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L’atlas aux sphinx d’or

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4 mars 2013

La collection Beaurain-Savalette-Dezauche conservée au département des Cartes et plans de la BnF est composée de seize grands volumes in folio dont chaque plat de la reliure est décoré d’un sphinx doré, symbole héraldique de la famille Savalette ou Savalète.

En dessous du sphinx, une lettre B est la marque personnelle du fermier général Marie Joseph Savalette de Buchelay. Il appartient à une famille parisienne depuis le XVIIe siècle, qui s’est enrichie dans la finance. Sa passion pour les sciences naturelles le pousse à collectionner les minéraux et il installe un cabinet de curiosité dans son hôtel particulier de la rue Saint Honoré. Pour compléter sa collection, il constitue également une bibliothèque d’amateur éclairé. La géographie est bien représentée avec cet atlas contenant plus 1200 cartes. La composition de l’atlas a été confiée en 1749 au géographe parisien Jean de Beaurain établi quai des Augustins.

Jean de Beaurain (1696-1771), né en Artois, a été formé à Paris par Pierre Moullart-Sanson, héritier d’une illustre lignée de géographes. A l’âge de vingt-cinq ans seulement, il obtient le titre de géographe du roi. En 1736, il est chargé d’enseigner la géographie au dauphin, fils de Louis XV. Mais il est aussi connu pour avoir réalisé plusieurs atlas composites destinés aux collectionneurs et aux curieux. Celui conçu pour Marie Joseph Savalette est son entreprise la plus ambitieuse par le nombre de cartes rassemblées. Chaque volume porte la formule : « Suivant la collection du Sieur de Beaurain » pour rappeler son véritable rôle d’éditeur scientifique dans la sélection des planches et la constitution des volumes. Il a la volonté de rassembler les meilleures cartes disponibles en 1749.

La collection couvre toutes les régions du monde même si elle privilégie la France et l’Europe. Dans ce classement géographique allant du général au particulier, chaque volume correspond à une zone géographique précise. Le tome I contient les cartes du ciel, de l’ensemble du monde, puis de l’Europe entière et enfin des îles Britanniques. Le tome II couvre la Scandinavie, la Russie et la Pologne. Les tomes III et IV concernent le Saint-Empire romain germanique (y compris l’Autriche et la Bohême) avec la Suisse. Les tomes V et VI couvrent les Pays-Bas, correspondant au Benelux actuel. Les tomes VII, VIII et IX traitent de la France. Le tome XII est consacré à l’Espagne, au Portugal et à l’Italie. Le tome XIII couvre le sud-est de l’Europe qui est appelé à l’époque la Turquie d’Europe et contient les cartes de la Dalmatie et de la Hongrie jusqu’à la Grèce. Un seul volume, le tome XIV couvre l’ensemble de l’Asie, l’Afrique et l’Amérique. Les tomes XV et XVI sont consacrés à la géographie historique. Enfin les tomes X et XI concernant aussi la France ce qui explique leur place dans la collection sont principalement des volumes de texte, même s’ils contiennent respectivement 22 et 38 cartes. Il s’agit du septième et huitième volume de la géographie blaviane, traduits en français et extraits de l’Atlas Maior de Joan Blaeu, le grand géographe hollandais du XVIIe siècle.

Chaque volume est composé de façon identique. La reliure est en plein veau fauve marbré. La page de titre est un réemploi de frontispices d’atlas ou de diverses estampes sur lesquels Beaurain a forgé un titre décrivant la zone géographique couverte par le volume. Par exemple, la page de titre du tome I représente une architecture monumentale décorée de sculptures et de bas-reliefs avec au centre Hercule portant le globe. Il s’agit d’un réemploi du frontispice de l’atlas d’Hubert Jaillot intitulé : Atlas nouveau contenant toutes les parties du monde La table des matières manuscrite composée sur des feuilles avec un encadrement gravé, énumère les planches contenues dans le volume. Outre la mention de l’auteur, du titre de la planche et de sa place dans le volume, Beaurain a ajouté quelques commentaires au regard de certains titres pour attirer l’attention du lecteur sur l’intérêt particulier du document. Les annotations de Beaurain soulignent soit l’ancienneté, soit la rareté du document. La table qui porte le plus de remarques est la table du tome XIV avec neuf annotations. Le document le plus ancien de la collection est une carte de Chypre par Ortelius datée de 1573 : Cypri insulae nova descript. (tome XIV, pl. 6).

