Tour de France 2022 de Gallica - Étape 2 et 3 : de Roskilde à Sønderborg le hareng
Le Tour de France cycliste est aussi celui des spécialités gastronomiques. Les coureurs n’y gouteront pas le temps de l’épreuve mais les suiveurs peuvent eux se régaler. Retour sur une première spécialité à déguster lors du jour de repos et de transfert des coureurs après un long week-end danois.
Un poisson fécond…
Le hareng (Clupea harengus) appartient à la famille des Clupéidés comme l’anchois ou la sardine. On le trouve dans les eaux froides de l’Atlantique et de la mer du Nord à des profondeurs comprises entre 200 mètres et la surface. C'est un poisson grégaire qui se déplace en grands bancs pouvant atteindre jusque 30 kilomètres de longueur sur 6 mètres de large.
La taille des individus variant selon les saisons et les endroits de pêche, 35 cm en Norvège l'hiver par exemple, les naturalistes se sont interrogés sur l'existence d'une route migratoire du hareng de l’Atlantique au pôle nord.
Hareng, famille des clupeidés, Clupea harengus . Plâtre coloré. BIUS
Dans l’Histoire naturelle des poissons, Étienne de Lacépède (1756-1825) résume ainsi ces théories :
On a cru longtemps que les harengs se retiroient périodiquement dans les régions du cercle polaire, qu'ils y cherchaient annuellement sous les glaces hyperboréennes un asyle contre leurs ennemis, un abri contre les rigueurs de l 'hiver, que n'y trouvant pas une nourriture proportionnée à leur nombre prodigieux, ils envoyaient au commencement de chaque printemps des colonies nombreuses vers des rivages plus méridionaux de l'Europe ou de l'Amérique.
En réalité, il existe plusieurs groupes de harengs qui ont des zones de pontes distinctes, depuis la Manche jusqu'au nord de l'Angleterre. La période de reproduction s'étale suivant ces groupes entre août et décembre. Une femelle peut pondre jusqu'à 30 000 œufs. Les harengs se rassemblent ensuite dans des zones de nourricerie en mer du Nord, le long des côtes danoises et norvégiennes, particulièrement dans le golfe de Botnie, où le plancton dont ils se nourrissent est abondant.
Roger Vercel ; ill. de Mathurin Méheut, Boulogne : Grand port de pêche. 1956
… pêché depuis l'Antiquité en Scandinavie
La pêche au hareng est attestée depuis l'Antiquité en Europe du nord (Angleterre, nord de la France et Normandie...) et particulièrement en Scandinavie où elle revêt une très grande importance. C'est alors une pêche côtière qui se pratique aux filets. L'évêque d'Uppsala, Olaus Magnus (1490-1557) décrit ainsi la densité des bancs et l'abondance de poissons pêchés dans son Histoire des pays septentrionaus (1561) :
« Ils se jettent à si grande foule dans les filets, qu'on ne peut les tirer, qu'ils ne se cassent, de façon que quand on mettrait une hallebarde ou pique au milieu, elle en tomberait point mais se tiendrait fort bien. »
Le hareng fait partie de l'alimentation traditionnelle des populations côtières scandinaves. On le consomme depuis toujours frais, fumé, mariné (au vinaigre) ou salé. La salaison est une opération nécessaire car la pêche est saisonnière et il faut s'assurer des réserves pour l'année.
Olaus Magnus, Histoire des pays septentrionaus. 1561
Une pêche européenne
« Le hareng est une de ces productions naturelles dont l'emploi décide de la destinée des empires. » écrit Lacépède.
Dès le Moyen-Age, la pêche au hareng se développe dans toute l'Europe du Nord, nouvel enjeu économique soumis à des tensions et âpres négociations sur les zones de pêche. Au 13e siècle déjà, le Danemark et la ligue Hanséatique se font concurrence. Une première convention autorisant la pêche est passée en 1357 entre le Danemark, le roi d'Angleterre, les comtes de Flandre et de Hollande.
Dans les zones côtières réputées traversées par les bancs de poissons, les pêcheurs de harengs installent de grands filets, ou sennes, soutenus à intervalle régulier par des barils, qui servent également de bouée de signal. Les navires, relativement petits se manient à la voile ou à la rame.
Les petits bateaux qui pêchent près de la côte ont, nous dit Duhamel du Monceau dans son Traité général de la pêche, un grand avantage sur les autres puisqu'ils peuvent livrer leur poissson le jour qui suit la nuit où il a été pêché, ce qu'on appelle le poisson d'une nuit.
