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Georges Darien, écrivain libertaire engagé

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7 mai 2020

Georges Darien (1862-1921) est surtout connu pour son roman Le Voleur, adapté au cinéma par Louis Malle en 1967.  Mais ce romancier pamphlétaire, défenseur de l’idéal libertaire, fut également un auteur de pièces de théâtre qui a marqué son public et un journaliste engagé.

Portrait de Darien dans L'Oeuvre (14 mars 1933)
La jeunesse de Darien est marquée par les années de guerre contre la Prusse, puis l’épisode violent de la Commune de Paris en 1871. S’engageant dans l’armée française en 1881, il va être envoyé en 1883 à Biribi en Tunisie, au bagne militaire, pour indiscipline. De retour à Paris en 1886, il  se rapproche du milieu anarchiste et commence une  carrière littéraire et journalistique dès 1890.

Dans l'hebdomadaire littéraire L'Esprit français du 7 janvier 1933, Auriant en donne la description suivante :

Un réfractaire désespéré, voilà ce qu'il serait sa vie durant, un réfractaire, et un isolé, comme il l'avait été dans sa famille, à l'école, à la caserne, à Biribi. Puisqu'il ne pouvait ni agir, ni combattre, il ne serait qu'un spectateur qui s'indigne. La littérature servirait d'exutoire à ses colères. Il tâterait du journalisme, du théâtre, du pamphlet, du roman.

 

Des romans percutants

Le roman anarchiste, tel que le définit Darien dans L’Endehors, est un cri. Il a pour but, en dénonçant les conditions sociales et les injustices, de provoquer l’indignation du lecteur afin que des remèdes soient trouvés. Et dès la parution de ses deux premiers romans, Bas les cœurs ! en décembre 1889 et Biribi en février 1890, le ton est donné. « Populo, tu peux reconnaître, quoique sorti de la bourgeoisie, l’auteur de Bas les cœurs ! et de Biribi pour un des tiens. » (Le Parti ouvrier, 13 mai 1890).

 


Biribi, roman de Georges Darien, affiche de Maximilien Luce

Dans Bas les cœurs !, il dénonce le peu de scrupules et la grande lâcheté avec lesquels beaucoup de Français sont passés d’un patriotisme de façade à la collaboration avec l’ennemi en 1870. « Voilà un début qui promet » annonce Art et critique (18 janvier 1890), pendant que Le Radical (10 décembre 1889), plus réservé, constate « Pas chauvin, M. Georges Darien, oh ! non ! ». Le XIXe siècle (4 décembre 1889) salue quant à lui  une « œuvre vécue et sincère, d’une écriture et d’une conception très personnelles, et qui éclaire d’un jour nouveau la néfaste histoire de l’occupation des provinces françaises par les Allemands ».
 

Le livre qui va vraiment marquer les esprits est Biribi. Tiré de son expérience personnelle, il dénonce violemment les conditions de détention dans les camps de discipline militaire. « Je n’ai jamais rien vu d’aussi fort contre le militarisme », « le livre hurle et rugit » (Le Parti ouvrier). Le Mercure de France  (avril 1890) s’indigne, « Biribi est un livre superbe, angoissant, terrifiant », « il est dès maintenant démontré qu’il existe en plein XIXe siècle, des tortionnaires, plus cruels, plus raffinés, plus atrocement lâches que les moines de l’Inquisition… ». Dans Coulisses et tréteaux, Victor Méric rappelle que Biribi est un réquisitoire féroce « qui eut écho au Parlement et dans le pays », « son livre a produit une émotion dont un député de Paris s’est fait écho à la tribune de la Chambre » (La Revue pour tous, 8 mars 1890). En effet, une enquête est menée « au sujet des traitements infligés aux soldats envoyés aux compagnies de discipline » (Journal du Cher, 13 mai 1890), qui aboutit à des réformes (décret du 5 juillet 1890). Mais  Le Bloc, le journal de Georges Clemenceau, constate en 1901 que « ce sont toujours les mêmes abominations » qui sont à l’œuvre dans ces camps.
 
