Stryges et Goules, ces vampires femelles protéiformes
Stryge, goule, succube, oupire… le vampire au féminin conjugue beauté et pouvoir, force et séduction, sans oublier une bonne dose d'horreur et de luxure. Redécouvrons ces figures aussi méconnues que fascinantes.
Paulette Wilgowicz, dans la Revue française de psychanalyse de mai 1979, souligne que le mythe du vampire est avant tout un mythe féminin. Il n’est pas étonnant que les vampires femelles fassent ainsi partie des cas les plus intéressants à étudier. Les différents noms qui les désignent – stryge, goules, succubes – et les figures auxquelles elles sont liées – Lilith, furies aux ailes de chauves-souris, lamies – montrent qu’elles forment une catégorie à part, dont un des dénominateurs communs est le pouvoir.
Les stryges (terme issu d’un mot grec signifiant « oiseau de nuit ») sont connues depuis l’Antiquité : ce sont des créatures féminines ailées qui, à la manière des rapaces, poussent des cris stridents.
Les stryges, souvent assimilées aux vampires, hantent les cimetières. Elles ont la particularité d’enlever les nouveau-nés, dont elles se rassasient du sang, et de dévorer la chair des cadavres. Comme pour les vampires, le seul moyen de les détruire est de les immoler vivantes par les flammes. Plus sournoises et retorses que ces derniers, les stryges savent se faire séductrices pour mieux manipuler les consciences et parvenir à leurs fins, possédant ainsi la même qualité légendaire que les « djinns », autres créatures surnaturelles prenant diverses formes, que Victor Hugo dépeint dans son poème « Les Djinns » comme une « hideuse armée de vampires et de dragons ».
L'Arantelle : roman d'art / George de Lys et André Ibels, 1908
Démons de la nuit, les stryges sont associées à des visions de cauchemar, dirigeant par exemple des chevaux au galop dans ce poème de Guy Valvor intitulé « Nocturne », paru dans Le Penseur de juillet 1905.
Charles Meryon, graveur français du 19e siècle, s’est emparé de cette figure fantastique. Sur la gravure suivante, la stryge, entourée de créatures ailées, surplombe Paris.
Allégorie de la gourmandise au Moyen Âge, la goule, souvent assimilée aux stryges dont elle serait la version arabe, signifie « large bouche » ou « goulée » (quantité d'air que l'on peut aspirer en une seule fois). Le latin gula, gueule, a rencontré l'arabe al-ghoûla, signifiant ogre, ce qui a enrichi le sémantisme du mot. La goule est une créature surnaturelle pernicieuse ayant une forme changeante, apparaissant tantôt sous une forme féminine volante, tantôt comme une hyène. Les pieds fourchus, comme ceux du Diable, sont néanmoins une caractéristique immuable, comme on peut le voir sur l’estampe ci-dessus du graveur Pierre Roche.
C’est dans le roman de Paul Féval La Vampire, paru en 1856, que l’on apprend que la goule est en réalité la femelle du vampire et qu’elle peut, au choix, être appelée également oupire ou succube. Comme le vampire, celle-ci fréquente les cimetières pour se nourrir de cadavres, acte de dévoration macabre qui lui procure une jouissance sexuelle, précise Jean-Paul Clébert, dans son Bestiaire fabuleux.
Dans cet extrait, la violence et l’horreur de leurs actes tiennent en une seule image, celle des crânes de jeunes filles scalpées qui gisent au fond d’un tombeau.
Baudelaire, dans ses Fleurs du Mal, transforme le vampire – une femme toujours – en une créature d’érotisme funèbre, insatiable, à la fois désirable et terrible. Rejoignant la créature invisible du Horla, la femme vampire de Baudelaire semble prendre possession de l’homme qui en devient, étrange paradoxe, esclave consentant.
Le personnage du vampire chez Baudelaire est subversif. D’ailleurs, rappelons que le poème intitulé « Les métamorphoses du vampire » de Baudelaire fit partie des six pièces condamnées par la censure lors du procès de 1857 pour « délit d’outrages à la morale publique et aux bonnes mœurs ».
Influencé peut-être par le songe d’Athalie de Racine, Baudelaire influença à son tour de nombreux artistes, en créant ce personnage de femme vampire qui mêle Eros et Thanatos sur fond de volupté sardonique : pensons à la nouvelle Forains de Jean Lorrain où l’horreur des morsures de l’animal se mêle à la volupté charnelle des caresses féminines ; ou encore à la scène de la baignoire du film Shining de Stanley Kubrick, sorti en 1980, où une femme aux « seins triomphants » se transforme en vieille femme « aux flancs gluants toute pleine de pus ».
Cette dichotomie entre attrait érotique et répulsion, fortement marquée chez la femme vampire, se retrouve dans d'autres œuvres du 7e art. On pense bien sûr au film intitulé La fille de Dracula, sorti en 1936. Pouvoir et beauté atteignent un paroxysme, grâce à ce personnage de « Minerve éblouissante le jour » et de « Gorgone déchainée la nuit ».
Pour aller plus loin
- à lire en salle G : Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu
- exposition à la Cinémathèque française, Paris : Vampires, de Dracula à Buffy, jusqu'au 19 janvier 2020
Voir aussi les précédents billets de la série Vampires, des créatures à (re)découvrir :
1. Les vampires, des créatures à (re)découvrir
2. Les vampires, portée politique et sociale du monstre
3. Naissance du vampire comme personnage littéraire au 19e siècle
5. Prochain billet : Les vampires : existence réelle ou fantasmée ? Tentatives d’explications rationnelles
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