépendance politique.

Au début du XIXe siècle, en effet, l’autonomie relative dont bénéficie le Brésil en raison de son éloignement géographique du Portugal est remise en question : Marie Ière, reine du Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves, son fils régent, le futur Jean VI du Portugal, ainsi que toute la famille royale, fuient l’avancée des troupes napoléoniennes dans la péninsule ibérique et installent leur cour à Rio de Janeiro en 1808. Le port s’ouvre au commerce international et Rio devient la nouvelle capitale. En 1822, dom Pedro, fils de João VI,  est sommé de rentrer au Portugal. Contre toute attente, cet homme qui a passé l’essentiel de son existence sur le territoire brésilien, s’y refuse et décide de rester. Il pousse, le 7 septembre 1822, le fameux cri d’Ipiranga : « L’indépendance ou la mort ». Le 12 octobre 1822, il sera proclamé empereur du Brésil sous le nom de Pedro 1er, et ce territoire constituera dès lors un pays indépendant du royaume lusitanien.
 

Dès les premières expéditions, au  XVIe siècle, les aventuriers lusitaniens écrivent à propos de cette terre : ainsi Pero Vaz de Caminha, qui fait partie des compagnons de Pedro Alvares Cabral, écrit pour le roi Manuel Ier  la chronique des premiers contacts entre navigateurs européens et indigènes de la terre qu’il dénomme Santa Cruz, en mai 1500.  Un temps disparue, la lettre refait surface  au XVIIIe siècle et est publiée au Brésil en 1817, au sein du recueil Corografia brasilica du prêtre Manuel Aires de Casal (1754-1821). Au cours du XVIe siècle, les colons Pero de Magalhães de Gandavo et  Gabriel Soares de Sousa produiront des traités aux aspirations géographiques et historiques concernant cette terre qu’ils découvrent.

A ces récits descriptifs s’ajouteront rapidement des textes de prosélytisme religieux. De fait, l’évangélisation des peuples indigènes devient rapidement une priorité pour les gouverneurs. Des missionnaires jésuites arrivent sur le territoire.  Les  plus célèbres missionnaires, les pères José de Anchieta (1534-1597), et Manoel da Nobrega (1517-1570), mourront sur cette terre, loin de leur Europe natale.  Ils laisseront des témoignages de leur action évangélisatrice, et José de Anchieta se distinguera pour sa connaissance de la langue tupie, qui lui permettra d’établir le premier traité grammatical de tupi en langue portugaise.

Au XVIIe siècle, la production de textes  à teneur religieuse se poursuit, notamment avec les célèbres Sermons du Jésuite Antonio Vieira (1608-1697), défenseur de la liberté des Indiens du Brésil et des Chrétiens Nouveaux au Portugal.

C’est également à cette époque que  naissent des œuvres poétiques baroques, comme celles du sulfureux  Gregorio de Matos (1633?-1696), avocat de naissance bahianaise, qui a étudié le droit à Coimbra en 1661, et a vécu au Portugal pendant vingt ans avant de retourner au Brésil. Surnommé Bouche d’Enfer (« Boca do inferno ») en raison de son franc-parler,  il laisse une œuvre composée de textes satiriques à côté d’autres empreints de lyrisme amoureux et érotique.  Manuel Botelho de Oliveira (1636-1711) est également un représentant de cette école baroque bahianaise.

La naissance de la littérature brésilienne : les Arcadiens

 Le Brésil, qui a senti la nécessité d’adopter  des institutions différentes de celles qui lui avaient été imposées par l’Europe, éprouve déjà le besoin d’aller puiser ses inspirations à une source qui lui appartienne véritablement

Ferdinand Denis, cité par Eugène de Monglave dans la notice sur l’auteur de l’ouvrage Carumuru.
 
La littérature de la fin du XVIIIe siècle,  qui s’inscrit en opposition au baroquisme précédent, cherche à retrouver une simplicité de langage.  La figure de « l’Indien » s’impose comme représentant de l’homme naturel de ces contrées. 

Ainsi, dans Caramuru (paru en 1781), le frère José de Santa Rita Durão (1722-1784), qui a vécu toute sa vie au Portugal malgré sa naissance dans le Minas Gerais, retrace l’histoire en partie réelle, en partie fictive de l’aventurier portugais Diogo Alvares Correia. Naufragé sur le littoral brésilien,  ce dernier est fait prisonnier par les Tupinamba avant de s’émanciper grâce à sa vaillance au combat contre des tribus ennemies. Pour le remercier, les caciques lui donneront pour femme l’indienne  Paraguaçu, que Diogo, devenu Carumuru (« dragon de la mer »), emmènera en France, où elle sera rebaptisée du nom de Catherine, en hommage à sa marraine, la reine Catherine de Médicis. Ce poème épique est directement inspiré des Lusiades par sa forme (dix chants,  vers en ottava rima) et par son fonds (mélange de faits historiques et de merveilleux païen et chrétien).