 
Quelques années plus tard (1898) il publie Le Voleur, « Le triomphe, l’apothéose du vol, du faux et de l’assassinat. » (La Lanterne du 2 décembre 1897). « On escalade, on brise les serrures avec brio et l’on est cependant homme distingué, gentleman, écrivain et philanthrope » s’émerveille Ernest la Jeunesse dans Gil Blas (30 novembre 1897), « c’est en tout cas, un livre de révolte où, par moments, éclatent les fureurs du nihilisme » (La Justice de Georges Clemenceau, 11 janvier 1898). Mais cette « œuvre curieuse » (L’Humanité nouvelle) est malgré tout plus proche du « roman romanesque » (Revue politique et parlementaire, janvier 1898) que du roman révolutionnaire.
Darien reprend un ton plus virulent avec La Belle France, pamphlet contre la société française de l’époque, plus ou moins bien accueilli (International Herald Tribune du 17 décembre 1900). « M. Darien est tout de même un peu sévère pour son pays » (La Revue , 1901, vol. 39, T4), mais il possède un « talent d’écrivain, de journaliste surtout. » C’est une œuvre que tout Français doit lire d’après la Revue bibliographique des ouvrages de droit,… (décembre 1900) : « La Belle France est une œuvre qui doit provoquer les discussions et les polémiques, et qui, sous tous les rapports, présente le plus haut intérêt ». Une œuvre qui une fois encore ne laisse pas indifférent.
 

Des pièces de théâtres tumultueuses

Il est également l’auteur de quelques pièces de théâtre qui ont marqué les esprits. Les Chapons, tiré de Bas les cœurs, écrit avec Lucien Descaves, représentée au Théâtre libre, « a provoqué un épouvantable tumulte » (La Petite Presse, 16 juin 1890). « Cet acte a soulevé des colères furieuses et des approbations très chaudes » déplore Le Voleur illustré (26 juin 1890) alors que Le Petit Parisien (15 juin 1890) lui reconnaît du talent, « mais tout cela est répugnant ». On n’attaque pas impunément le manque de patriotisme des Français et Le Radical (15 juin 1890) n’hésite pas à la taxer de « pièce scandaleuse qui froisse nos sentiments les plus sacrés ».

Dans un article du 30 avril 1909 au sujet d'une nouvelle pièce de Darien : Non, elle n'est pas coupable !, Robert Oudot se remémore :

...Georges Darien !...
Pour tous ceux de notre génération qui vécurent les heures inoubliables du Théâtre-Libre, ce nom sonne haut et clair comme un appel de bataille littéraire.
Qui  ne se souvient, en effet, de la première des Chapons, cet acte fameux qu'il écrivit avec Descaves et qui connut en 1891 aux Menus-Plaisirs, l'honneur d'imbéciles protestations !...

 

 

Viorica Marini, interprète de Non, elle n'est pas coupable !, George Darien (1909)
 
L’Ami de l’ordre, d’abord refusé par la censure (La Liberté, 7 octobre 1898), est finalement joué « en dépit de la censure par une permission spéciale de M. Bourgeois. » (La Lanterne, 13 octobre 1898) et « s’affirme comme un succès considérable qui déplacera tout Paris ». L’action se passe sous la Commune, et Darien y prend résolument parti pour les communards. C’est une « œuvre de haute portée » (Le Parisien, 25 octobre 1898).
Le Parvenu, pièce sur Napoléon, aura moins de succès. Malgré « une conception hardie » de Napoléon (L’Humanité, 29 septembre 1905), c’est « émouvant mais un peu long » (Le Journal du dimanche, 25 février 1906), même carrément médiocre d’après Le Courrier français, 15 février 1906).