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Tractus Norwegiae Danicus magnam Diocoeseos Aggerhusiensis Partem Sistens…, 1729.

Les volumes peuvent assembler un nombre variable de planches, de 50 pour le tome XIII à 229 pour le tome XI. La collection est composée de divers types de documents cartographiques : planches d’atlas, cartes topographiques, cartes de diocèse, plans de ville, et même un fac-similé de carte portulan. Ils sont tous imprimés à l’exception d’un beau plan manuscrit le Plan de la Ville, Citadelle et Ch[ât]eaux de Bayonne, placé dans le tome IX, pl. 77. Mais on trouve aussi des documents différents comme des tables chronologiques, des vues de monuments, des profils de villes, des plans de jardins anglais, des estampes de sphères armillaires, etc… La grande variété de la production éditoriale allant du XVIe au XVIIIe siècle fait la part belle aux éditeurs français : Nicolas et Guillaume Sanson, Pierre Moullart-Sanson, Hubert et Bernard Jaillot, Pierre Duval, Nicolas de Fer, Guillaume Delisle, Jean-Baptiste d’Anville, Philippe Buache, Gilles Robert de Vaugondy, Georges Le Rouge, etc… Comme Jean de Beaurain est aussi auteur et imprimeur de cartes, il a intégré sa propre production dans la collection. Parmi ses plus récentes réalisations, un Plan de la Bataille de Fontenoy, placé dans le tome VI, pl. 46, constitue un des rares exemples de cartographie militaire contenu dans l’atlas. La diversité de la production cartographique européenne est bien représentée avec les anglais John Garrett, Henry Popple et John Rocque (d’origine française), les allemands Johann Baptist Homann et ses héritiers, mais surtout les hollandais avec Joan Blaeu, Johannes Janssonius, Nicolas Visscher, Josua et Reinier Ottens, Peter Schenck, et François Halma. On trouve aussi quelques rares italiens avec Ludovico Ughi pour un plan de Venise ou Luigi Ferdinando Marsili pour des cartes du cours du Danube, quand Giacomo Cantelli et Vincenzo Maria Coronelli apparaissent dans des rééditions françaises par Jean-Baptiste Nolin. Enfin il faut signaler une production russe en latin et en français : l’Atlas russien, réalisé par l’Académie impériale des Sciences de Saint-Pétersbourg en 1745, dans le tome II, pl. 48 à 75.

Parti en Italie en compagnie d’artistes français, Marie Joseph Savalette tombe malade au cours du voyage et décède en janvier 1764. Il est enterré à Rome. Sa collection et sa bibliothèque sont vendues aux enchères dans son hôtel parisien et à cette occasion deux catalogues de vente sont publiés. L’atlas aux sphinx d’or, vendu en juillet 1764, réapparait en septembre 1766 dans un avis du Journal des sçavans (p. 628) qui signale sa présence chez le libraire Joseph Merlin, établi à Paris rue de la Harpe, dans l’attente d’un acquéreur. Ensuite, on perd sa trace avant de le retrouver chez Jean-Claude Dezauche (1745 ?-1824), géographe et marchand de cartes à Paris. Ce dernier l’estime suffisamment intéressant pour le compléter et l’actualiser en ajoutant 21 nouvelles cartes datées entre 1750 et 1811. Toutes ces cartes sont de la production de Dezauche lui-même sauf une. La carte la plus récente datée de 1811, La Hollande divisée en ses IX Départemens d’après sa réunion à la France, est insérée dans le tome V. Le petit-fils et héritier de Dezauche vend l’atlas à la Bibliothèque royale, le 23 juin 1838.

 

Emmanuel Pavy, département des Cartes et plans

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