Au siècle des Lumières, le Portugal et le Brésil connaissent un mouvement de formation d’académies, un terme qui englobe toutes les sociétés littéraires. Sur le modèle de l’Arcadia Romana, une académie de Rome où la vie champêtre est magnifiée, et dont a fait partie le poète brésilien Basilio da Gama, est fondée à Lisbonne l’Arcadia Lusitana en 1756. L’Arcadie d’Outremer (Arcadia ultramarina) qui naît à Vila Rica (l’actuelle Ouro Preto, dans le Minas Gerais), en est le pendant brésilien. Elle rassemble des auteurs de la région qui sont également des hommes engagés dans la cause de l’indépendance du Brésil vis-à-vis de la Couronne portugaise. La diffusion progressive des idées des Lumières, avec la création de l’Académie des Sciences au Portugal, le contexte de l’indépendance des colonies anglaises d’Amérique du Nord en 1776, et celui de la Révolution Française de 1789 favorisent la révolte contre l’autorité de la Couronne portugaise et sa politique fiscale : ainsi, Joaquim José da Silva Xavier , dit « Tiradentes » (1746-1792), sera écartelé en tant que meneur de  « l’Inconfidencia mineira » (« conjuration du Minas Gerais »). Bien après sa mort,  il reste une figure populaire au Brésil, notamment immortalisé par Cécilia Meireles dans son Romanceiro da Inconfidência, au programme de l’agrégation de portugais de 2023 en France. Une ville du Minas Gerais porte également son nom depuis 1889, année de proclamation de la République brésilienne.

Parmi les Arcadiens retenus par la postérité, Silva Alvarenga  (1749-1814), Alvarenga Peixoto (1744-1793, prisonnier de 1789 à 1792, puis exilé en Angola), et  Claudio Manuel da Costa (1729-1789), dont le poème Vila Rica, aux accents camoniens, relate l’histoire de la ville et de l’activité dans les mines.

Tomas Antonio Gonzaga  (1744-1810) est particulièrement emblématique de cette école arcadienne : né à Porto, il étudie le droit à Coimbra, puis mène une vie de magistrat dans le Minas Gerais, lieu auquel il est attaché. Compromis dans la conspiration de « Tiradentes », il est emprisonné à Rio de Janeiro de 1789 à 1792 et sera forcé à l’exil au Mozambique, où il demeurera jusqu’à sa mort. Son très célèbre poème élégiaque  Marilia de Dirceu, est composé de deux livres, le premier  rédigé à Vila Rica, le second dans les geôles de Rio. La première partie du livre a été lancée à Lisbonne en 1792, la Bibliothèque Nationale du Brésil possède une édition de 1810 de l’ouvrage complet, et le livre sera traduit en français dès 1825.
 


Vue générale de l'usine de traitement de Passagem
in Ferrand, P.,  L'Or à Minas Geraes, Brésil, Ouro Preto, Impr. official do estado de Minas Geraes, 1894, vol 2.

 

La réception de l’indépendance brésilienne et de sa littérature en France

 Des romans portugais et brésiliens ? Il en existe donc ? m’a demandé d’un air de doute plus d’un littérateur […] comme si le soleil américain qui a échauffé l’esprit de Cooper, avait été de glace pour les Santa Rita Durão, et les Basilio da Gama.

Eugène de Monglave, préface de Caramuru

Il faut néanmoins  attendre la venue de la cour portugaise au Brésil, en 1808, pour que la vie littéraire au Brésil se fasse plus dense. L’installation de la presse royale, et de la Bibliothèque Royale, contribuent  à faire de Rio une capitale culturelle. C’est aussi l’époque de la diffusion des premières revues et journaux : o Correio Brasiliense en 1808 fondé à Londres en 1808,  et O patriota en 1813-14.

Quelques années avant l’indépendance, en 1816,  des Français se rendent au Brésil, invités par le prince régent João VI, pour une mission artistique française au Brésil. Le plus célèbre témoignage  artistique en est le récit illustré du peintre Jean-Baptiste Debret. Cet épisode des relations franco-brésiliennes marquera le début d’une longue suite d’échanges artistiques et littéraires.
 

Le travail des traducteurs et des passeurs littéraires permettra de faire connaître en France la littérature brésilienne. Ferdinand Denis (1798-1890) est le plus zélé d’entre eux. Il voyage au Brésil à la même époque que  la mission artistique française. Revenu en France en 1819, il devient un fervent diffuseur de la culture brésilienne en France, publiant des traités sur le Brésil, tels Le Brésil, ou, histoire et mœurs, usages et coutumes des habitans de ce royaume, en 1822, ou encore, quatre ans plus tard, Résumé de l’histoire littéraire du Portugal, suivie du résumé de l’histoire littéraire du Brésil. En parallèle, il fait carrière à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, dont il deviendra l’administrateur général en 1865, et à laquelle il léguera sa collection personnelle.

En 1830, « an VIII de l’Indépendance du Brésil », selon la mention indiquée en page de garde de la revue, paraîtra à Paris O patriota brasileiro.  Son objectif, indiqué en introduction, est de publier tout ce qui vise  à améliorer « la condition brésilienne sous tous ses aspects ». Plus tard, en 1836, ce sera au tour de Nitheroy, revista brasiliense, d’être  publiée à Paris.

Quelques décennies plus tard, en 1877, l’empereur Pedro II, à l’occasion d’un de ses séjours parisiens, fera la rencontre de Victor Hugo, écrivain  qu’il admire et avec qui il entretenait déjà une correspondance suivie.
Les échanges culturels entre France et Brésil ne feront que s’intensifier tout le long du XIXe siècle créant par, ce biais, des liens très durables entre les deux pays.

 

Pour aller plus loin

- Idées révolutionnaires et inconfidências, de Laura de Mello e Souza

 

Commentaires

Soumis par Daniel! le 14/09/2022

Bravo pour cet exposé très complet qui met en lumière la littérature du Brésil et ses liens avec la France. Mp

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