 

Le Journal du dimanche, 18 novembre 1906

Biribi va également être adapté au théâtre en 1906. Car malheureusement, Biribi, ce n’est pas fini : « Biribi l’école primaire du crime, existe toujours malgré les belles promesses de nos gouvernants » (Le Courrier français, 4 octobre 1906). Cette « pièce de M.M. Darien et Lauras arrive donc bien à son heure ». « Son succès fut éclatant » (Le Rideau artistique et littéraire, 1909).
Quelques années plus tard, il s’inspire de l’affaire Steinheil pour écrire Non, elle n’est pas coupable. Il prend la défense de Marguerite Steinheil, demi-mondaine, arrêtée et incarcérée pour complicité d’un double assassinat.
 

 

 

Dans Comœdia du 2 mai 1909, Léon Blum bien que peu convaincu de l’innocence de la belle reconnaît que « chaque fois que M. Darien rencontre ou peut provoquer un développement de satire sociale, il s’en empare avec éloquence et maîtrise ». La Lanterne (3 mai 1909) y découvre un Darien qui « s’est révélé, à nos yeux étonnés, comme un profond ironiste ». Le Journal s’inquiète pourtant « C’est très humain et très beau, très vrai. Mais si la censure existait encore, permettrait-elle ces allusions trop répétées ? L’affaire est en cours. » (16 mai 1909). Mais le souligne Le Rappel (4 mai 1909), cette « affaire troublante, passionnante, énigmatique, qui a déjà fait couler tant d’encre, vient d’être mise à la scène par M. G. Darien. Bien que l’auteur déclare qu’il a voulu tout simplement, dans ce drame, dépeindre la femme moderne… »

 

Devenu secrétaire du syndicat des artistes dramatiques, « vague secrétaire d’un aussi vague syndicat » (Comœdia, 16 avril 1910) il prend la défense du petit personnel exploité en lançant des boules puantes lors d’une représentation de la Tosca à l’Opéra-comique. (La Petite Presse, 15 avril 1910). Il comparait au tribunal de police le 24 juin 1910 (Journal des débats politiques et littéraires, 25 juin 1910). Et est condamné à cinq francs d’amende et vingt-cinq francs de dommages-intérêts (Le Matin, 10 juillet 1910).
 

Le journaliste

Dès 1890 Darien se consacre également au journalisme. Il écrit un article virulent contre l’armée, « le réceptacle de toutes les mauvaises passions, la sentine de tous les vices » dans Le Tocsin (5 juillet 1890). Il collabore à la revue anarchiste  L’En-dehors  sous le pseudonyme de Georges Randal. Il y écrit de nombreux articles très violents. Dans son article élogieux sur le peintre anarchiste Maximilien Luce (La Plume, 1891), il définit l’artiste libertaire, le révolté, le peintre des pauvres.
Il fonde en novembre 1893 son propre journal L’Escarmouche. « Si l’Escarmouche devait être un journal d’action, elle ne pourrait être que le porte-voix d’une minorité infime – à moins de devenir l’organe des majorités qui s’ignorent » (12 novembre 1893). Elle paraît quelques mois, jusqu’en mars 1894. Il s’exile ensuite en Angleterre pour fuir la répression qui frappe les anarchistes.

 

Premier numéro de l’Escarmouche

 
Sa collaboration à L’Ennemi du peuple est annoncée en 1904 dans L’Extrême gauche (12 mars 1904). Il se présente aux élections législatives en 1906 puis en 1912, ce qui l’amène à fonder La Revue de l’impôt unique.  Il rédige une série d’articles pour La Lanterne « Une solution à la question économique » où il expose sa solution basée sur la taxation du sol,   entre le 26 août 1920 (« Le problème fiscal résolu ») et le  6 novembre (« Économie politique orthodoxe ») « Et voilà atteint le but que poursuit l’Économie politique orthodoxe : elle veut faire peur – réduire le peuple à l’inaction ».

Il meurt quelques mois plus tard, le 19 août 1921. Lucien Descaves lui rend hommage dans La Lanterne (31 août 1921).

C’était un homme terrible. Mais c’était aussi un grand écrivain.
 

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