La méthode expérimentale et l'Académie des sciences
L’Académie royale des sciences est issue du rassemblement de plusieurs cercles d’érudits et de savants dans les domaines des sciences. Ces cercles se constituent à Paris au début du 17e siècle. On peut citer le Bureau d'Adresse de Théophraste Renaudot, le cercle d’Henri Louis Habert de Montmor, l’Académie du Père Mersenne — ce dernier ayant grandement oeuvré avec Descartes à la gestation de ces groupes durant cette période — ou encore l’Académie Bourdelot.
Ces cercles savants veulent sortir la science des discours scolastiques qui ont perduré tout au long du Moyen Âge et souhaitent fonder les bases de la connaissance sur l'étude réfléchie des résultats de l’expérimentation. En cela, ils appliquent en partie aux sciences un des principes philosophiques de Descartes : « pour atteindre la vérité, il faut une fois dans la vie se défaire de toutes les opinions qu'on a reçues, et reconstruire de nouveau et dès le fondement tout le système de ses connaissances ». Descartes fait ainsi écho à sa sentence « Cogito, ergo sum » (je pense donc je suis) et à une interrogation des savoirs déjà proposée au Moyen Âge par Gilbert de Tournai, quelque peu oubliée ensuite.
Tout au long du 17ème siècle, la physique, définie par Descartes comme la science des choses naturelles, fait figure de pionnière en matière de méthode expérimentale, par opposition à l’aristotélisme et à la scolastique. Pour développer cette nouvelle façon de penser, la physique doit lutter contre des adversaires conservateurs puissants. Dans ces réunions on ne cherche pas à se faire remarquer car plusieurs savants défendant cette nouvelle physique ont été déjà inquiétés ou exécutés par la justice : Descartes s’exile aux Pays-Bas en 1629 ; en 1631, le chimiste Nicolas de Villiers, qui condamne l'aristotélisme, est pendu en place de Grève pour contrefaçon de monnaie. En 1633 a lieu le procès de Galilée, adepte de la méthode expérimentale même s’il déduit parfois des lois nouvelles d’après des lois déjà préétablies sans expérimentation.
L’expérimentation, méthode des Modernes, doit donc lutter contre la déduction pure et simple issue de l’observation des choses, méthode des Anciens encore âprement défendue. C’est dans ce contexte scientifique controversé que l’Académie royale des sciences est fondée en 1666 sous le patronage de Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV, et installée à la Bibliothèque du roi.
La première réunion des membres a lieu le 16 juin 1666. Cependant la naissance officielle de l’Académie se fait seulement le 22 décembre 1666. Elle se constitue de sept scientifiques désignés dès le mois de juin. D’autres membres sont rapidement nommés pour former un collège de 21 savants.
L’Académie royale des sciences, suivant l’exemple des deux premières grandes académies de l’époque — l’Académie des Lynx de Rome (fondée en 1603) ou la Société royale de Londres (fondée en 1662) — se donne pour but d'approcher et de transmettre les sciences expérimentales, mais aussi de ne plus débattre de religion. Là où les universités transmettent un savoir bien établi et figé, l’Académie en vise la transformation. Elle établit, soutient, renforce progressivement cette nouvelle approche des sciences qui se développe en Europe, et la communique dans son Journal des Sçavans.
L’Académie royale des sciences est dirigée par un secrétaire perpétuel, nommé par Colbert. Le premier d’entre eux est Jean-Baptiste du Hamel, en fonction de 1666 à avril 1668. Remplacé par Jean Gallois jusqu’en décembre 1669, il va occuper ensuite ce poste pendant près de trente ans, de janvier 1670 à janvier 1697.
Jean-Baptiste du Hamel est adepte des sciences empiriques, basées sur les théories philosophiques qui font de l’expérience sensible l’origine de toute connaissance ou croyance. De là le développement des sciences du raisonnement, basées sur l’observation, l’émission d’hypothèses et de ses conséquences, toutes choses soumises à des expérimentations afin d’en étayer les fondements et de pouvoir confirmer ou infirmer le modèle créé et ses conséquences induites.
Cependant Jean-Baptiste du Hamel préfère ne pas s’opposer frontalement à ceux qui souhaitent privilégier le modèle spéculatif des Anciens. Ses publications font entrer un grand nombre de conceptions nouvelles dans l'enseignement, sans trop heurter les sensibilités de l’époque. Il examine et critique humblement les deux méthodes et essaie de les réconcilier. Les sciences expérimentales peuvent donc continuer à se développer sans interdiction. Son ouverture d’esprit et son impartialité, au service des sciences, sont louées par son successeur, Bernard Le Bouyer de Fontenelle.