Le poisson est ensuite vendu frais au port à des marchands de détail ou à des chasses-marée qui l'acheminent à l'intérieur des terres sur les marchés. Cette pêche côtière tend à se rarefier au 19e siècle quand les harengs ne viennent plus frayer sur les côtes de la Manche.
Les campagnes de pêche sont plus longues en mer du Nord et les navires plus grands. Une fois pêché, le poisson est soit salé et conditionné directement à bord du navire, soit salé plus grossièrement sur le navire puis mis en tonneau, ou encaqué, au port après avoir été vidé de ses intestins et branchies. Ce travail, qui vise à assurer une meilleure conservation du poisson, est dévolu aux femmes, les caqueuses.
Au 14e siècle, un pêcheur hollandais, Guillaume Beukels, aurait perfectionné une méthode employée traditionnellement au Danemark en laissant les harengs plus longtemps dans leur saumure avant de les fumer pendant au moins 24 heures. Ces harengs salés et fumés, racornis et de couleur brune, qui se conservent plus longtemps sont nommés harengs saurs. Le hareng est alors conditionné salé dans des barils de bois à bord des bateaux et traités à terre dans des saurisseries, appelées aussi boucanes.
Henri Le Secq, Harengs saurs, 1851-1860
La pêche ne cesse de se développer, les flottes et techniques de pêche se modernisent et l’essor de la conserve assure de nouveaux débouchés. Les grands ports harenguiers européens s'équipent ainsi de grandes conserveries. La Norvège pratique la conserverie depuis 1841 pour le hareng. En France, des saurisseries et des conserveries s'installent à Dieppe, Fécamp et surtout à Boulogne-sur-Mer (port haranguier depuis le Moyen-Age). Là, on y met en boîte les fameux pilchards ou harengs à la tomate.
Leonetto Cappiello, Harengs & Maquereaux. La Boulonnaise. 1912
Comment mangez-vous les harengs ?
La consommation de hareng, poisson abondant et peu cher, pouvant se conserver longtemps s’est répandue en Europe. Dans son grand dictionnaire de la cuisine, Alexandre Dumas écrit :
« Presque jamais les harengs salés ne paraissent sur la table des maitres ; mais ils sont, dans les pays où ils abondent, utiles pour les ouvriers et les pauvres. ». L'écrivain livre cependant plusieurs recettes de hareng frais.
Au Danemark et en Scandinavie, le hareng fait partie des plats courants : on le consomme sur une tartine, en rolls-mops (filets marinés dans du vinaigre). Le surströmming, recette suédoise de hareng fermenté en conserve, est également un classique.
Les rolls-mops sont connus dès le 19e siècle en Europe et même proposés, pour le déjeuner, sur les grandes tables, comme l’atteste ce menu de 1904.
Hareng saur et face de hareng
Le hareng est entré dans la culture populaire : dès le Moyen Âge, on trouve trace de processions dites du hareng. À Reims par exemple, les membres des cortèges traînent un hareng derrière eux au bout d'une ficelle. A Dunkerque depuis les années 1960, on jette des harengs à la foule.
Les poètes et chansonniers ont également largement été inspirés par le poisson, à l’instar de Charles Cros (1878) ou Jean Richepin (1886).
L'Hareng-saur. Chanson. Paroles de Jean Richepin. 1886
Enfin, le hareng a servi à forger des expressions « comme des harengs en caque » l'équivalent de serrés comme des sardines. On trouve l'expression par exemple dans cet article de la Croix du Nord de 1931 sur les voyageurs du tramway à LiIlle : " des voyageurs tassés comme harengs en caque, compressés comme sardines en boîte- moins l'huile !" Le hareng sert aussi volontiers à forger des propos plus insultants.
Clôturons ainsi ce tour du hareng par la plainte d’un journaliste d’Auto-vélo couvrant le Tour de France 1923. Face aux nombreux courriers des lecteurs, remis à chaque étape du Tour, qui ne manquent pas de réagir à ses articles, le journaliste constate :
à chaque étape, nous attendent des douzaine de lettres qui racontent des histoires à dormir debout ; nous qualifient d’idiots, de crétins, de vendus, de sportifs, d’assassins, de génies, de buveurs de sueur et de face de harengs.
Pour en savoir plus :
Pour aller plus loin :
Magnus Nilsson, La cuisine des pays nordiques. Phaidon. 2016
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