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Nestor Almendros, le cinéaste devenu chef opérateur

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5 mars 2024

Le grand chef opérateur Nestor Almendros doit à Eric Rohmer sa courte carrière de réalisateur. Treize courts métrages à découvrir sur Gallica

Vidéogramme tiré du film "Journée d'une vendeuse"

Quel est le point commun entre Le dernier métro et Les moissons du ciel ? Entre Le genou de Claire et Le choix de Sophie ? Un homme : Nestor Almendros !

Fils d’instituteurs, l’espagnol Nestor Almendros suit des études à Cuba, à New York puis à Rome. C’est au moment de son installation à Paris, au début des années soixante, qu’il se lie d’amitié avec trois cinéastes pour lesquels il signera la photographie de films majeurs : Éric Rohmer (Ma nuit chez Maud, 1969 ; Pauline à la plage, 1983…), François Truffaut (Les deux Anglaises et le Continent, 1971; Vivement dimanche !, 1983…) et Barbet Schroeder (More, 1968 ; Maîtresse, 1975…).

Nestor Almendros est l’un des plus grands chefs opérateurs du monde, l’un de ceux qui luttent pour que la photographie des films d’aujourd’hui ne soit pas indigne de celle qu’elle était au temps de Wilhelm Gottlieb Bitzer, le caméraman de D.W. Griffith.

(François Truffaut)

Éric Rohmer, qui tourne lui-même de nombreux documentaires pédagogiques disponibles sur Gallica, présente Nestor Almendros aux responsables de production. Entre 1964 et 1969, Almendros tourne environ vingt-cinq documentaires pour la télévision. Treize d’entre eux sont accessibles sur Gallica grâce au Réseau Canopé qui a en autorisé la diffusion. Les plus intéressants de ces films sont nourris des influences des années de formation d’Almendros : le cinéma expérimental à New York et le cinéma direct à Paris.

Tentatives d'épuisement d'un lieu

Le billet de blog de Manuela Guillemard, chargée d'archives audiovisuelles chez Réseau Canopé, analyse précisément le travail esthétique de Nestor Almendros sur ces deux titres-phares.
La gare (1965, 17 min)

Le spectateur d’aujourd’hui oublie vite la dimension pédagogique du film (montrer le fonctionnement d'une gare et sans doute susciter les vocations professionnelles) pour admirer l’impressionnant travail de montage, la beauté du noir et blanc qui joue avec les lignes des locomotives et des rails de chemin de fer, et les cadrages qui multiplient les effets de plongée et contre-plongée. L’espace de la gare est restitué par touches impressionnistes et une attention portée au détail que l’on retrouve dans Le jardin public, tourné l’année précédente.

Le jardin public (1964, 24 min)

Nous allons épier les mille détails d'une journée d'automne dans un jardin public à Paris de l'aube au soir.

Si le projet est clair, le film adopte une forme libre, innovante, surprenante. Comme dans La gare, il s'agit de restituer un espace (le parc Monceau) en kaléidoscope, livrant au passage une ode à l'infiniment petit (des micro-gestes, des micro-événements, des micro-détails). S’appuyant sur des cadrages travaillés, parfois insolites, souvent poétiques, le futur chef opérateur oscarisé capte les différents jeux de lumière jusqu'au crépuscule. Le montage fragmentaire et l’image travaillée s’inscrivent cependant dans une réelle démarche pédagogique qui en appelle au “don de l’observation”, observation plus assumée encore dans les quatre films de l’émission Les hommes dans leur temps.

Les deux épisodes tournés par Almendros pour l'émission Télé-voyages adoptent le regard naïf et émerveillé de l'enfance pour faire découvrir les particularités de deux régions, la Corse et le Pays Basque.
En Corse (1965, 17 min)

Sur des images proches du film amateur, Nestor Almendros suit sept enfants d'une classe de CP de l'Oise partis trois jours en Corse. Les enfants nous racontent eux-mêmes leur voyage, avec leurs mots mais aussi leurs dessins.

Au Pays basque (1965, 20 min)

Cette fois on ne suit pas de voyage scolaire, mais on découvre le pays basque par le moyen d'une carte postale fictive envoyée par les enfants aux parents. L'exploration continue lorsque les Basques viennent eux-mêmes présenter dans une école parisienne leurs danses traditionnelles, filmées en intégralité sur plusieurs minutes.

Tentatives d'épuisement du temps

Lorsqu'Almendros montre Gente de playa, film réalisé sous le manteau à Cuba, à Henri Langlois et Mary Meerson de la Cinémathèque française, cette dernière le qualifie de "cinéma-vérité".

Cette dimension ethnographique du regard de Nestor Almendros est évidente dans les quatre épisodes qu'il tourne pour l’émission "Les hommes dans leur temps". Tournés au plus près du réel, ces portraits particulièrement touchants s’attachent à suivre la journée-type d’une profession et constituent aujourd’hui des sources sociologiques et historiques passionnantes.

La journée d'une vendeuse (1969, 18 min)

Le plus beau de ces quatre épisodes suit la journée de Jocelyne, vendeuse au BHV. Le souhait d'Almendros de la présenter comme une personne et non comme un archétype est manifeste. Le film effleure les ambitions et peut-être les rêves avortés de cette jeune femme dont tous louent le sérieux. Un excellent document sur la condition des femmes de l'époque.

