Les femmes à la conquête des cimes
Longtemps restées sous domination masculine, les femmes alpinistes vont peu à peu s’émanciper. A la fin du XIXe siècle, elles participent à des cordées, certes commandées par des hommes, mais qui leur procurent l’expérience nécessaire pour organiser puis mener des expéditions en toute indépendance dès les années 1920-1930.
Montagnes / Marcel Rouff. Gallimard (Paris), 1931
Si les débuts de l’alpinisme sportif reviennent aux gentlemen anglais, les premières cordées exclusivement féminines voient le jour dans les années 1930.
Les difficultés rencontrées
Préjugés
La femme se cantonnera dans des escalades faciles et agréables, suivant sa force.
Autour des années 1860, l'activité physique est considérée inappropriée pour les femmes. Les pratiques sportives doivent être non compétitives, bonnes pour la santé et respecter le modèle de féminité.
Le Club alpin français (CAF) conseille aux femmes alpinistes un accompagnement masculin, une pratique modérée et sécurisée sur des sentiers aménagés.
Les avis divergent cependant :
[…] c’est surtout dans les coups durs […] que la femme se révèle, très supérieure.
Quelques écrits insistent sur la féminité de certaines alpinistes :
Certains exploits comme ceux de Miriam O'Brien Underhill et d'Alice Damesme, qui atteignent le Grépon puis le Cervin, provoquent d'aigres remarques :
Le Grépon a disparu. Maintenant qu'il a été fait par deux femmes seules...
(Etienne Bruhl dans National Geographic, août 1934)
Le Grépon. Dans La Chaîne du Mont-Blanc / Henry Bregeault. 1928
Les grimpeuses continuent néanmoins à parcourir les arêtes de la Meije, gravissent le mont Blanc, le Mönch, l'aiguille Verte…
Tenue vestimentaire
Si les vêtements des hommes doivent être résistants au froid, confortables, la qualité première des tenues féminines vantées est la décence. Marie Paillon préconise pourtant la chemise en flanelle et la jupe courte qui doit se relever.
Le rôle ambigu des clubs alpins
Des exploits peu relayés
Les publications sur les femmes alpinistes sont longtemps restées rares, voire inexistantes et les récits sont parfois très orientés : Marie Paradis, première femme à atteindre le Mont-Blanc, est décrite, traînée au sommet.
Gabrielle Vallot, qui conquit le mont Blanc avec son mari en 1887, relatera ses ascensions, rompant ainsi un long silence.
S'affranchir
Les femmes accompagnent avant tout leur mari jusqu’au Belvédère afin de suivre aux jumelles l’ascension périlleuse. Gabrielle Vallot se demande même s'il est vrai, comme le prétendent de nombreux alpinistes, que les femmes ne doivent pas entreprendre de grandes courses.
Marie Paillon, alpiniste engagée pour l’émancipation des femmes à travers le sport, milite en faveur de l’organisation de caravanes scolaires pour filles comme celles qui existent pour les jeunes gens. Ces caravanes féminines validées en 1883 participeront à l’émancipation des femmes et constitueront un appel d’air pour les jeunes filles.
L’himalayiste Christine de Colombel pense que les femmes ont sans doute mieux à faire qu'à toujours se situer par rapport aux hommes : exprimer leur spécificité, — ce qui exige de nouvelles analyses et pratiques.
Progressivement, la pratique des femmes s’intensifie et les ascensions gagnent en visibilité.
Quelques femmes de légende
La première ascension féminine enregistrée dans le monde remonte à 1786. Le mont Buet (3096 m) est vaincu par trois membres féminins de la famille Parminter, accompagnés par deux hommes.
Marie Paradis est la première femme à atteindre le mont Blanc, le 14 juillet 1808. Travaillant comme servante dans une auberge de Chamonix. Elle raconte son aventure :
Elle atteint le sommet avec trois guides dont Jacques Balmat. Le déroulement de l'ascension reste un mystère.
Melle Henriette d'Angeville / Joseph Corcelle. Dans : Courrier de l'Ain. 1900
Ces propos s’adressent à Henriette d’Angeville, qui gravit ce même sommet le 4 septembre 1838.
Son exploit marque les débuts de l’alpinisme féminin. De nombreuses successeures sont issues de la Grande-Bretagne victorienne.
