Auteur d’une œuvre riche en références antiquisantes, homme d’armes sillonnant les voies maritimes ouvertes par les voyages exploratoires portugais, Camões figure logiquement parmi les billets consacrés aux écrivains de la Renaissance, d’autant que l’on célèbre en 2024 les cinq cents ans supposés de sa naissance.
Portait de Camões, source INHA / Europeana
Si la date de mort de Camões, le 10 juin 1580, fait consensus – elle est même devenue jour de fête nationale du Portugal –, celle de sa naissance, actuellement fixée au 23 janvier 1524, est incertaine. De façon générale, on a peu de certitudes sur les éléments biographiques du plus illustre poète portugais. Si les historiens de la littérature des siècles passés, comme Clovis Lamarre et Teofilo Braga, n’hésitent pas à s’avancer sur les détails de son existence, Vasco Graça Moura, l’un de ses exégètes contemporains, plus prudent, indique que c’est plutôt à la lecture de ses textes que l’on peut déduire certains détails biographiques.
Il serait né à Lisbonne, dans une famille de petite noblesse ayant des liens de sang avec Vasco de Gama, et aurait reçu à Coimbra une éducation lui ayant fait connaître Virgile et Homère. Voué à une carrière militaire en sa qualité de fils cadet, il perd un œil au combat, puis, poussé à l’exil par des aventures amoureuses périlleuses, il sillonne les océans en longeant le continent africain, avant de passer une bonne partie de son existence en Orient. Essuyant plusieurs terribles tempêtes et un naufrage, il aurait sauvé miraculeusement son manuscrit des Lusiades. Ce poème épique est publié en 1572 à Lisbonne, où Camões revient en 1570, et meurt en 1580, à une époque de ruptures dynastique et historique pour le Portugal : après la disparition du roi Sébastien lors de la défaite d’Alcaçar-Quivir, le Portugal est en effet annexé au royaume espagnol des Habsbourg pendant 60 ans.
Edition originale des Lusiades de 1572 conservé au Département de la Réserve des Livres Rares de la BnF
L’époque est alors à la redécouverte d’œuvres vieilles de plusieurs siècles enfin traduites en portugais. Ainsi le
Livre des Merveilles de Marco Polo est publié à Lisbonne en 1502 en version portugaise, tandis que paraît en France, en 1556,
le Devisement du Monde, du même auteur.
Les Lusiades demeurent assurément non seulement l’œuvre la plus célèbre du poète, mais aussi la plus illustre de l’histoire littéraire portugaise. À une époque où la phase exploratoire des voyages portugais est achevée, le texte donne une dimension épique au voyage de Vasco de Gama aux Indes (selon la dénomination en usage à l’époque) et fait passer à la postérité le navigateur, en donnant une version idéalisée du récit de l’expédition initiale attribué à Alvaro Velho.
Camões s’y fait le chantre des voyages d’exploration de son époque et de la diffusion de la foi chrétienne : descendants de Lusus, fils de Bacchus, les Lusitaniens y ont, selon lui, pour dessein de dépasser les peuples antiques dans leur connaissance du monde.
Les Lusiades forme un récit de voyage aux Indes mythifié, sur le modèle de l’
Énéide de Virgile. L’œuvre, dédiée au roi Dom Sebastião, constitue une somme des connaissances géographiques et historiques de l’époque. Parmi les épisodes les plus fameux, figurent : la narration de la geste des Portugais par Vasco de Gama au roi de Mélinde, notamment les amours de Pedro et d’Inès de Castro, la rencontre avec le monstre de l’Océan Adamastor, la halte des voyageurs à l’île des Amours à leur retour des Indes.
Certains passages de l’œuvre laissent cependant entrevoir ce que le Nobel de littérature
José Saramago nomme « la face sombre des navigations » : la narration de récits de chevalerie à bord pour tromper la peur lors des tempêtes rappelle les conditions précaires de navigation, sources de nombreuses histoires tragico-maritimes rapportées avec fréquence dans la littérature de l’époque.
De même, Camões n’exclut pas une dimension critique à ces explorations. L’un de ses personnages, le Vieillard du Restelo, depuis le quai de Belém, où il est témoin du départ des embarcations vers les Indes, harangue ainsi l’auditoire sur les dangers liés à l’exercice du pouvoir :
« O du commandement funeste passion !
D’une gloire menteuse ô folle ambition !
Fallacieux désir d’une vaine fumée
Que notre orgueil crédule appelle renommée. »
Même si
Les Lusiades demeure son œuvre la plus célèbre, Camões n’en a pas moins à son actif
une production lyrique aux formes variées : chansons, sonnets, églogue, odes, sextine, élégies, stances, mais qui ne sera publiée qu’à titre posthume.
Au siècle des Lumières, le texte,
traduit en français par le moine cistercien Louis-Adrien Du Perron de Castera, suscite l’intérêt des philosophes
Voltaire et Montesquieu : ce dernier place sans réserve ce poème épique
dans la lignée de l’Odyssée et de l’Enéide.
Au XIXe siècle, les
traductions en français se multiplient, tandis que l’art lyrique s’empare de la légende du roi Sébastien : le personnage de Camões apparaît ainsi dans l’opéra en cinq actes
Dom Sébastien, roi du Portugal d’Eugène Scribe et de Gaetano Donizetti, joué au Théâtre de l’Opéra Le Peletier en novembre 1843.
Grâce à l’influence de la société des Études Portugaises, Camões, orthographié Camoëns, donne son nom à une avenue du seizième arrondissement parisienne en 1904, tandis qu’en 1912, un buste à son effigie est édifié en place publique, au carrefour de cette voie et du boulevard Delessert,
rapidement décrié et remplacé.
En 1921, enfin, l’œuvre fait l’objet d’un enregistrement sonore à la Sorbonne, dont un extrait est conservé au sein des
Archives de la Parole.
Ajouter un commentaire