Ce dernier est secrétaire perpétuel de 1699 à 1737, premier titulaire nommé directement par le Roi qui fait de l’Académie royale des sciences une institution d’Etat et l’installe au Louvre. Fontenelle explicite clairement les principes de la méthode expérimentale qui est d’explorer, appuyer et prouver une théorie par des expériences. Les faits et uniquement les faits sont donc mis en avant.
« On a quitté une physique stérile, qui depuis plusieurs siècles, en était toujours au même point : le règne des mots et des termes est passé ; on veut des choses ; on établit des principes que l'on entend, on les suit et de là vient qu'on avance. L'autorité a cessé d'avoir plus de poids que la raison, ce qui était reçu sans contestation parce qu'il l'était depuis longtemps, est présentement examiné et souvent rejeté [...]. Comme on s'est avisé de consulter sur les choses naturelles la Nature elle-même, plutôt que les Anciens, elle se laisse plus aisément découvrir » (Histoire de l'Académie royale des sciences de 1666 à 1699).
Malgré l’avènement de la méthode expérimentale et ses avancées en matière de pensée scientifique, le 18ème siècle reste très lié au respect de la religion et de ses préceptes figés en matière de découvertes scientifiques. Néanmoins, la science de l’expérimentation continue son chemin tout au long de ce siècle et se donne pour but de dépasser le conservatisme et de promouvoir les connaissances, comme en témoigne par exemple L’Art des expériences de l’abbé Nollet.
Jean Le Rond d’Alembert, dans le discours préliminaire à l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, œuvre controversée à l’époque, écrit ces mots :
« Ce n’est donc point par des hypothèses vagues & arbitraires que nous pouvons espérer de connoître la Nature ; c’est par l’étude réfléchie des phénomènes, par la comparaison que nous ferons des uns avec les autres, par l’art de réduire, autant qu’il sera possible, un grand nombre de phénomènes à un seul qui puisse en être regardé comme le principe ».
Le dogmatisme n’est pas totalement vaincu mais n’est plus dominant et ne peut plus jeter l’interdit sur les sciences expérimentales.
A partir de 1750, en Grande Bretagne, l’expérimentation permet l’essor industriel grâce au développement de la machine à vapeur et à l’exploitation du charbon. Une nouvelle période s’ouvre : le machinisme ou révolution industrielle. Suite à la Révolution française en 1789, l’Académie royale des sciences devient l’Académie des sciences. Au cours du 19ème siècle, les progrès scientifiques et techniques, qui découlent de l’industrialisation croissante de l’Europe, régissent de plus en plus le quotidien de notre civilisation.
L’Académie des sciences est toujours louée pour son rôle dans ce processus expérimental, seul à même de démontrer qu’une théorie peut être déclarée vraie, mise sous forme de lois admises par la communauté scientifique, jusqu’à ce que le contraire puisse lui être opposé par une nouvelle hypothèse construite, étayée et vérifiée selon les mêmes principes. Claude Bernard fait une description en ce sens dans sa leçon d’ouverture au Collège de France.
Au 20ème siècle, la méthode expérimentale permet des avancées technologiques de plus en plus nombreuses dans tous les domaines de la vie. Mais avec les deux guerres mondiales puis les débuts de la crise énergétique dans les années 1970, la question n’est plus seulement de comprendre le monde physique, comme à la fin du 17ème siècle. Des interrogations morales sur les sciences prennent de l’ampleur, notamment l’expérimentation sur l’homme lui-même. Ce questionnement culturel se fait plus nettement dans le dernier quart du 20ème siècle, avec la prise de conscience de la destruction de la planète par les activités humaines.
L’Académie des sciences fête ses 350 ans en 2016 et continue son œuvre d’étude et de transmission des progrès scientifiques. D’un point de vue éthique et écologique, il s’agit de préserver le monde des dérives engendrées par les progrès techniques, technologiques, scientifiques eux-mêmes ; des progrès qui engendrent incertitudes et peurs autant qu’espoirs en un monde meilleur pour les générations à venir. Ce point de vue est de nos jours au cœur des enjeux économiques et sociétaux portés par les progrès issus de la méthode expérimentale. Nous continuons notre découverte du monde au sens où Fontenelle l’entendait : « il semble que rien ne devrait nous intéresser davantage que de savoir comment est fait ce monde que nous habitons », nous dit-il au travers du temps.
Le progrès ? Oui, mais comment et avec quelles conséquences ? Telles sont les questions que les sciences expérimentales se posent et nous posent. Toujours sous le regard critique et constructif de l'Académie des sciences.
Les publications de l'Académie des sciences depuis sa création sont disponibles sur Gallica, notamment l'ensemble des Comptes rendus hebdomadaires des séances.
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