Isabella Charlet-Straton, militante britannique pour le droit des femmes, hérite de ses parents à 20 ans. Ses ascensions sont remarquables, comme le mont Blanc l’hiver. Elle découvre Chamonix vers 1860 avec son amie Emmeline Lewis Lloyd. Ce seront les premières à gravir le mont Viso.
L’alpiniste Lucy Walker atteint le Cervin en 1871. Elle réalisera de nombreuses expéditions à plus de 4000 mètres.
Elizabeth Hawkins-Whitshed, ou Lizzie Le Blond, irlandaise, sera présidente du Ladies‘ Alpine Club dès 1907. Très active, elle s’installe dans les Alpes et multiplie les ascensions.
Et la montagne conquit l'homme / Myrtil Schwartz. 1931
En 1883, elle participe à la première hivernale de l’aiguille du Midi. Chose rarissime, Elizabeth, cinéaste et photographe, publie ses expériences : Les hautes Alpes en hiver ou l’alpinisme à la recherche de la santé. Son teint halé et ses tenues scandalisent. Dès 1900, on doit à E. Leblond et E. McDonnell les premières cordées féminines.
Annuaire du Club alpin français. 1899
Américaine, riche, intrépide, Margaret Claudie Brevoort est à l'origine de plusieurs premières : l'ascension de la Grande Ruine, dans les Ecrins, celle du « Doigt de Dieu » de la Meije, la traversée du Cervin. Elle conquiert le Weisshorn (4506 m), la Dent Blanche (4357 m).
Mary Petherick, épouse d'Alfred Frederick Mummery, précurseur de l’alpinisme sportif, s’initie à la pratique. En 1887, tous deux arrivent au sommet du Teufelsgrat, expédition considérée comme l’un des exploits les plus épiques de l’histoire de l’alpinisme. Dans son livre Mes escalades dans les Alpes et le Caucase, Mary relate l’expédition, entre chutes de pierres et perte de piolet.
Emily Bristow, peintre et alpiniste, conduit en 1893 au Petit Dru une corde composée d’hommes. En 1895, l’ascension du Grépon sans guide couronne sa carrière.
Mme Paillon. La Vie heureuse. 1904-09-15
En 1888, elle rencontre l’Anglaise Kathleen Richardson, avec qui elle effectue des premières féminines sans tutelle familiale telles les ascensions de la Méridionale d'Arves, de la Meije Orientale. Elles formeront l'une des premières cordées exclusivement féminines de l'histoire de l’alpinisme. Au cours de ses conférences, Marie communique sur la nécessité du sport pour l'émancipation des femmes.
Elle conquiert le Quitaraju :
Ce soir. 1951-10-16
En 1959, elle dirige une expédition exclusivement féminine à la conquête d'un 8000, le Cho Oyo. Certains ironisent. Lucien Devies, président de la Fédération française de la montagne, déclare :
L'aventure se terminera le 2 octobre 1959 par le décès de Claude Kogan et de Claudine Van der Straten, ensevelies par une avalanche.
En 1968, le Rendez-vous Haute Montagne est créé regroupant les meilleures alpinistes du monde. Les cordées féminines gagnent en visibilité et trouvent progressivement des soutiens financiers.
Aujourd’hui
Martine Rolland sera la première guide de haute montagne en Europe. Les femmes ne représentent que 2,5% des effectifs dans cette profession.
En 2020, Catherine Destivelle, notamment reconnue pour sa trilogie hivernale en solitaire, reçoit le 12e Piolet d'or. C'est inédit.
Cols bleus. 1994-04-09
Marion Poitevin, première femme au sein du Groupe militaire de haute montagne (GMHM), raconte dans une autobiographie les difficultés auxquelles elle a été confrontée au cours de son parcours professionnel.
Alors, prêt.e.s pour l’aventure des sommets ?
La série "Histoire du sport en 52 épisodes" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.
Commentaires
Femmes alpinistes
Merci pour cette histoire de l'alpinisme féminin, j'ai appris plus que je ne pensais.
A 76 ans, toujours féministe, l'escalade c'est fini pour moi, mais je peux encore encourager des jeunes à suivre le modèle de ces femmes exemplaires.
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