La journée d'un médecin (1967, 17 min)

Pas de décompte horaire dans cet épisode, mais un long témoignage du médecin dont les journées, alternant visites à domicile et consultations au cabinet, sont longues et accaparantes. Le rôle de notable du médecin, qui n'évite pas toujours le paternalisme envers les malades, côtoie sa passion pour son métier et son intérêt sincère pour ses patients. Soulignant les bouleversements apportés par la Sécurité sociale (égalité d'accès aux soins, surcharge de la médecine générale), le film capte un moment de transformation de la santé publique qui résonne fortement aujourd'hui.

La journée d'un journaliste (1967, 18 min)

Cet épisode centré sur la seule journée de travail, sans entretien, suit Jacques Amalric, journaliste au Monde. Nestor Almendros nous plonge en immersion dans la vie de la rédaction d'un grand journal - univers exclusivement masculin à l'époque. Le compte à rebours est particulièrement serré : le déchargement des énormes rouleaux de papier pour le journal, le tri des dépêches, la conférence de rédaction... Internet n'était pas encore inventé - on travaille à l'ancienne, avec du papier, des ciseaux, de la colle et un téléphone - mais l'actualité portait déjà sur la "crise du Moyen-Orient"...

La journée d'un savant (1965, 20 min)

Comme pour La journée d'un journaliste, le film montre ce qu'était la recherche scientifique avant l'informatique. Au laboratoire de physique de l'Ecole Normale Supérieure, on manipule et on bricole d'impressionnantes machines. La caméra de Nestor Almendros est à l'évidence inspirée par l'architecture du laboratoire. Le chercheur parle de son travail avec modestie ("C'est un métier très spécialisé finalement") mais aussi avec un souci manifeste de vulgarisation. L'épisode se clôt avec légèreté sur les courbes d'un oscilloscope.

En 1967, Nestor Almendros tourne également une série de films historiques très documentés, qui ont à l’évidence nourri sa carrière de chef opérateur par la place qu’y occupent architecture et histoire de l’art.

L'inspiration des films de commande historiques

La fascination de Nestor Almendros pour la Grèce antique est non seulement évidente, mais communicative dans la très belle trilogie qu'il lui a consacrée.

Des voix masculines et féminines se relaient pour dire un commentaire très écrit, parfois lyrique, qui évoque Jean-Daniel Pollet, s'appuyant sur l'histoire, l'archéologie mais aussi la mythologie.
Almendros, fidèle à son goût pour le plein air, vagabonde et laisse sa caméra filmer l'écrin de nature qui abrite les ruines au présent. Le spectateur d'aujourd'hui ne pourra qu'être conquis par la beauté des images, la délicatesse des mots et des choix musicaux et la modernité de la réalisation.

La Grèce antique. I, Cnossos et Mycènes (1967, 19 min)

La Grèce antique. II, Olympie (1967, 17 min)

La Grèce antique. III, Délos (1967, 19 min)

Les trois films bénéficient de la présence de l'assistant réalisateur grec Lambros Liaropoulos, qui a lui-même réalisé deux documentaires pédagogiques disponibles sur Gallica : Problèmes paysans (1970, 19 min) et Ingres 1780-1867 (1970, 28 min)

Plus impersonnelle est la série Aspects de la vie économique des XIIIe et XIVe siècles, qui propose trois épisodes dont il nous manque le deuxième. Très documentés, s’appuyant sur de nombreuses sources, ces films s’inscrivent dans la série Histoire dirigée par l’historienne France Ngo-Kim.

La vie quotidienne au Moyen-Age est évoquée à travers catégories socio-professionnelles mais l'on retiendra surtout les beaux plans architecturaux réalisés dans des rues désertes, véritable appel à l'imagination pour se représenter les conditions de vie d'autrefois.
Aspects de la vie économique aux XIII et XIV siècles. I, La vie rurale (1967, 19 min)

Aspects de la vie économique aux XIII et XIV siècles. III, Une grande ville, Bruges (1967, 15 min)

Si Nestor Almendros abandonne définitivement la réalisation pour se consacrer à la photographie à partir des années 70, il porte dans son livre autobiographique Un homme à la caméra un regard bienveillant sur cette partie de sa carrière :

Ces courts métrages pour la télévision représentèrent mes premiers essais professionnels. [...] Tous me furent très utiles dans la mesure où je travaillais en toute liberté, avec du matériel léger, tirant le meilleur parti possible de la beauté de la lumière naturelle que je m'efforçais de reproduire sans artifices.

Pour aller plus loin

Manuela Guillemard, Nestor Almendros, l’esthétique de la lumière (billet de blog Gallica)
Nestor Almendros, Un Homme à la caméra (Hatier, 1991)
Nestor Almendros, Cinemanía (Seix Barral, 1992)
Nestor Almendros : dossier biographique [Document d'archives]
Nestor Almendros, El arte de la nostalgia : cartas de Néstor Almendros a Guillermo Cabrera Infante (Verbum, 2013 - ressource en ligne)

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