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Classiques européens pour la jeunesse : l'art du partage (1)

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7 septembre 2018

À l’occasion des Journées européennes du patrimoine, Gallica revient sur la circulation des textes en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, au cours desquels s’est constitué un corpus européen de classiques de la littérature pour la jeunesse. Partons sur les traces de Robinson, Pierre l’ébouriffé, Heidi et Alice…

C’est dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que s’invente, dans les riches pays de l’Europe du nord, une fiction spécifiquement destinée à l’enfance et à la jeunesse. La traduction devient immédiatement partir prenante de cette jeune littérature. Les premiers écrivains pour enfants s’imitent, se traduisent et s’entre-traduisent.
Arnaud Berquin (1747-1791), homme de lettres, précepteur et traducteur, se spécialise dans les écrits pour la jeunesse. C’est avec les 24 numéros de L’Ami des enfans, publiés de 1782 à 1783, qu’il passe à la postérité, inaugurant en France les publications en livraisons périodiques destinées à la jeunesse. Il y propose des petites historiettes morales, contes et drames ancrés dans le quotidien de l’enfant. Il emprunte ce titre  et plusieurs historiettes à l’allemand Christian Félix Weisse (Kinderfreund, 1772). Nombre de ses écrits sont inspirés des littératures allemande, anglaise et néerlandaise : il a contribué à l’ouverture de la France aux littératures étrangères contemporaines.  En décembre 1783, il renouvelle sa reconnaissance « à MM. Weisse, Campe, Salzmann et Schummel, pour les bons matériaux et les bons modèles qu’il a trouvés dans leurs ouvrages ». Il explique sa démarche d’appropriation : « soit en les accommodant à notre gout, à nos usages et à nos mœurs, soit en y ajoutant des idées et des peintures nouvelles, soit enfin pour le style et le ton qui lui appartiennent ». A son tour, la publication est diffusée et traduite dans toute l’Europe.

Contes du Chanoine Schmidt. Lehuby, 1854.

Pendant près d’un siècle, les frontières sont poreuses entre « imitation », « traduction libre » et « traduction », comme si l’invention fictionnelle était un vaste bien commun dans lequel chacun pouvait venir puiser, à charge pour lui de rendre sa réappropriation attrayante et conforme aux attentes de son nouveau public. La circulation des œuvres par la traduction a contribué de manière décisive à construire et renouveler les grands genres de la littérature de jeunesse.

Plusieurs fois j'ai lu cette historiette à des auditeurs de différents âges, et j'ai eu lieu de faire la remarque qu'elle était écoutée avec un vif intérêt, non seulement par les enfants, mais même par des personnes d'un âge mûr. Les oeufs de Pâques.

En ce qui concerne les contes et historiettes morales, l’influence germanique est forte dans la première moitié du XIXe siècle.
Les Contes de Christophe Schmid (1768-1854), dit le chanoine Schmid, ont connu une fortune considérable dans toute l’Europe, et particulièrement en France à partir des années 1820. Il fut l’un des écrivains pour enfants les plus lus, les plus traduits, les plus diffusés en Europe tout au long du XIXe siècle. Les œufs de Pâques et Geneviève de Brabant figurent parmi les textes les plus publiés du siècle. Au fil des traductions, rééditions, adaptations et imitations, le nom de Schmid fonctionne comme une « marque de fabrique ». Le catholicisme de l’auteur apporte une caution morale recherchée par les éditeurs catholiques : quand la maison Mame crée la collection « La Bibliothèque de la jeunesse chrétienne » en 1836, les récits et historiettes morales de Schmid (traduits par Louis Friedel) en constituent le socle principal.

Livre d'images : histoires pour les petits enfants imitées de l'allemand par A. Dembour. 1850.
Pierre l'ébouriffé : joyeuses histoires et images drôlatiques pour les enfants de 3 à 6 ans. Traduit de l'allemand du docteur Hoffmann par Trim. Hachette, 1866.

Du côté de l’historiette morale illustrée, qui accompagne la naissance de l’album, on trouve le Struwwelpeter, soit Pierre l’ébouriffé ou Crasse Tignasse dans sa version française. Il est l’œuvre du médecin Heinrich Hoffmann (1809-1894) qui dresse en 1845 une galerie de portraits de neuf enfants terribles faisant des bêtises et en subissant les cruelles conséquences. Les premières adaptations françaises date des années 1850, mais la fortune éditoriale de ce titre en France est due à Louis Ratisbonne, dit Trim, qui traduit et édite Pierre l’ébouriffé en 1860, traduction reprise ensuite par Hachette dans sa série des « Albums Trim », illustrés pour certains par Bertall (Les défauts horribles, Plume le distrait, Les bêtes, Loustic l'espiègle, Le calcul amusant, La poupée, Les œuvres de la main, Jean Jean Gros Pataud, Le bon Toto et le méchant Tom, ABC Trim, Les infortunes de Touche-à-tout).

Plus de 200 Contes de l’enfance et du foyer des frères Jakob et Wilhelm Grimm sont publiés entre 1812 et 1857. Les exemplaires originaux figurent depuis 2005 sur la liste du patrimoine documentaire mondial de l’Unesco. Les contes sont traduits en anglais dès 1823 sous le titre German Popular Stories, traduction sur laquelle se fonde la première traduction française publiée en 1824, sous le titre Vieux contes pour l’amusement des grands et des petits enfants. D’autres traductions à partir du texte allemand se multiplient, dont celle de Frédéric Baudry en 1855, qui reste longtemps canonique. Dans le contexte du romantisme allemand, les frères Grimm font appel à un vaste réseau de correspondants pour collecter des contes populaires et traditionnels, puis retravaillent les textes dans une démarche comparatiste. A leur suite, des folkloristes recueilleront les récits du temps passé avec patience et rigueur. C’est grâce aux talents d’écrivains des frères Grimm que des récits oraux anciens ont pu acquérir une dimension littéraire européenne.

Partageons les savoirs : retrouvez le programme des Journées européennes du patrimoine à la BnF, les 15 et 16 septembre.

Pour aller plus loin :
François Genton, notice Berquin, Dictionnaire des journalistes (1600-1789).
Angus Martin, « Notes sur L'Ami des enfants de Berquin et la littérature enfantine en France aux alentours de 1780 », Dix-Huitième Siècle, 1974, 6, p. 299-308.
Mathilde Lévêque, « Le chanoine Schmid (1768-1854) : un siècle de gloire européenne avant l’oubli », La Revue des livres pour enfants, Hors-série Rencontres européennes, 2012, p. 56-61.
Dictionnaire du livre de jeunesse : la littérature d'enfance et de jeunesse en France / sous la direction de Isabelle Nières-Chevrel et Jean Perrot. Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 2013.
Babar, Harry Potter & Cie : livres d'enfants d'hier et d'aujourd'hui : exposition / sous la direction d'Olivier Piffault. Paris : Bibliothèque nationale de France, 2008.

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