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Mars 1668 : les Fables de La Fontaine voient le jour

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C’est en mars 1668, il y a 350 ans, qu’ont été publiées pour la première fois les Fables de Jean de La Fontaine. Afin de commémorer l’événement, Gallica propose, tout au long du mois, une série dédiée sur son blog. Patrick Dandrey, président de la Société des Amis de Jean de La Fontaine, nous fait l’honneur d’ouvrir les festivités avec un billet consacré à l’édition originale des Fables.

Le genre immémorial de la fable auquel La Fontaine devait donner ses lettres de noblesse poétique procède d’une articulation élémentaire en récit et morale qui sollicite un processus cognitif double : le récit, avec ses animaux parlants qui vivent à moitié comme des hommes, excite l’imagination ; la  morale prend sur cette excursion en terres de fiction fantastique le recul de la réflexion et de la méditation prudentes, ouvrant sur une leçon d’expérience. Cette double postulation suscite une double ambiguïté : d’un côté, ce lien privilégié avec l’image incline les éditeurs à conférer aux volumes de fables les prestiges de l’illustration, au risque de faire pléonasme avec l’illustration mentale que le récit doit naturellement susciter dans l’esprit du lecteur ; d’un autre côté, le lien du genre avec l’expérience lui destine un public double, celui des enfants à instruire d’un savoir qu’ils n’ont pas encore, celui des adultes et notamment des adultes d’âge mûr sinon caduc, recrus d’une sagesse dont ils se délectent d’entendre les échos dans la morale des fables.

 

Le premier recueil de Fables choisies mises en vers que livre au public La Fontaine en 1668 reflète exactement cette ambivalence. Jamais les récits n’auront avant lui atteint à ce degré de pittoresque, de badinage, de variété et de suggestion enchantant l’imagination, sans que cela ait empêché François Chauveau de redoubler chacun par une gravure qui s’ingénie à vaincre un double défi : figer le flux de la narration dans une situation qui la redouble sans pouvoir rendre compte de son déroulement depuis l’exposition du « drame » jusqu’à sa résolution ; figer les possibles de l’imagination dans une voie esthétique qui sélectionne et détermine la réception du conte par le lecteur. D’autre part, le tirage du livre en deux formats, en mars l’in-quarto, noble et coûteux, en octobre l’in-12, version « de poche » plus accessible, fait emblème d’une double destination, vers le public adulte, singulièrement ce public mondain que devaient délecter les atours brillants dont était parée cette humble matière, et vers le public scolaire, qui depuis les manuels des écoles de rhétorique antique nommés Progymnasmata, toujours en usage dans l’enseignement au 17e siècle, commençait par la fable son apprentissage de la langue, comme genre le plus approprié à la candeur du jeune âge et à son instruction.
 

« Le monde est vieux, dit-on ; je le crois, cependant, / Il le faut amuser encor comme un enfant »

 
La coalescence de ces deux voies se manifeste par la dédicace du recueil au Dauphin, enfant venu alors à l’âge du rudiment, mais fils de roi et futur roi destiné à régner sur une cour au goût raffiné, avide de « nouveauté » et de « gaieté », écrit le fabuliste. Et cette dualité d’assignation se retrouvera tout au long du chemin de célébrité qui encore aujourd’hui fait de La Fontaine le poète le plus partagé de la culture française. Sur le front mondain et cultivé de son art, on verra l’humble genre magnifié notamment par les illustrations somptueuses d’Oudry au 18e siècle, ou celles plus humoristiques de Granville au 19e, avant de pousser presque jusqu’au fantastique chez Doré. Mais maint fablier scolaire se contentera d’images colorées au charme naïf, dont celles de Rabier constituent un modèle savoureux par leur pimpant.
 

 
Cette esthétique de la feinte naïveté, ce badinage sophistiqué qui réussit à prendre les couleurs du plus parfait naturel, la fable selon La Fontaine ne l’a pas limitée à un effet de forme et à un enchantement par l’image seule. De même que tout récit a sa morale, toute expérience esthétique de haut niveau a sa leçon d’humanité : ce que la fable enseigne aux adultes en feignant de les ravaler à l’âge du rudiment, n’est-ce pas l’art de retrouver en eux, enfoui sous les gravats de l’existence, le tuf de l’enfance oubliée, indispensable réserve de rêve et de sagesse ? « Le monde est vieux, dit-on ; je le crois, cependant, / Il le faut amuser encor comme un enfant »…    
 


Portait de J. de la Fontaine par E. Bayard.
 
Patrick Dandrey
Illustré par Monique Calinon

Commentaires

Soumis par danièle mendak le 25/03/2018

une réjouissance totale....ces petites et grosses bêtes nous en disent long sur les petits et grands hommes......merci pour l'ensemble de ces publications sur ce thème qui nous est cher depuis l'enfance!

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